Comment l'aéroport de Bordeaux va reconstruire son trafic après le départ de Ryanair

ENTRETIEN. À compter du 27 octobre 2024, Ryanair cessera toutes ses activités à l'aéroport de Bordeaux. Une perte sèche de 1,7 million de voyageurs annuels que Simon Dreschel, le président du directoire, et Cyrielle Clément, la responsable du développement des lignes, s'attèlent à compenser. Ils mettent déjà en avant le renforcement de l'offre d'Easyjet et de Transavia mais assurent avoir d'autres cartes en main d'ici la saison estivale 2025 pour ce qui reste « l'aéroport le moins cher de France ».
Alors que Ryanair quittera Bordeaux dès le mois d'octobre, la compagnie française Transavia annonce l'ouverture de six lignes au départ de Bordeaux où elle va baser un premier avion.
Alors que Ryanair quittera Bordeaux dès le mois d'octobre, la compagnie française Transavia annonce l'ouverture de six lignes au départ de Bordeaux où elle va baser un premier avion. (Crédits : Transavia)

LA TRIBUNE - Avec quelques semaines de recul, comment analysez-vous le décision de Ryanair de cesser toutes ses activités à Bordeaux-Mérignac ?

Simon DRESCHEL - D'abord ils sont encore là puisqu'ils ne partiront que cet automne ! Nous continuons donc à entretenir des relations opérationnelles et, je le répète, nous ne souhaitons pas voir partir cette compagnie qui opère à Bordeaux depuis 14 ans. Et nous n'avons d'ailleurs pas le pouvoir de chasser une compagnie. Mais, clairement, Ryanair a fait son choix et nous en prenons acte. Nous cherchons des partenaires solides pour mener notre plan stratégique et pour nous accompagner dans nos ambitions de transformation de la plateforme. Et nous avons une trentaine d'autres compagnies à l'aéroport pour cela.

Néanmoins, le nœud du problème semble relever des négociations commerciales entre l'aéroport et Ryanair...

Le fait est qu'on modifie la manière dont on travaille avec les compagnies aériennes. L'aéroport de Bordeaux est l'aéroport le moins cher de France et nous sommes donc en droit de relever nos tarifs alors même que le trafic aérien bordelais est très porteur. Nous avons augmenté nos tarifs de 5 % le 1er août 2023 et nous allons les augmenter à nouveau de 5 % au 1er août 2024 [lire l'encadré, NDLR]. Mais même avec ces augmentations, nous restons l'aéroport le moins chef de France, ce qui est très attractif pour les compagnies ! La réalité c'est que l'aéroport est une société qui doit investir 250 millions d'euros dans ses infrastructures et il faut donc que les compagnies aériennes paient ces services. C'est aussi basique que cela.

Hausse de 5 % au 1er août 2024

Après déjà une hausse de 5 % au 1er août 2023, l'aéroport de Bordeaux relèvera à nouveau de 5 % les tarifs payés par les compagnies aériennes à compter du 1er août 2024. La plateforme en profite pour introduire une modulation tarifaire liée aux émissions de gaz à effets de serre et une autre liée à l'utilisation de carburants d'aviation durables. Par ailleurs, la redevance « aviation d'affaires », aujourd'hui identique à celle des vols commerciaux (soit entre 5,17 et 5,53 euros par passager) deviendra un tarif unique de 8 euros par passager, soit une hausse comprise entre 45 % et 55 %.

Avec 1,7 million de passagers, Ryanair pesait un quart du trafic l'an dernier. Quel sera l'impact de son départ ?

Simon DRESCHEL - On devrait terminer l'année 2024 avec à peu près ce qu'on avait dit : autour de 6,5 millions de passagers [soit une stagnation par rapport aux 6,6 millions de passagers en 2023, NDLR]. Il faut encore qu'on évalue précisément le choc que représentera le départ de Ryanair pour l'année 2025 mais ce qu'on voit, à ce stade, c'est une reprise assez dynamique du trafic. La compagnie Transavia vient, par exemple, d'annoncer qu'elle ouvrira cet hiver six nouvelles lignes au départ de Bordeaux (1) où elle a décidé de baser un premier avion. C'est un signal très positif. Mais, soyons clair, il n'y aura pas une seule compagnie qui pourra reprendre l'ensemble du trafic de Ryanair !

Quels sont les objectifs que vous poursuivez pour reconstruire ce trafic ?

Simon DRESCHEL - Notre premier enjeu stratégique c'est de diversifier notre portefeuille de compagnies pour ne pas dépendre d'un client ! Il y a des aéroports mono-clients et ce n'est jamais une bonne chose. Notre position c'est aussi de ne pas avoir de trafic artificiel avec des avions qui voleraient sans répondre à aucune demande. Notre vocation c'est d'avoir des avions bien remplis qui répondent à des besoins de rapprochements familiaux, de tourisme entrant et sortant et de déplacements professionnels.

