Oui, l'époque peut être formidable !

Ce 7 février à Bordeaux, au cinéma CGR Le Français, La Tribune réunit Isabelle Delannoy, François Dubet, Salomé Berlioux, Gilles Bœuf, Christian Streiff, Clara Gaymard et Michel Camdessus pour Une époque formidable : un festival d'idées, de débats, d'expertises, de convictions, destiné à bousculer et à stimuler nos consciences. Oui, l'époque peut être formidable, à condition d'y contribuer avec sens : sens de la responsabilité et sens de l'Humanité. C'est ce que ces prestigieux conférenciers viendront partager avec vous. Et en amuse-bouche, rendez-vous trois jours plus tôt avec le neuropsychiatre Boris Cyrulnik, appelé à couvrir l'auditoire de... bonheur.
Denis Lafay, directeur du pôle Idées de La Tribune et directeur de collection aux éditions de l'Aube.
Denis Lafay, directeur du pôle Idées de La Tribune et directeur de collection aux éditions de l'Aube. (Crédits : La Tribune)

Qu'est-ce qu'Une époque formidable, le nouvel événement que La Tribune décline pour la première fois à Bordeaux ? Un moment de respiration. Mais pas n'importe laquelle. Une respiration active, fructueuse, une respiration utile, une respiration qui aide le spectateur à progresser un petit peu plus, un petit peu mieux, dans l'exercice de ses responsabilités.

La Tribune s'emploie à « partager l'économie », comme on peut le lire dans les colonnes de son hebdomadaire, sur latribune.fr et sur les sites régionaux dont celui dédié à Bordeaux et à la Nouvelle-Aquitaine. Les 4 et 7 février à Bordeaux, en partenariat avec le conseil régional de Nouvelle-Aquitaine, Une époque formidable est une belle et ambitieuse illustration de cette exigence éditoriale, l'événement en constitue une brique supplémentaire et incarne quelques convictions cardinales : nous croyons aux vertus du débat et de la confrontation des idées, nous croyons à l'absolue nécessité d'ouvrir les « acteurs de l'économie et de l'entreprise » à des approches philosophiques, sociologiques, anthropologiques, scientifiques, artistiques ou historiques qui remuent, désarçonnent, enrichissent leur compréhension puis leur gestion des enjeux de société - lesquels, mécaniquement, produisent un impact déterminant sur leur exercice de la responsabilité -, nous croyons que cette exposition à la découverte et à l'inconfort est un défi à l'hétéronomie, et qu'elle fait grandir ceux qui savent l'accueillir, s'en emparer et deviennent ainsi des co-producteurs actifs, imaginatifs et responsables du débat public. C'est pourquoi nous avons réuni des personnalités, des consciences aussi diverses que le neuropsychiatre Boris Cyrulnik, l'environnementaliste Isabelle Delannoy, le sociologue François Dubet, la chercheuse Salomé Berlioux, l'océanographe Gilles Bœuf, les chef(fes) d'entreprise Clara Gaymard et Christian Streiff, et l'ancien directeur général du FMI Michel Camdessus.

Lire aussi : Une Epoque Formidable convie des experts de tous bords les 4 et 7 février à Bordeaux

Tolérance à l'intolérable

« Notre maison brûle, et nous regardons ailleurs », avait eu bien raison de déclamer Jacques Chirac en 2002, sans pour autant entreprendre grand-chose pour contribuer à éteindre l'incendie. Mais le brasier n'est pas que forestier, l'embrasement n'est pas que climatique ; les foyers incandescents frappent partout, l'Humanité des hommes est si aride que la propagation du feu s'étend à grande vitesse, les pyromanes ont de multiples visages que nous cernons sans peine : capitalisme financiarisé, libéralisme dérégulé, gouvernance invisible, Etats déliquescents, prolifération des inégalités, fractures des territoires, tentations nationalistes et xénophobes, consumérisme tentaculaire, aveuglement technologiste et scientiste, dépérissement éthique. Et l'éventail n'est pas exhaustif. Que peut espérer une planète qui tolère que 2,153 de ses 7 milliards et demi d'habitants détiennent 60 % de ses richesses ? Que peut ambitionner un pays qui tolère que les PDG de ses 40 sociétés les plus emblématiques voient leurs rémunérations bondir de 12% en 2018 quand dans le même temps le taux de pauvreté croit inexorablement et que la crise des moyens appauvrit les secteurs de la santé, de l'éducation, de la culture, ces secteurs qui font lien, qui font commun, qui font société ? Notre tolérance à ce qui est intolérable semble sans limites, l'ivresse de la cupidité hypothèque la réconciliation, vivre ensemble apparait être un dessein sinon impossible au moins très difficile à accomplir.

Rien n'est plus riche que le désaccord

Comment s'étonner, dans ces conditions, que des démocraties représentatives couronnent Trump, Modi, Bolsonaro, Erdogan, Orban, Salvini ou Johnson ? Partout, ce qui désunit semble plus volumineux que les possibilités de réunir. Sans boussole, comment fixer un cap et rassembler autour de ce cap ? Comme en France l'a cristallisé le débat éruptif des retraites, et la liste des exemples dans ce domaine est longue, le déficit de confiance entre les acteurs de la société, mais aussi l'antagonisation hystérique, haineuse, de ce qui fait désaccord, atteignent des records. Or, rien n'est plus riche que le désaccord. Encore faut-il vouloir respecter l'autre, vouloir le considérer, vouloir construire avec lui, vouloir reconnaître dans la différence et la singularité l'opportunité de trésors, vouloir regarder l'autre dans un juste rapport de réciprocité. Nous l'évoquerons le 4 février avec Boris Cyrulnik : cette relation à autrui est fondamentale, puisqu'autrui nous donne la raison de vivre. Autrui, dans les entrailles intellectuelles et émotionnelles duquel resplendit ce que chacun peut extraire pour nourrir sa propre humanité et sa quête de sens. Dès lors, bien sûr, que cette relation à autrui est débarrassée des diktats promouvant l'évaluation, l'emploi, l'exploitation, la domestication d'autrui, l'ascendance ou l'emprise sur autrui.

