Ces startups qui veulent refinancer l’agriculture autrement

À côté d’une crise agricole majeure, le secteur de l’agritech est en plein essor. Les startups vantent une myriade de solutions lucratives pour redonner du revenu aux exploitations en convoitant aussi bien l’épargne citoyenne que les obligations financières des grands groupes.
(Crédits : Creative Commons)

La colère des agriculteurs est à la hauteur de leur asphyxie financière. Mais dans cette crise qui dure sans voir émerger de solution satisfaisante pour le revenu, les startups de l'Agritech restent discrètes. Pourtant, certaines veulent précisément alléger la charge financière qui pèse sur les exploitants. Et sur les 250 startups AgriTech recensées en 2021 par La Ferme Digitale, les stratégies sont très variées.

Aux grandes crises, les grands leviers. Et pourquoi pas aller chercher les profits des grands groupes pour financer l'agriculture régénératrice ? C'est l'ambition de la startup Regeneration, créée en 2021 à Bordeaux, qui compte à sa tête des figures expérimentées : Thomas Rabant, ancien directeur du semencier Limagrain, Félix Noblia, agriculteur basque, et Mathilde Le Roy, la présidente de la French Tech Bordeaux. Le trio veut surfer sur la réglementation environnementale CSRD, entrée en vigueur le 1er janvier 2024 à l'échelle européenne, qui oblige les grandes entreprises à mesurer leurs impacts. Ou quand les géants du luxe se mettent à financer la plantation de haies ou de couverts végétaux.

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« On s'est positionné sur la trajectoire des marchés carbone : on veut mesurer ce qu'il se passe dans les champs et mettre cela en lien avec des standards internationaux sur la mesure de la captation carbone. Plus qu'un référentiel, c'est un modèle de mesure qui permet de vérifier la réalité des efforts », explique Félix Noblia. La start-up présente un modèle sans frais pour l'agriculteur où 60 % de la somme investie par le client lui revient. Regeneration touche la partie restante et met en place un parcours d'accompagnement pour cibler les actions les plus pertinentes à entreprendre sur l'exploitation. Un levier à grande échelle impératif pour répondre à « la crise de la valeur insoluble » que traverse le monde agricole, selon les entrepreneurs.

Diluer les coûts

Comme Regeneration, de nombreuses sociétés de l'Agritech choisissent de ne pas faire peser l'investissement sur les exploitants déjà à bout de souffle. « On ne leur demande pas de payer, si ça ne marche pas ils auront seulement perdu du temps. » Dans cette perspective, faire peser les coûts sur un acteur tiers peut donner plus de chance de réussite. Notamment lorsque l'investissement dans un service peut représenter un coût élevé pour de petites exploitations.

Sencrop, qui fournit des données météorologiques ultra-locales (pluviométrie, hygrométrie, vent, radiation solaire, etc.) en temps réel grâce à des capteurs positionnés dans les champs, en est un exemple. Le service est directement bénéfique aux agriculteurs, assure Martin Ducroquet, cofondateur de la startup lilloise et fils d'agriculteur : « Ça permet de mieux s'organiser, de prévoir le gel, d'intervenir au bon moment au bon endroit, d'économiser du carburant et des intrants, de mieux gérer les ressources. » Mais l'accès au service se fait moyennant un abonnement de 100 à 300 euros pour une exploitation, auquel il faut ajouter le coût d'une station météo, pour avoir les données les plus précises possibles : 350 euros.

Pour s'adresser au plus grand nombre, Sencrop déploie ses stations météo auprès des coopératives ou des appellations. La Tour, première coopérative 100 % Bio des Pyrénées-Orientales, a constitué en octobre 2022 un réseau commun d'une dizaine de stations météo Sencrop, suivie en mai dernier par l'EURL Souchet dans les Deux-Sèvres. Favoriser le collectif et la mutualisation est un choix qui permet de contourner les coûts d'installation du service, tout en améliorant son efficacité.

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Reconnecter les particuliers aux agriculteurs

Avec son associé Michael Bruniaux, l'entrepreneur veut fournir un service semblable à un « compagnon de l'agriculteur ». Une profession que Martin Ducroquet juge sans solutions entre « un climat de plus en plus sévère d'un côté, des injonctions de la société civile sur la réduction des intrants de l'autre, tout cela dans un contexte inflationniste ». Mais la crise a au moins le mérite de mettre le doigt sur des problèmes systémiques, et pourquoi pas ainsi de mobiliser les citoyens. C'est ce qu'espère Hectarea, une startup girondine créée en novembre 2022, qui travaille à la finance participative des terres. Objectif, faire « matcher » les candidats à l'installation avec les particuliers. Les cofondateurs, Paul Rodrigues, fils de viticulteur, et Adime Amoukou, entendent diminuer la « pression financière » qui pèse sur la profession, en captant l'épargne citoyenne.

