"Les sénateurs ont été à l'écoute d'un numérique sobre et respectueux de l'environnement"

INTERVIEW. Ce 12 janvier, le Sénat a adopté à l'unanimité une proposition de loi visant à réduire l'empreinte environnementale du numérique en France. Vincent Courboulay, enseignant chercheur en informatique à l'Université de La Rochelle et cofondateur et directeur scientifique de l'Institut du numérique responsable (INR), explique à La Tribune pourquoi ce texte est un vrai pas en avant vers un numérique plus responsable.
Vincent Courboulay est enseignant chercheur en informatique à l'Université de La Rochelle et cofondateur et directeur scientifique de l'Institut du numérique responsable (INR).
Vincent Courboulay est enseignant chercheur en informatique à l'Université de La Rochelle et cofondateur et directeur scientifique de l'Institut du numérique responsable (INR). (Crédits : La Rochelle Université - Mélanie Chaigneau)

LA TRIBUNE - Alors que les outils et les usages numériques occupent une place toujours plus importante dans notre économie et notre vie quotidienne, comme conjuguer numérique et écologie ?

VINCENT COURBOULAY - En réalisant que les deux ne sont pas incompatibles ! Que le numérique peut être une solution mais constitue aussi aujourd'hui un problème. Le numérique n'est plus isolé, il n'est plus un secteur d'activité comme un autre, mais transversal et systémique. Il agit sur notre consommation, notre habillement, nos déplacements... En bien comme en mal. On est sur un secteur qui a besoin d'expertise, de recul, et surtout que beaucoup d'acteurs se fédèrent autour de messages clairs, cohérents, construits et sérieux.

Y-a-t-il un véritable manque en la matière actuellement ?

Il y a un besoin de fédérer les initiatives, les porteurs, d'avoir une démarche éthique et transparente et pas seulement de business pour porter des valeurs qui sont aujourd'hui fondamentales dans la société. Nous vivons à la fois une urgence climatique et sociale importante et une transition numérique à marche forcée. Les acteurs du numérique sont persuadés qu'une société plus mature et plus pérenne s'organisera sur deux pieds : la transition numérique et la transition environnementale et sociale.

La proposition de loi visant à réduire l'empreinte environnementale du numérique en France, adoptée à l'unanimité par le Sénat en 1ère lecture le 12 janvier dernier, est-elle un pas dans la bonne direction ?

Clairement, oui. Les sénateurs ont été à l'écoute de la problématique, de la place que la France doit prendre dans cette thématique, c'est-à-dire d'un numérique humaniste, sobre et respectueux de l'environnement et des gens. Ils sont allés au bout du processus, en proposant un article qui s'appuie sur une consultation de citoyens et d'experts. Pour moi, on a une démonstration claire de ce qu'une démocratie est capable de faire : comprendre la problématique, écouter, et la décliner en articles de loi qui ne sont pas uniquement castrateurs ou qui sanctionnent, mais aussi qui proposent et impulsent des lois plutôt positives et optimistes. Cela complète aujourd'hui l'arsenal que des associations de citoyens ont mis en place

Aujourd'hui, le numérique est tellement partout, que ça complète les effets de leviers qui permettent de convaincre des entreprises, des organisations, des collectivités à se lancer dans un numérique responsable. Ce sont des mouvements ascendants, avec des collectifs de citoyens qui questionnent sur la data, la 5G, l'utilisation des données de Whatsapp, et dans le même temps, des mouvements descendants, politiques, qui considèrent que le numérique de demain doit être ainsi. L'objectif est donc atteint, puisque, d'une part, les entreprises qui sont vertueuses s'appuient sur ces mouvements citoyens et ces propositions de lois et, d'autre part, les entreprises qui sont peu sensibilisées réalisent que ce mouvement n'est pas simplement écologiste mais beaucoup plus global, structuré, et transformant. Je trouve que cette double approche ascendante et descendante a un effet de levier beaucoup plus important que si c'était simplement des collectifs citoyens ou une lubie de l'Etat.

Cette proposition de loi va-t-elle assez loin ? Est-ce qu'il y a des manquements ?

C'est une première structuration. Evidemment, elle aurait pu aller plus loin, comme par exemple réfléchir à un tarif social de la donnée, remettre la responsabilité sur l'utilisateur, sur les producteurs de services, sur la notion de conception responsable... Je veux plutôt voir le verre à moitié plein qu'à moitié vide. Ces dispositions seront ensuite appropriées par les entreprises et la société civile, puis décuplées, donc tant mieux.

Comment peut s'opérer concrètement cette transition vers la sobriété numérique ?

Le problème c'est qu'on associe souvent la sobriété numérique à moins de numérique. Or, si nous étions dans une société sobre numériquement parlant, je ne sais pas si on pourrait faire du télétravail, de la continuité pédagogique... A l'Institut du numérique responsable, nous promouvons un "mieux numérique", utile et utilisable par tous. S'il faut faire moins de numérique et de la low tech, faisons-le ! Mais si, à un moment donné, augmenter l'équipement des français pour leur permettre de télétravailler dans des conditions correctes, permettre d'avoir de la continuité pédagogique, et mieux équiper les gens, c'est réaliser que ça évite des déplacements, le bilan est forcément positif. On ne promeut pas forcément à tous crins la low tech et la sobriété comme les seules solutions, mais elles font partie du panel de moyens. Nous soutenons la multiplicité des ressources, avec un bon sens paysan basé sur le triptyque environnement-société-profit.

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La proposition de loi votée par les sénateurs en 1ere lecture comprend 24 articles qui poursuivent quatre objectifs :

  • faire prendre conscience aux utilisateurs du numérique de son impact environnemental (formation, écoconception, intégration de l'impact environnemental du numérique dans le bilan RSE, crédit d'impôt à la numérisation durable des PME, etc.)
  • limiter le renouvellement des terminaux, principaux responsables de l'empreinte carbone du numérique (lutte contre l'obsolescence programmée matérielle et logicielle, allongement de la garantie légale, réduction de la TVA sur la réparation et le reconditionnement, etc.)
  • promouvoir le développement d'usages du numérique écologiquement vertueux (limitation des forfaits illimités, écoconception, interdiction du lancement automatique des vidéos, etc.)
  • favoriser des centres de données et réseaux moins énergivores (objectifs pluriannuels contraignants de réduction de l'impact environnemental, des émissions de GES et de consommation énergétique, etc.)

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