On ne bâtit pas contre mais avec autrui, et cela nécessite de renverser à son égard notre rapport dominateur et aliénateur en un rapport de reconnaissance ; ainsi nous pouvons faire fructifier au fond de nous et autour de nous, ce principe, majeur, de réciprocité, fondé sur la double reconnaissance de « sa valeur par autrui » et de « la valeur d'autrui par soi ». Cela ne dénie nullement le droit de débattre, et même de s'affronter. Bien au contraire d'ailleurs. Mais avec pour dessein d'enrichir son opinion de la confrontation respectueuse à celle des autres.

Restaurer la confiance

Est-ce encore possible dans ce contexte ahurissant et délétère des réseaux sociaux, de l'immédiateté, de l'utilitarisme ? Dans cet environnement où nous perdons les codes de l'écoute et du dialogue, et où nous devons réapprendre à nous parler ? Rien n'est moins sûr. Mais il faut essayer. Et en premier lieu réfléchir aux conditions de restaurer un maillon clé : la confiance. C'est d'ailleurs de cruel déficit de confiance dont souffrent les citoyens à l'égard de leurs institutions, comme l'illustre l'enquête annuelle du Cevipof : en 2018, près de 60% des Français avaient peu ou pas confiance dans les entreprises, qu'elles soient privées ou publiques, et ils étaient 88% à exprimer la même déconvenue à l'égard des partis politiques. Nul doute qu'en 2019 ces chiffres ne se sont pas améliorés, bien au contraire.

Comment en est-on arrivé là, comment en est-on arrivé à ce que les parties prenantes qui font société : l'entreprise composée de citoyens, le cénacle politique, composé de citoyens, et les citoyens dans l'exercice de leur citoyenneté, préfèrent former un archipel qu'une terre commune, préfèrent hérisser des remparts que dresser des ponts ? Sans doute parce que plus grand chose ne permet de faire « cause commune », de faire, comme l'illustre merveilleusement Edgar Morin, « communauté de destins ». La réalité technologique, communicationnelle, productiviste, matérialiste, marchande, la réalité des espaces et du temps, la réalité des mobilités et des générations, la réalité des confessions religieuses, la réalité des inégalités de toutes sortes, configurent notre monde de manière fragmentée, labyrinthique, cloisonnée et injuste. Comme si imaginer, créer, construire et donc vivre ensemble devenait au mieux une épreuve, au pire une chimère.

C'est à recoller les fragments, à nous frayer un chemin dans ce labyrinthe, à briser les cloisons, à combattre les injustices que veulent nous aider les rencontres d'Une époque formidable. Elles n'ont pas pour objet de nous apporter des solutions, mais de nous emmener à réfléchir au fond de nous-mêmes à ce que peuvent être lesdites solutions et aux moyens de les mettre en œuvre. On ne comprend pas le monde, on ne cautérise pas les plaies du monde, si l'on ne se met pas en débat avec soi, au fond de soi, si l'on n'explore pas son monde avec courage et intégrité, avec détermination et éthique.

Féconder un sens

A quoi vont s'employer nos invités ? A nous parler de bonheur avec Boris Cyrulnik, de jeunesse avec Salomé Berlioux et François Dubet, de santé des patrons avec Christian Streiff, de finance responsable avec Clara Gaymard, de prospective avec Michel Camdessus, de transformation avec Isabelle Delannoy et Gilles Bœuf. Mais plus encore, à nous convaincre que chacun d'entre nous, à son modeste niveau, peut et même doit participer à revitaliser l'Humanité, à féconder un sens qui l'a fuit ou lui échappe, et pour cela, sans tabou ni préjugés ni précaution, à investiguer les méandres de sa conscience, à bousculer ses certitudes les plus tenaces, à creuser au plus loin dans les anfractuosités, là où se nichent ses richesses les plus insoupçonnées. Ils vont s'attacher aussi à nous éclairer sur le contenu du préfixe co. Co comme coopération, support de l'économie symbiotique conceptualisée par Isabelle Delannoy, co comme coopétition, co-innovation, collaboration, co-élaboration, co-construction qui, l'illustre si bien le paléoanthropologue Pascal Picq, sont au cœur de la révolution que nous devons conduire. Oui, l'heure est d'être tous des militants, des révolutionnaires engagés à réenchanter le monde. Mais pour cela, nous avons besoin de croire, nous avons besoin d'espérer, et nous avons besoin d'agir.

Voilà la mission de nos invités : nous donner des raisons de croire, d'espérer, d'agir. Et nous mettre sur le chemin de la « bonne » responsabilité, celle qui fait congruence entre ses enjeux propres et les enjeux d'autrui, nous indiquer la voie d'exaucer le vœu de Jean Jaurès : « comprendre le réel pour aller vers l'idéal », et ainsi dessiner une grande utopie fédératrice, rédiger un récit commun. Ce n'est pas ces 4 et 7 février à Bordeaux que nous y parviendrons, mais ce jour-là nous pouvons faire un pas dans ce sens.

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Commentaire 1
à écrit le 28/01/2020 à 15:04
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“Les politiques grecs ne reconnaissent d’autre force que celle de la vertu. Ceux d’aujourd’hui ne vous parlent que de manufactures, de commerce, de finances, de richesses et de luxe même." Montesquieu

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