Frappé par une épidémie virulente de mildiou, le vignoble bordelais s'enfonce dans la crise

L'épidémie de mildiou qui frappe de plein fouet le vignoble bordelais en ce début d'été 2023 vient alourdir un climat déjà rendu délétère par une crise économique sans précédent. Alternant épisodes de chaleur et de pluie, le climat presque tropical est le grand déclencheur de ce nouveau fléau qui prospère sur un terrain d'autant plus calamiteux que des milliers d'hectares de vigne sont laissés à l'abandon dans le Bordelais, sans aucun traitement. Tandis que plus d'un vigneron se sent désarmé face au mildiou avec la limitation de l'usage des produits phytosanitaires. (Réactualisé 20/07/2023 : le ministre de l'Agriculture et de la Souveraineté alimentaire va rencontrer les assureurs).
(Crédits : IFV Sud-Ouest www.vignevin-sudouest.com)

La Gironde fait partie des six départements du Sud-Ouest très fortement touchés par l'épidémie de mildiou de cet été 2023. Elle partage cette situation alarmante avec trois autres départements néo-aquitains (Dordogne, Lot-et-Garonne, Pyrénées-Atlantiques) et deux occitans (Gers, Lot). C'est ainsi par exemple que les vignobles de Buzet (Lot-et-Garonne), Irouléguy et Jurançon (Pyrénées-Atlantiques) n'ont pas échappé au fléau, pas plus que le Bergeracois. Mais le vignoble bordelais semble bien avoir décroché la timbale de cette loterie épidémique.

Si l'ampleur des dégâts provoqués dans les vignobles par cette épidémie historiquement très virulente n'est pas encore connue, la Chambre d'agriculture de la Gironde a déjà une idée assez précise de la situation en Nouvelle-Aquitaine :

« Le suivi de 86 parcelles de référence réalisé par le réseau des chambres d'agriculture au niveau de la Nouvelle-Aquitaine et coordonné par la Gironde montre que 90 % des vignes sont touchées, à plus ou moins grande échelle ! »

Une situation dramatique dans un vignoble bordelais déjà plongé en pleine crise économique et qui a provoqué la réaction de nombreux élus. Dont la sénatrice girondine Nathalie Delattre, le député bourguignon Didier Paris, et Vincent Léglantier, conseiller municipal de Sézanne, près de Reims, en Champagne, tous trois membres de l'Association nationale des élus de la vigne et du vin (Anev), qui demandent au ministre de l'Agriculture et la Souveraineté alimentaire, Marc Fesneau, d'agir vite étant donné un contexte girondin explosif, où il est question d'arracher définitivement 9.500 hectares de vignes.

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« Déclencher le nouveau dispositif assurantiel »

Les élus de l'Anev, qui demandent au ministre de l'Agriculture de lancer un diagnostic d'urgence sanitaire sur le vignoble, sont clairs sur leurs attentes.

« Ce diagnostic d'urgence doit permettre de déclencher le nouveau dispositif assurantiel universel au bénéfice des professionnels ayant subi plus de 50% de perte de récolte en raison de l'excès de pluviométrie constaté », font-ils valoir.

Une préoccupation également partagée par trois députés girondins de la majorité présidentielle : Florent Boudié, Pascal Lavergne et Sophie Mette, qui, dans un autre courrier commun, « alertent les services de l'Etat sur la violente attaque de mildiou que subit l'ensemble du vignoble... dans le département de la Gironde ».

Mais tous ces élus vont devoir attendre. Si, comme espéré, le ministre de l'Agriculture et de la Souveraineté alimentaire est bien venu dans le vignoble girondin ce mercredi 19 juillet, et qu'il a visité le vignoble Ducourt, à Ladaux (14 châteaux/480 hectares),  désormais emblématique dans le développement de pieds de vigne résistants au mildiou, il n'a en revanche rien annoncé de décisif. Se refusant, comme l'a relaté France Bleu Gironde, d'engager le gouvernent sur la voie d'une déclaration d'état de calamité agricole pour le vignoble girondin, comme l'attendaient pourtant les professionnels. Il a en revanche promis de rencontrer les principaux assureurs pour les sensibiliser à la nature climatique de cette catastrophe.

