Marché de l'emploi : les Bordelaises mettent le cap sur l'ambition (1/7)

Les Bordelaises multiplient les initiatives pour favoriser la recherche de l'emploi, l’entreprenariat féminin, la reconversion professionnelle et le travailler autrement. Une belle dynamique qui est aussi le reflet de leurs difficultés sur le marché du travail local.
Les Bordelaises Valentine Bardinet et Séverine Valette ont créé le salon Profession'L dédié à la reconversion professionnelle des femmes.
Les Bordelaises Valentine Bardinet et Séverine Valette ont créé le salon Profession'L dédié à la reconversion professionnelle des femmes. (Crédits : Agence APPA)

Création d'entreprise, reconversion professionnelle, développement de business : Bordeaux est une ville qui conjugue ses nombreux réseaux au féminin. De l'accueil des nouvelles venues à la recherche d'emploi en passant par la prise de confiance, le networking et l'incubateur de startups : les femmes se serrent les coudes et se tendent la main pour s'insérer et s'imposer sur un marché de l'emploi bordelais aussi dynamique que concurrentiel. Si beaucoup d'inégalités conscientes et inconscientes demeurent dans les esprits comme dans les réalités quotidiennes du monde du travail, les choses évoluent progressivement dans la bonne direction.

Les Bordelaises - qu'elles soient là depuis toujours ou depuis seulement quelques mois - n'hésitent plus à s'affirmer dans le monde économique sous toutes ses facettes, y compris les traditionnels pré-carrés masculins. Parmi d'autres exemples, c'est ainsi une femme qui préside le tribunal de commerce, une femme qui préside la Chambre des métiers et une femme qui préside la Fédération française du bâtiment de Gironde. "Avec leurs compétences et leur capacité de travail, les femmes prennent toute leur place dans l'évolution économique de Bordeaux liée à la Métropole, la French tech et la ligne à grande vitesse vers Paris", considère ainsi Cécile Despons, directrice du restaurant Le Gabriel et présidente du réseau Femmes cheffes d'entreprise à Bordeaux.

Succès made in Bordeaux

Ancrés dans le marché de l'emploi local, le salon Profession'L et le réseau social L'Connect sont deux créations "made in Bordeaux" qui témoignent de cette vitalité. Profession'L est un évènement dédié à la reconversion professionnelle des femmes, au sens large, créé en 2012 par deux Bordelaises, Séverine Valette et Valentine Bardinet.

"Nous sommes parties du constat que les femmes ont des problématiques spécifiques liées à leur parcours professionnel qui s'arrête souvent en raison d'un enfant, de la mutation du conjoint, d'un licenciement ou d'envies personnelles", se souvient Séverine Valette, la directrice générale du salon qui compte deux reconversions à son actif.

A travers des conférences, des ateliers, des rendez-vous individuels et des jobs datings, Profession'L ambitionne ainsi de favoriser la recherche d'emploi, la création d'entreprise, la formation vers de nouveaux métiers et l'accompagnement individuel au plus près des envies et des besoins des femmes.

3.000 participantes à l'édition 2018

Un pari qui s'est avéré payant puisque le salon fait le plein. Il a réuni 3.000 participantes lors de sa sixième édition, la première sur deux jours, les 8 et 9 mars 2018 à l'Hôtel de ville de Bordeaux. Un succès qui fait école bien au-delà des rives de la Garonne puisque Professionn'L s'exportera à Lyon en septembre, à Nantes en octobre et à Poitiers, dès le 22 juin prochain.

"La reconversion professionnelle a toujours existé mais elle est davantage mise en lumière aujourd'hui, elle est entrée dans les mentalités. C'est un processus long et les femmes reviennent souvent d'une année à l'autre pour mûrir leur projet, témoigne Séverine Valette. L'atmosphère féminine bienveillante favorise la prise de parole, en particulier pour celles qui sont éloignées de l'emploi et en perte de confiance."

L'autre succès "made in Bordeaux" est à mettre au crédit de huit femmes, huit Bordelaises d'origine ou d'adoption, qui ont lancé fin 2012 L'Connect, un réseau social professionnel dédié aux femmes de la métropole girondine. Pour 20 € par an, L'Connect offre un accès privilégié à des milliers de contacts, répertorie 300 évènements annuels et propose des forums dédiés au numérique, à l'économie sociale et solidaire, aux nouvelles bordelaises et au "travailler autrement".