En fin d'année 2023, Hectarea a ainsi accompagné son premier projet : l'agrandissement d'une exploitation maraîchère et céréalière avec une conversion en bio. 91 particuliers ont investi 175.000 euros pour financer cette opération. « On apporte une solution concrète pour aider à se financer, sans tomber dans l'accaparement des terres par des gros groupes », se réjouit Paul Rodrigues. Mais cet ancien de la finance ne se cache pas de mettre la rentabilité de l'opération au cœur du modèle économique : « On ne veut pas être un énième don. C'est très bien le don, mais c'est pas tenable de toujours ponctionner le secteur agricole à coup de dons. Il faut aller sur du concret et du durable. »

Payer sans faire payer

Paul Rodrigues espère ainsi participer à réduire le « fossé entre le monde agricole et les consommateurs », mais déplore les choix de consommation du grand public : « 70 % des fruits et légumes qu'on consomme sont importés. » Que peut-on justement espérer d'un consommateur au pouvoir d'achat limité, à la recherche de prix toujours plus bas ? Beaucoup de producteurs peinent à valoriser leur production de qualité et sont parfois contraints de transformer leurs produits frais ou, pire, de les jeter. C'est pour éviter ce travers que les jeunes fondatrices de Pimp'Up se sont lancées en 2021, depuis Montpellier. Avec la volonté, là aussi, de ne rien faire payer à l'agriculteur. « On travaille en direct avec eux, on veut leur acheter une production qui n'est pas valorisée, assure Anaïs Lacombe. La moitié des revenus générés va aux agriculteurs. »

Une solution de bon sens pour des produits vendus à un prix inférieur que sur le marché courant. Et donc économiquement plus attractifs pour le consommateur. Mais au-delà de l'opportunité d'appoint, ce modèle ne nourrit pas un modèle de revenu solide dans le temps. Anaïs Lacombe le reconnaît : « On est une réelle solution pour venir les aider mais évidemment ça ne va pas suffire. » Sur ce point, les figures de l'Agritech sont unanimes.

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L'Agritech prend sa place

Le secteur occupe une place solide dans le paysage des startup françaises. En 2022, l'Agritech a levé 490 millions d'euros avec un ticket moyen à 18,2 millions d'euros, selon La Ferme Digitale. Et ce alors même que le financement des startups a chuté de 68 % sur un an en 2022, selon le cabinet KPMG. L'Agritech française est encore loin de ses concurrents américain et chinois, leaders sur le e-commerce et la livraison, mais elle se démarque sur d'autres thématiques : l'élevage industriel d'insectes, la culture des algues, la robotique agricole, les technologies de conseil aux agriculteurs, mais aussi des services digitaux pour la restauration ou l'anti-gaspi.

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Commentaires 4
à écrit le 25/03/2024 à 11:08
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Les petites et moyennes exploitations n'ont aucun interet à grossir et à vouloir jouer dans la coure des grands elles aurait à tout y perdre. Que leurs dirigeants s'éloignent du dicta des instances agricoles , qu'ils jouent la qualité avec ou sans la...

à écrit le 25/03/2024 à 9:59
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"Et pourquoi pas aller chercher les profits des grands groupes pour financer l'agriculture régénératrice ?" Une très mauvaise idée, conditionner le "bien" au "mal" c'est imposer ce dernier a perpétuité. C'est d'ailleurs un véritable problème de synch...

le 25/03/2024 à 11:32
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Ils ne sont pas nuls ils subissent le dicta de la finance international ,nous ne sommes plus au temps où de Gaulle disait " la politique de la France ne se fait pas à la corbeille " ( bourse ) .En ce qui concerne votre suggestion sur la permaculture ...

le 25/03/2024 à 11:45
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"Ils ne sont pas nuls ils subissent le dicta de la finance international" Un dirigeant qui "subi" soit n'est pas dirigeant soit il est nul. Je te garantie que la définition du mot "dirigeant" ne porte à aucune confusion possible. Arrêtez de bavarder ...

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