Pour Darwin, pas question de "laisser béton" (1/3)

Le conflit dure maintenant depuis plus d'un an et s'est à nouveau durci ces derniers jours. L'écosystème Darwin, sur la rive droite de Bordeaux, continue à dénoncer "la politique d'étouffement" de l'aménageur de la ZAC Bastide Niel, Bordeaux Métropole Aménagement. Et prévient clairement : "On va se battre. Mais on n'attendra pas de faire faillite pour partir", assène Philippe Barre, le cofondateur.
Dès l'entrée de l'écosystème Darwin, la couleur est annoncée
Dès l'entrée de l'écosystème Darwin, la couleur est annoncée (Crédits : La Tribune / Mikaël Lozano)

"Ils posent des palissades, des plots de béton, des grilles, le calendrier prévu n'est jamais respecté. C'est une véritable politique d'étouffement alors qu'on ne pèse qu'1 % de l'espace de la ZAC." Assis sur un tabouret devant le resto bio Le Magasin général, Philippe Barre peine à contenir sa colère. On le sait depuis longtemps, le cofondateur de l'écosystème Darwin à travers le groupe Evolution ne porte pas Bordeaux Métropole Aménagement dans son cœur. La réciproque est d'ailleurs tout à fait vraie.

Rappel des faits : BMA est l'aménageur de la ZAC(zone d'aménagement concerté) Bastide Niel, qui enserre Darwin. En 10 ans, ce tiers-lieu atypique a prouvé que l'on pouvait concilier activités économiques, associatives, réflexions et actions en matière d'économie collaborative et de préservation de l'environnement. Aujourd'hui, Darwin pèse 750 emplois en direct à travers les structures hébergées sur l'ancienne friche militaire reconvertie, d'après ses fondateurs. Mais le démarrage de la ZAC malmène sévèrement l'écosystème, son accès et sa sérénité. Son espace aussi. Si bien qu'une mission de médiation est menée depuis de nombreux mois par l'adjointe au maire, Elizabeth Touton. Mais la colère flambe de nouveau, matérialisée par la campagne "Laisse pas béton" impulsée par Darwin. Philippe Barre bat de nouveau le tambour.

"On veut nous faire passer pour des enfants capricieux recroquevillés sur leur bout de territoire. Mais Darwin est devenu au fil du temps semi-public et c'est tant mieux ! On s'est fait ratiboiser, on a concédé 15.000 m2 dévolus aux activités associatives. La ferme urbaine doit disparaître au profit d'un parking, les ruchers aussi, lees mineurs non accompagnés hébergés avec Emmaüs Gironde et que l'on aide à s'insérer sont menacés, le lycée Edgar Morin également. Mais on ne va pas libérer ces espaces. Poursuivre dans cette direction, c'est toucher aux fondamentaux de l'écosystème et on dit maintenant stop ! On ne cible pas Alain Juppé : sans lui, Darwin n'aurait pas existé. Il nous a laissé tester, expérimenter. Si ça n'avait pas été fructueux, depuis 10 ans on le saurait. Mais au contraire Darwin est devenu fertile et regardé de loin. On reçoit des sollicitations de partout pour dupliquer l'écosystème dans d'autres villes françaises et étrangères. On est devenu le 2e lieu le plus visité de la ville !"

Dans le viseur d'Evolution, on ne trouve donc ni Alain Juppé, ni Elizabeth Touton, "volontaire et bienveillante", ni les autres élus que sont "Marc Lafosse, Nicolas Thierry, Jean-Luc Gleyze, Nicolas Florian, Anne Walryck..." mais des cibles bien identifiées : Pascal Gérasimo, le patron de Bordeaux Métropole Aménagement, le maire du quartier de La Bastide, Jérôme Siri, et les directeurs des services et de l'urbanisme à la Métropole, pointe Philippe Barre, qui dit "très bien travailler avec les services de la Métropole, culture, enfance, même avec la commission de sécurité".

"Un entrepreneur, pas un zadiste"

"J'ai été prévenu que BMA avait pris des contacts pour envisager un magasin bio avec des enseignes de la grande distribution. Comme si je n'allais pas être au courant", rit jaune Philippe Barre, fils des fondateurs du centre commercial de Sainte-Eulalie et du supermarché Leclerc d'Arcachon.

