Construction navale de Bordeaux (CNB) condamnée à devenir un simple site de production

Le départ du président et cofondateur de Construction navale de Bordeaux (CNB), Dieter Gust, va de pair avec la refonte du groupe vendéen Bénéteau, la maison-mère, et l'application d'un plan de sauvegarde de l'emploi sans précédent à CNB avec 74 suppressions de postes. Ce chantier naval mythique à Bordeaux, désormais placé sous le contrôle direct du groupe Bénéteau, n'a plus de personne physique et encore moins de Bordelais comme président.
Un yacht monocoque de CNB en test sur le bassin à flot N°1, devant le siège de Cdiscount.
Un yacht monocoque de CNB en test sur le bassin à flot N°1, devant le siège de Cdiscount. (Crédits : CNB)

Un plan de sauvegarde de l'emploi (PSE) est désormais lancé depuis quelques jours à Construction navale de Bordeaux (CNB), avec le premier CSE (comité social et économique) qui a été consacré à ce sujet. Rien n'est encore gravé dans le marbre même si ce PSE doit se conclure par la suppression de 74 postes dans la filiale bordelaise du groupe vendéen Bénéteau, leader mondial du nautisme (1,3 milliard d'euros de chiffre d'affaires pour l'exercice 2018-2019, avec 8.361 salariés).

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Construction navale de Bordeaux emploie aujourd'hui "environ 1.000 salariés" selon la direction (pour 305,3 millions d'euros de chiffre d'affaire en 2019). Sachant qu'en 2017 cet effectif atteignait 1.250 personnes, dont 850 à Bordeaux et 400 dans le site de Belleville-sur-Vie, en Vendée, spécialisé dans la fabrication des petits catamarans Lagoon. Ce PSE c'est du jamais vu dans l'histoire de CNB, un vieux chantier naval bordelais relancé en 1987 par Dieter Gust et Olivier Lafourcade après des années d'inactivité.

Un PSE qui s'insère dans une réforme défavorable à CNB

"Les suppressions de postes devraient toucher la main d'œuvre indirecte, la MOI, c'est-à-dire tous les salariés qui ne travaillent pas directement sur la construction des bateaux. Dans d'autres entreprises on parlerait de fonction support. A CNB, la MOI représente près de 330 salariés" résume Pascal Boiveau, délégué CFDT.

Coordonnées en intersyndicale, CGT et CFDT ont dénoncé ce plan de sauvegarde de l'emploi qu'elles jugent "trop précipité, trop violent, trop fort !" dans un tract commun. Pour les syndicalistes tout vient de la refonte stratégique du groupe Bénéteau, baptisée "Let's go Beyond !" (Aller plus loin !), dans laquelle s'inscrit ce PSE.

A l'étude depuis l'an dernier, cette réforme a été percutée par la crise du Covid-19. Mais, malgré son impact violent sur l'activité de Bénéteau, les syndicalistes estiment que cette réorganisation du groupe était, dès l'origine, très défavorable à Construction navale de Bordeaux, et que ce sur ce plan la pandémie n'a rien modifié. Car depuis cet été, les changements se sont accélérés au sein de CNB, avec le départ de la présidence de l'entreprise de Dieter Gust, officiellement acté au mois d'août, puis du directeur général adjoint de l'entreprise, Yann Masselot, quelques semaines plus tard. Des figures marquantes de l'entreprise qui ne seront pas remplacées.

"Notre nouveau président c'est le groupe Bénéteau"

Pour mémoire, rappelons que sous la présidence de Dieter Gust, CNB s'est imposé sur le marché international des yachts monocoques, avant que le dirigeant ne fasse grimper le chantier naval à la première place mondiale du marché des catamarans hauturiers, après avoir repris l'activité Lagoon dans les années 1990.

Yann Masselot, CNB-Lagoon

Yann Masselot, ex-directeur général adjoint de CNB lors du petit-déjeuner consacré par La Tribune au chantier naval (Agence Appa).