« Nous ne pouvons plus faire de curatif »

Premier élément technique qui ressort de cette crise épidémique : l'importance des conditions climatiques. Même si ce choc climatique est loin de tout expliquer à lui seul estiment plusieurs vignerons, à commencer par Olivier Metzinger, à la tête du château Maine-Pascaud (25 hectares en Premières côtes de Bordeaux), à Rions (Entre-Deux-Mers/Sud Gironde), qui pointe ce qu'il considère être un inquiétant désarmement des viticulteurs en termes de produits phytosanitaires.

« Oui, nous sommes tous touchés à au moins 50 % : ici et dans les communes environnantes. La vigne commence à virer et nous espérons tous qu'avec la véraison (mûrissement des fruits -Ndr) tout ça va s'arrêter. Mais c'est une espérance car il y a encore du mildiou sur les feuilles. Nous n'avons plus que des produits préventifs, nous ne pouvons plus faire de curatif. Avant on pouvait rattraper un choc pareil en trois jours mais avec des produits qui sont aujourd'hui interdits parce qu'ils ont probablement été jugés trop toxiques» analyse ainsi avec une pointe de dépit Olivier Metzinger.

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Car pour lui cette puissante épidémie de mildiou qui frappe la vigne ne tardera pas à ravager d'autres productions agricoles également sensibles, comme la pomme de terre. Et pour les mêmes raisons. Ce qu'il considère comme un désarmement phytosanitaire suicidaire, non seulement avec la suppression de certains produits mais aussi l'écrasement des doses autorisées.

« En 1993, pour lutter contre le mildiou un hydroxyde de cuivre (substitut à la bouillie bordelaise -Ndr) dosé à 50%, c'était 6 kilos à l'hectare par traitement. Aujourd'hui le même produit est homologué à 1,5 kilo à l'hectare, et les préconisations des techniciens sont d'appliquer 0.8 à 1 kg/ha... Comment voulez-vous que ça ne décroche pas ? Si on divise par six la section des boulons des roues de voiture on risque d'avoir des accidents... », illustre avec ironie Olivier Metzinger.

« Les produits phytosanitaires ne sont plus aussi efficaces qu'avant »

Maire du Pian-sur-Garonne (en sud Gironde) et leader du collectif Viti33 - à l'origine de la manifestation du 6 décembre 2022 - Didier Cousiney, qui vient de vendre ses vignes pour les mettre en fermage, s'estime toujours vigneron puisque ses cuves sont encore pleines de vin et qu'il ne compte pas arrêter de militer pour la cause viticole

« Il y a un secteur, vers Saint-Macaire, Le-Pian-sur-Garonne, Saint-Maixant... où il n'y a pas une seule tache de mildiou sur les feuilles de vigne ! Mais dès que l'on remonte vers le nord de l'Entre-Deux-Mers, ça tape très dur et dans le Targonnais on monte entre 70 % et 100 % des parcelles touchées. De mémoire de viticulteur, je n'ai jamais vu ça.

Ensuite les produits phytosanitaires ne sont plus aussi efficaces qu'avant. Là il faut faire plusieurs passages pour traiter les vignes. Pour lutter contre le mildiou il faut que nous puissions utiliser des CMR (produits antifongiques classés "cancérigène, mutagène et reprotoxique"/ interdits dans les produits phytosanitaires -Ndr). La situation est tellement dure que je peux vous dire que beaucoup de vignerons ne s'en relèveront pas », juge le leader du collectif Viti33.

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Marc Fesneau s'engage à réunir les principaux assureurs

S'il n'a pas vraiment fait d'annonce, le ministre de l'Agriculture et de la Souveraineté alimentaire, Marc Fesneau, qui s'est rendu dans le domaine viticole de Jérémy Ducourt, à Ladaux (dans l'Entre-Deux-Mers), a rencontré les représentants des organisations professionnelles et des viticulteurs. Ces derniers lui ont fait savoir qu'ils demandent à ce que l'excès d'eau soit pris en compte cette année pour les assurances multirisques. Le mildiou étant la conséquence directe d'un aléa climatique. C'est pour faire suite à cette demande, que le ministre s'est engagé à réunir les principaux assureurs. Marc Fesneau a également laissé entendre que l'État pourrait activer d'autres dispositifs d'aides.