"Chaque adhérente prend ce qu'elle veut et donne ce qu'elle veut. Le réseau permet de s'informer et de se faire connaître à Bordeaux où la notion de confiance et de recommandation est très importante sur le marché de l'emploi", décrypte Audrey Guidez, consultante RH et l'une des fondatrices de L'Connect.

Là encore, le réseau a su convaincre dans la durée : il devrait dépasser la barre des 3.000 "connectées" actives cet été, date à laquelle il espère pouvoir créer deux postes de salariés grâce au mécénat d'entreprises locales.

Quant aux projets à l'export, ils se feront directement à l'international. Des jalons ont été posés en novembre dernier au Global entrepreneurship summit (GES) d'Hyderabad, en Inde, où les filles d'L'Connect ont fait le déplacement. La multiplication des réseaux professionnels féminins dépasse en effet largement les terres bordelaises. "Il y en avait l'an dernier plus de 600 en France, un nombre qui a triplé en dix ans", selon Emmanuelle Gagliardi, présidente de Connecting women et du mouvement "#PPF Pulvériser le plafond de verre".

Les "slasheuses"

Néanmoins, ces deux initiatives locales répondent d'abord à une forte demande sur le marché de l'emploi bordelais en matière de reconversion professionnelle et de création d'entreprise, deux démarches qui peuvent d'ailleurs aller de pair. "Il y a 5 ans, les femmes voulaient évoluer dans leur entreprise. Aujourd'hui, elles assument de changer de voie, de créer leur entreprise, de changer de métier", constate ainsi Audrey Guidez. Année après année, le chemin est toujours plus balisé, les outils plus nombreux et les exemples de reconversions réussies font école. Les femmes se saisissent donc activement de leur parcours : elles sont majoritaires - environ 55 % - dans le recours au Conseiller en évolution professionnelle (CEP), proposé notamment par l'Apec et Pôle emploi, tout comme dans les ateliers de la Maison de l'Emploi ou dans les outils de bilan de compétence et de validation des acquis de l'expérience (VAE) du Centre interinstitutionnel du bilan de compétences de Gironde (CIBC 33). "Les trajectoires de reconversion professionnelle commencent à être entendues mais c'est encore loin d'être généralisé et l'acceptation des parcours professionnels atypique est encore trop rare dans les entreprises", relativise Benoît Meyer, le directeur de Pôle emploi en Gironde.

Pas de quoi doucher l'enthousiasme de Laetitia Lemoine, fondatrice de « Madame Toutlemonde est une bombasse », cabinet de conseil à la création d'entreprise dans le bien-être : "De plus en plus de femmes osent se lancer dans la création d'entreprise lors d'une reconversion avec un moment clef autour de 40 ans. Il y a un aspect financier et pratique mais beaucoup de femmes cherchent surtout à donner un sens à leur vie professionnelle." Pour cette entrepreneure bordelaise, ancienne esthéticienne reconvertie : "Le secteur de l'e-commerce est très prisé par les femmes car il nécessite peu de formation et d'apport financier tout en permettant de viser un business XXL."

La boîte-à-outils du numérique, combinée à l'essor de l'auto-entrepreneure et de la pluri-activités, facilite en effet grandement les reconversions avec en filigrane la figure de la "slasheuse" ou l'art de cumuler plusieurs "métiers". "Il y a un essor récent du multi-statuts avec des slasheuses salariées mais qui ont une ou plusieurs activités à côté", confirme Vanessa Marie, conseillère en gestion de carrière au CIBC 33. Les femmes font ainsi feu de tout bois : freelance, télétravail, coworking, portage salarial, temps partiels choisis, startups, blogs... Autant d'opportunités de faire rimer business avec souplesse. "Cela leur apporte une flexibilité qui correspond à leur volonté de combiner temps personnel et contraintes professionnelles", confirme Isabelle Massus, responsable du pôle animation territoriale de la Maison de l'emploi de Bordeaux, qui poursuit : "J'ai le sentiment que les femmes sont plus enclines que les hommes à aller vers des formes alternatives dans leur recherche d'emploi comme dans leur vie professionnelle, même s'il y a aussi un effet générationnel."

