LA TRIBUNE - La Banque postale pointe des droits de mutation à titre onéreux (DMTO) [assis sur les transactions immobilières, aussi appelés « frais de notaire »] en chute de 20 % sur l'ensemble du territoire. Quelle est la situation en Gironde ?
JEAN-LUC GLEYZE - Ces droits de mutation connaissent un dévissage vertigineux depuis février 2023. 550 millions d'euros de DMTO avaient été encaissés en 2022. En 2023, 520 millions avaient été inscrits au budget prévisionnel, le montant a été rectifié à 490 millions. Pour 2024, les recettes de DMTO se situeront dans une fourchette de 400 à 410 millions d'euros, soit une perte de 140 millions par rapport à l'encaissé de 2022 !
Dans les années post crise sanitaire, les recettes de DMTO ont cependant été exceptionnelles.
On nous oppose souvent que les départements retrouvent le niveau de DMTO de 2019. En Gironde, nous serons en dessous [431,2 millions perçus en 2019]. Surtout la situation n'est plus la même. Notre difficulté vient de ce que la chute vertigineuse - nos recettes de TVA baissent également de 12 millions d'euros cette année - correspond à un moment où il faut assumer des dépenses engagées déjà depuis plusieurs années. Depuis 2015, le département croît au rythme de 18.000, puis 20.000 habitants par an, ce qui signifie 1.000 collégiens de plus chaque année, donc plus d'un collège à créer par an et pour chacun 10 à 12 agents de restauration ou d'entretien à recruter.
La situation n'était-elle pas anticipable ?
Quand on anticipe, que fait-on ? On essaie de contraindre les dépenses ou d'augmenter les recettes. Or, aujourd'hui, nous n'avons plus de recettes à augmenter. Le pilotage d'un budget départemental privé de l'autonomie fiscale ne se fait plus que par la dépense, depuis qu'on nous a enlevé la taxe sur le foncier bâti [remplacée par une part de TVA]. C'est-à-dire qu'il faut réduire les services et les équipements que nous proposons aux Girondines et aux Girondins. Par exemple, sur les routes départementales, il faudrait normalement assurer leur restructuration au bout d'une quinzaine d'années. On avait déjà poussé le délai à 18 ans et on est en train de repousser à 23 ans. C'est-à-dire qu'on est en train de dégrader la qualité de maintenance de nos routes départementales. C'est ce qui me met en colère : nous sommes le premier niveau de collectivité privé de l'autonomie fiscale.
Qu'en est-il des financements de l'Etat ?
La solidarité nationale devrait contribuer à ce que nous assumions correctement nos délégations, données dans le cadre de la décentralisation. Prenons trois prestations : aide personnalisée à l'autonomie, prestation de compensation du handicap et revenu de solidarité active (RSA). La différence entre ce nous payons d'allocations et ce que nous verse l'État au titre de la solidarité nationale est de 348 millions chaque année. Soit à l'échelle d'un mandat, le montant du budget annuel du département. L'État nous prive de notre autonomie fiscale, et nous adosse des recettes (DMTO, TVA) volatiles et liées au marché, alors que nous finançons la solidarité départementale.
Vous appelez de vos vœux des solutions structurantes. Lesquelles ?
Il faut nous garantir des recettes solides, en cohérence avec nos missions et qui évoluent au même rythme que nos dépenses. Prenons l'exemple de l'autonomie. Elisabeth Borne a annoncé le versement de 150 millions d'euros à l'ensemble des départements en 2024, soit dans les grandes lignes 1,5 million par conseil départemental. Ce que l'on sait, c'est que l'augmentation des dépenses liés à l'autonomie représentera 2 milliards d'euros au niveau national en 2024. La loi de la « 5e branche » de la Sécurité sociale de 2020 prévoit qu'à partir de 2024, l'autonomie bénéficiera d'une fraction de CSG augmentée de 0,15 point, soit 2,6 milliards d'euros. Avec les 150 millions d'euros généreusement annoncés, on n'est donc pas à la maille de nos réalités ni à la maille de ce que reçoit l'État. La CSG devrait être plus fléchée sur les départements.
Pourquoi cet appel au rassemblement au pied du conseil départemental samedi matin ?
C'est un appel collectif, cosigné par le Département, la Région, Bordeaux Métropole, l'association des maires de Gironde et l'association des maires ruraux de Gironde. Cet « appel des Girondins » sera accompagné d'un courrier à l'attention du président de la République et de la Première ministre pour leur demander d'ouvrir les yeux sur la situation financière des collectivités et de les interpeller sur leur vision de la décentralisation. S'agit-il de faire mourir à petit feu les collectivités par asphyxie financière ? Est-ce une volonté de recentralisation ou de dégradation du service public pour le confier à des opérateurs privés, et on a vu ce qui s'est passé dans le milieu des maisons de retraite ou des crèches ?
Sujets les + commentés