Des opérations fondatrices dans l'histoire de CNB qui font que le départ pour raisons personnelles de Dieter Gust, souffrant depuis plusieurs années, ne pouvait pas être bien vécu. L'annonce de la mise hors-jeu de celui qui aurait dû être son successeur naturel, Yann Masselot, confirme pour les syndicalistes que Construction navale de Bordeaux c'est bien fini.

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"Yann Masselot était dans l'entreprise depuis plus de 25 ans ! Il a été muté et devrait prendre la direction marque de Bénéteau. L'objectif de la direction, qui veut réduire le nombre de ses marques, est simple. Il s'agit de fondre CNB dans la division bateaux du groupe, et de transformer notre entreprise en un simple site de production. Ainsi Construction navale de Bordeaux n'aura plus aucune autonomie ni de centre de décision, puisque notre nouveau président c'est le groupe Bénéteau", éclaire Michel Pétel (délégué CGT).

Des décisions qui ne sont plus prises à Bordeaux mais en Vendée

Une ligne de fracture si déterminante pour les syndicalistes, qu'ils l'ont mise en amorce de leur tract unitaire.

"Depuis le départ de Dieter Gust... un vent Bénéteau souffle sur CNB et des changements importants s'opèrent inexorablement : modification du statut juridique, président qui n'est plus une personne physique mais l'actionnaire, NAO (négociations annuelle obligatoires -NDLR) bloquées, négociations en Vendée plutôt qu'à Bordeaux...", déroule ainsi l'intersyndicale.

Lagoon CNB

Le Seventy Seven est un des catamarans les plus sophistiqués produits par Lagoon, la marque des catamarans de CNB.

D'autant plus que, selon les deux syndicats, le groupe Bénéteau n'a pas été mis à genoux par la pandémie de coronavirus, puisqu'ils soulignent que le 1e semestre 2019-2020 du groupe a été excellent et que Bénéteau devrait être bénéficiaire au titre de cet exercice. Il est vrai que l'activité de Bénéteau a progressé de +4 % sur un an, à 519,4 millions d'euros, lors de son 1e semestre 2019-2020. L'arrêt de la production lors du pic de la crise sanitaire a toutefois entrainé une chute de l'activité de -42,6 % au 3e trimestre, à 249,3 millions d'euros. Soit une baisse d'activité de 17,3 % sur les neuf premiers mois d'activité, à 768,7 millions d'euros.

Un à-coup sur le chiffre d'affaires mais les moyens de rebondir

"La reprise progressive, puis soutenue de l'activité depuis début mai ne suffira pas à rattraper l'absence de production des six semaines d'arrêt, qui, s'ajoutant aux annulations et reports de commandes enregistrés sur l'activité bateau, en particulier de la part des loueurs, laissent prévoir un chiffre d'affaires annuel 2019-2020 en baisse de 16 % à 18 % en données publiées par rapport à l'exercice précédent. Le chiffre d'affaires annuel de la division habitat devrait, pour sa part, être en baisse de 13 % à 14 % par rapport à 2018-2019. Dans ce contexte, le groupe estime que son chiffre d'affaires annuel devrait baisser de 16 % à 18 % en données publiées, avec une marge d'Ebitda supérieure à 8 % et un résultat opérationnel courant supérieur à l'équilibre", résume la direction de Bénéteau, qui n'a pas souhaité répondre aux demandes de La Tribune.

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L'intersyndicale insiste de son côté sur la bonne santé financière du groupe, avec une trésorerie à 60 millions d'euros en février dernier, qui doit permettre au groupe vendéen de rebondir très vite. D'autant qu'en plus, l'intersyndicale souligne que Bénéteau bénéficie de 120 millions d'euros de prêt garanti par l'Etat. Autrement-dit, les syndicalistes s'opposent à la politique du PSE qui pourrait toucher plus de 15 % des salariés sur l'ensemble du groupe, dont près de 500 pour la seule main d'œuvre indirecte. Dans ce contexte l'intersyndicale CGT-CFDT de CNB dénonce une politique de réduction d'effectifs qui ne vise qu'à conforter la marge bénéficiaire du groupe.

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