Des femmes discriminées

Une ouverture d'esprit et un activisme très positifs mais qui sont aussi le reflet direct des difficultés qu'elles rencontrent sur le marché du travail, y compris à Bordeaux. En décembre dernier, il y avait ainsi 46.200 femmes inscrites à Pole emploi en catégorie A dans la Métropole contre 43.840 hommes. Plus inquiétant, le chômage des femmes, toutes catégories confondues, a augmenté de 6,5 % en 2017 à Bordeaux Métropole, contre "seulement" 2,2 % chez les hommes. Parallèlement, les femmes restent inscrites plus longtemps que les hommes à Pôle emploi et 25 % de celles qui ont un emploi travaillent à temps partiel contre seulement 8 % des hommes. Tout cela notamment en raison de contraintes familiales qui les rendent moins mobiles : 20 % des mères en Nouvelle-Aquitaine élèvent seules leur enfant, selon l'Insee. Au niveau national, tout cela se traduit par un salaire mensuel net moyen de 1.962 € pour les femmes contre 2.410 € pour les hommes.

"Il y a toujours des écarts importants avec les hommes mais ils tendent à se réduire", rassure Benoît Meyer, le directeur départemental de Pôle emploi. "Par exemple, en 5 ans, le nombre de femmes cadres et agents de maîtrise en Gironde a progressé de 25 % contre 11 % pour les hommes même s'ils restent majoritaires en volume."

Plus globalement, le surchômage des femmes constaté en Gironde s'explique aussi par l'embellie économique qui a concerné dès 2016 l'industrie et le BTP, deux secteurs très masculins, mais qui s'amplifie dans tous les secteurs d'activités. Un rééquilibrage mécanique au profit des femmes devraient donc se produire dans les mois à venir.

Lire aussi : Numérique, BTP, aéronautique : ces secteurs qui se féminisent enfin ! (2/8)

Marché de l'emploi à deux vitesses

Derrière ces difficultés et ces opportunités, se dessine aussi un marché de l'emploi à deux vitesses. Le monde du coworking, de la startup et de la slasheuse reste très homogène socialement et réservé à des catégories socio-professionnelles supérieures. 85 % des femmes incubées par les Premières Nouvelle-Aquitaine ont au minimum une formation de niveau Bac+4 tandis que 80 % des participantes au salon Profession'L de Bordeaux l'an dernier détenaient au moins un Bac+5. A titre de comparaison, en Nouvelle-Aquitaine, 54 % des demandeurs d'emploi ont une qualification inférieure ou égale au niveau CAP/BEP et 76 % inférieure au niveau BAC. La reconversion professionnelle ressemble donc bien à un produit de luxe tant elle suppose de combiner bagage intellectuel, temps disponible et ressources financières propres ou familiales.

"Nous sommes conscientes de ce problème, c'est pourquoi nous avons décidé, depuis cette année, de diffuser toutes les interventions sur internet et de délocaliser des ateliers et des coachs dans des mairies de quartier pour rendre le salon accessible au plus grand nombre", explique Séverine Valette, la directrice générale de Profession'L, qui fait face à un problème plus large. "Toutes ces démarches de formation continue et de reconversion sont beaucoup plus sollicitées par les publics plus diplômés et plus qualifiés. C'est encore une réalité : plus on est formé, plus on se forme", confirme ainsi Benoît Meyer, le directeur de Pôle emploi Gironde, qui appelle les organismes publics "à être volontaristes dans l'accompagnement renforcé des publics les moins qualifiés pour éviter qu'ils ne soient les oubliés de la reprise économique actuelle". C'est précisément l'un des objectifs affichés de la réforme de la formation professionnelle présentée début mars par le gouvernement qui souhaite notamment favoriser un rattrapage de la formation des ouvriers et salariés par rapport aux cadres et bonifier les droits des salariés à temps partiel... qui sont des femmes dans 80 % des cas.

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Cet article est le premier d'une série de 7 déjà parus dans le dossier dédié à l'emploi des femmes dans la métropole bordelaise, en kiosque le 23 mars dernier. Le site de La Tribune les publiera au fil des prochains jours.

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Commentaires 2
à écrit le 26/04/2018 à 10:48
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Concernée puisque c'est le cursus décrit dans l'article que j'ai suivi à mon arrivée sur Bordeaux, le réseau Lconnect riche en conseils et contacts pour comprendre l'économie bordelaise, la participation au lancement du couteau Suisse L'connect, le s...

à écrit le 23/04/2018 à 15:21
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Que de belles expressions pour dire que l'emploi des femmes et en particulier de femmes diplômées sur Bordeaux est une vraie galère. Combien de bac+5 prennent des postes où c'est pour payer la maison ou se lancent dans des aventures vouées à l'échec....

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