"On veut raser la ferme urbaine Niel et en créer une autre plus loin par un acteur parisien, là même où vit aujourd'hui la Zone d'agriculture urbaine expérimentale. Je ne suis pas un zadiste, je suis un entrepreneur. Nous, à Evolution, on vendra, on n'attendra pas de faire faillite. Depuis un an et demi, il n'y a plus qu'une entrée, l'autre a été bouchée et on vient d'ailleurs d'y envoyer un drone derrière la palissade érigée contre l'avis d'Alain Juppé : rien n'a bougé depuis un an et demi ! Pour des raisons de sécurité, on nous dit que désormais, Darwin c'est 500 personnes maximum présentes sur l'écosystème. A 10 heures du matin on est le double ! Si on bloque l'accès à Darwin, on menace les emplois liés à la vie du site. Tous ces gens perdront leur travail et demanderont des comptes un jour. Nous les premiers, on n'avait pas prévu un tel engouement pour Darwin et son modèle. Tant mieux ! On ne réclame pas de s'étendre mais de pouvoir pérenniser les bases de l'écosystème. On nous parle du projet des Magasins généreux. Nous sommes propriétaire de cette partie depuis 3 mois. Mais on travaille dessus depuis 2008 et on a mis 5 ans à obtenir ces 7.000 m2 alors qu'à côté un promoteur récupère 30.000 m2 sans appel d'offre public !"

Darwin écosystème Bordeaux

La 2e entrée du site est bloquée par une palissade, ne reste plus que l'accès par le quai (photo La Tribune / ML)

Un flibustier dans la tempête

Et maintenant ? "On ne va plus se laisser faire, on va se battre. Et on a du soutien", affirme Philippe Barre, qui cite en exemple ce promoteur immobilier venu se rendre compte par lui-même des points de blocage et qui en est reparti "abasourdi. Il nous a dit lui-même : « Darwin, c'est utile pour nous promoteurs ! C'est un pôle d'attractivité, de vie qui existe déjà au milieu d'un quartier en devenir, c'est précieux. » Et encore une fois, on parle d'une zone qui représente 1 % de la ZAC !"

Ces derniers jours, Jean-Luc Gleyze a apporté un soutien public remarqué. Le président PS du Conseil départemental de la Gironde a publié un long texte sur son compte Facebook :

"L'avis que je souhaite exprimer ici est celui d'un gâchis qui s'annonce, et qui, au-delà de Darwin, témoigne d'une lucidité défaillante à l'égard des changements fondamentaux de notre société, assène l'élu. Darwin incarne à Bordeaux un mouvement de fond qui transcende les pays, en même temps qu'il divise sur la vision du monde. D'un côté, la société productiviste, consommatrice de biens et d'espaces, énergivore, dont l'avènement fut la période des « 30 Glorieuses », et dont l'appétit insatiable s'inscrivait en réaction à la brutalité des deux Guerres Mondiales et de leur entre-deux. De l'autre, une société de responsabilité, de réparation, de résilience, qui tente de poser le pied sur le frein pour éviter l'irréparable, en proposant un modèle alternatif, plus respectueux de l'humain et de son environnement. [...] Darwin n'est sans doute pas un modèle parfait. Il a cependant le mérite, dans son expérimentation, de démontrer sa capacité à fonctionner et à provoquer l'appétence. Devenir le 2ème lieu touristique de Bordeaux témoigne combien il fait école, comme d'autres lieux similaires dans le monde, comme d'autres expériences aussi en secteur rural. Il est facile de le réduire à une usine à bobos gauchistes. Son audace courageuse en fait pourtant un pilote, un modèle, une proue que l'on voit en tête du bateau."

Bateau qui navigue sur une mer loin d'être morte. Mais le flibustier Darwin compte bien s'accrocher.

Darwin écosystème Bordeaux

"Les bandits" : des Darwiniens facétieux ont semble-t-il rebaptisé Bordeaux Métropole Aménagement... (photo La Tribune / ML)

Lire aussi : Sigfox, MK2, Back Market... à quoi ressembleront les Magasins généreux de Darwin ? (2/3)

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Commentaire 1
à écrit le 25/06/2018 à 22:16
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Je ne signerai pas de pétition pour Darwin. Nous intervenions à Darwin et n'avons vu que très peu de projets solides. Par contre beaucoup d'autoentrepreneurs 'rêveurs' et en 'survie' essayant de ne pas payer d'impôts, de cotisations, etc. Enfin des '...

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