Cyrielle CLEMENT - Ryanair opérait une quarantaine de lignes depuis Bordeaux donc l'objectif premier c'est de regarder quelles destinations ont le plus de sens pour le territoire, pour son économie et pour la demande locale. Ensuite, on essaiera de trouver des compagnies intéressées par ces destinations que l'on juge pertinentes. Mais on regardera également de nouvelles lignes puisque le départ de Ryanair laisse la possibilités à d'autres opérateurs d'envisager d'autres destinations.

On voit que Transavia, Easyjet, Volotea ou encore Twin Jet se positionnent déjà sur de nouveaux lancements. Le fait que Transavia se positionne quelques semaines seulement après l'annonce de Ryanair est exceptionnel alors même que ce type de décision nécessite habituellement beaucoup de temps. Il y a d'autres réflexions en cours pour l'hiver 2024 et on travaille sur la saison estivale 2025. On devrait avoir de bonnes nouvelles à annoncer à la rentrée de septembre mais les négociations vont durer jusqu'à la fin du mois de novembre.

Lire aussiEasyjet, Volotea, Transavia... Qui prendra la place de Ryanair à Bordeaux ?

Quels sont les outils à votre disposition pour convaincre des compagnies aériennes de venir opérer à Bordeaux ?

Cyrielle CLEMENT - On démontre la pertinence de telle ou telle ligne en s'appuyant sur les données économiques du territoire, sur l'expérience d'autres aéroports régionaux, sur les données des vols en correspondance au départ de Bordeaux, sur les volumes de recherche sur les comparateurs de vols, etc. Tout cela nous permet d'estimer la demande potentielle d'une destination. Et depuis l'an dernier, on sent par exemple un intérêt pour des vols depuis Bordeaux vers l'Albanie. On regarde attentivement ce qui se passe à Lyon qui a ouvert une ligne vers la capitale Tirana l'an dernier.

Mais il n'est pas que question de tourisme, on évalue aussi les besoins des acteurs économiques du territoire que ce soit la filière vin, l'industrie, l'aéronautique, la chimie ou encore le secteur bancaire. Tout cela permet d'aller chercher des clientèles complémentaires et donc des destinations et compagnies aériennes différentes y compris sur du moyen et du long courrier. La ligne vers Dakar ouverte l'hiver dernier fonctionne très bien tout comme la liaison vers le Canada et nous cherchons aussi une compagnie aérienne qui puisse proposer des liaisons directes vers la côte Est des Etats-Unis. Mais les destinations lointaines sont aussi très soumises aux aléas géopolitiques, notamment au Proche et Moyen-Orient, et à la disponibilité des avions.

Et sur le plan commercial, quels sont vos leviers pour négocier avec telle ou telle compagnie ?

Pas beaucoup ! Notre grille tarifaire est publique et prévoit des aides financières à l'ouverture de lignes en fonction des volumes de passagers prévus par les compagnies. Il y a des critères d'éligibilité et à partir du moment où une compagnie remplit ces critères elle peut bénéficier de l'aide (2). Cela ne se fait pas à la tête du client ! Par ailleurs, l'aéroport de Bordeaux n'est pas subventionnée par l'argent public pour verser des aides à des compagnies aériennes, ce n'est pas comme cela que ça fonctionne. Nous devons équilibrer notre budget et les compagnies doivent participer au financement du service public aéroportuaire. Il y a une règlementation européenne très stricte que nous respectons. Cela n'empêche pas de promouvoir telle ou telle destination par de l'affichage dans Bordeaux et ça peut arriver que ces campagnes de communication fassent partie des discussions avec telle ou telle compagnie.

Pourtant, dans sa dernière décision, l'Autorité de régulation des transports a annoncé engager « une procédure en recherche et constatation de manquement au cadre de régulation en vigueur » au sujet des contrats bilatéraux conclus avec certaines compagnies aériennes parce qu'ils « pourraient constituer un contournement de la grille tarifaire objet de la présente décision ». De quoi s'agit-il ?

Cela fait suite au rapport de la Cour des comptes sur la période 2013-2021. Nous sommes à livre ouvert avec cette autorité qui est dans son rôle. Nous en saurons davantage ultérieurement. Nous faisons un métier très contrôlé sur tous les domaines et c'est très bien ainsi.

(*) Agadir, Marrakech, Istanbul, Porto, Séville et Marseille.

(2) Pour la création d'une nouvelle ligne, l'aide correspond à une réduction de la redevance d'atterrissage de 75 % la première année, 50 % la deuxième et 25 % la troisième. Pour le développement d'une ligne existante, l'aide est de 45.000 euros par ligne et par an maximum.

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Commentaire 1
à écrit le 16/07/2024 à 11:03
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Bonne nouvelle, et pas que pour l'environnement ! Une hérésie totale de subventionner des compagnies low-cost sans scrupules qui défiscalisent dans les paradis fiscaux... le billet d'avion coûte souvent moins cher que la semaine de parking à l'aéropo...

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