« Il y a en réalité 30.000 hectares de vigne qui ne sont plus traités »

Cogérant du château Gombaude-Guillot, en Pomerol (7,6 hectares) qui produit en bio, Dominique Techer, qui s'estime touché par le mildiou sur 30 % de ses parcelles, est aussi le porte-parole de la Confédération paysanne et le poil à gratter pour l'establishment viticole. Pour lui cette attaque massive du mildiou profite d'une situation délétère.

« On ne peut pas nier que nous connaissons une sorte de climat tropical marqué par de fortes chaleurs et une importante pluviométrie. Mais il faut compter aussi les conséquences de l'inconséquence de la filière bordelaise et de l'État. Après les manifestations des viticulteurs bordelais (le 6 décembre 2022 -Ndr) il a été décidé d'autoriser l'arrachage définitif de 10.000 hectares et l'on a fait semblant de ne pas voir, comme nous le répétons sans cesse, qu'il y a en réalité 30.000 hectares de vigne qui ne sont plus traités en Gironde et qu'il faudrait définitivement arracher.

En 2022 il a fait très sec. En 2023 il y a eu deux-trois pluies et je me suis dit "c'est foutu" quand j'ai appris qu'il y avait des concentrations sans précédent de spores de mildiou dans l'air. Le problème c'est cette concentration de spores, qui a été alimentée par des milliers d'hectares de vignes non traitées. Avec un inoculum pareil il est inévitable que les choses s'emballent et que l'on se retrouve dans cette situation catastrophique », déroule Dominique Techer.

« Nous ne savons pas encore avec précision quelles sont les surfaces en jeu »

Responsable du pôle viticulture-œnologie à la Chambre d'agriculture de la Gironde, Laurent Bernos confirme si besoin était que l'attaque de mildiou de ce début d'été est sans précédent et qu'elle est un produit de ce climat à tendance tropicale que nous connaissons.

« Il y a encore un mois tout allait bien, la situation était stable. Et puis le mildiou s'est développé à toute vitesse à partir de la mi-juin. En Gironde, l'Entre-Deux-Mers a été très touché. Aucun des autres secteurs du vignoble n'est indemne mais avec des niveaux d'infection différents. Nous ne savons pas encore avec précision quelles sont les surfaces en jeu. Il faut effectivement rajouter à ce tableau la question des vignes en friches, qui sont un facteur aggravant mais pas déclencheur. Les friches ne sont pas le problème numéro un. S'il n'y avait eu que huit jours de temps orageux nous n'en parlerions pas. Le climat c'est l'élément majeur », recadre en substance Laurent Bernos.

Avant d'aborder quelques autres points relevés par les vignerons

« Les rouges sont très touchés et en particulier le merlot, qui est vraiment un cépage emblématique du bordelais. Les cabernet et cabernet-franc sont un peu moins attaqués. Les vignerons, qu'ils soient bio ou conventionnels sont en difficultés parce qu'ils utilisent des produits de contact, comme la bouillie bordelaise, pour prévenir l'attaque du mildiou. Mais quand il pleut les pieds de vigne sont lessivés et cette protection disparait. Du fait de la pression sociétale les produits phytosanitaires pénétrants, qui entrent dans la plante et ne peuvent pas être lessivés, ont été mis de côté », déroule Laurent Bernos.

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Commentaires 3
à écrit le 20/07/2023 à 7:07
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Le problème numéro du mildiou étant ces millions de tonnes supplémentaires de produits empoisonnés pulvérisés, jamais cela n'a autant senti le glyphosate par chez moi que cette année. Bref quand il fait beau ils vident les points d'eau et quand il fa...

le 20/07/2023 à 8:09
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Ouh là là! Arrêtez de manger et reprenez vos études agricoles, car quand on confond un herbicide et un fongicide, c’est niveau certificat d’études...

le 20/07/2023 à 9:53
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J'étais sûr que ce commentaire que ne 'arrivais pas à voir était pour moi, attention quand on devient aussi prévisible ce n'est vraiment pas bon. Par ailleurs puisque vous abordez à votre façon le sujet, sachez que même les engrais, les simples engra...

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