
À côté des 67 logements du lotissement « Domaine le Moulin » à Cadaujac, au sud de Bordeaux, on trouve 940 m2 de panneaux solaires thermiques équipés de tuyaux. En surface, ils sont reliés à une station technique, dotée de pompes à chaleur, et à deux ballons de 50 m3 de stockage court-terme. En sous-sol, c'est un système géothermique qui prend le relais permettant, grâce à 60 forages à 30 mètres de profondeur, de stocker la chaleur dans le sol grâce à des canalisations d'eau en circuit fermé. Cette installation, unique en France, permet d'alimenter le réseau de chaleur urbain qui fournit le chauffage et l'eau chaude sanitaire du lotissement livré par Rochinvest en 2022.
« Concrètement, on vient stocker la chaleur dans le sol en été, en chargeant cette batterie souterraine, pour pouvoir venir y puiser ensuite hiver lorsqu'il faut chauffer, en déchargeant la batterie », explicite Hervé Lautrette, le CEO et cofondateur d'Absolar, aux côtés de François Bayrou, le Haut-commissaire au plan venu inauguré cette installation ce 23 mai. « Cette chaleur peut venir soit d'une énergie renouvelable, comme ici à Cadaujac, soit de la récupération d'une chaleur fatale industrielle. »
Pas plus de 25 euros par mois
Baptisé C2SES (centrale solaire sur stockage d'énergie souterrain), ce démonstrateur est opérationnel depuis le mois de juin 2022. Il a été conçu par l'entreprise Absolar avec le concours notamment de l'Ademe, du BRGM (Bureau de recherches géologiques et minières) et de différents bureaux d'ingénierie. Et grâce à ce dispositif géothermique, la facture de chauffage et d'eau chaude sanitaire des 67 usagers consommateurs du lotissement n'excède pas les 300 euros par an.
L'installation de stockage souterrain mesure 18 mètres de diamètre. Elle permet de délivrer 460 MWh/an de chaleur à 53 °C aux 67 logements (crédits : PC / La Tribune).
Créée il y a trois ans par l'ingénieur Hervé Lautrette et par le promoteur immobilier Antoine Da Rocha Dias, qui détient 65 % des part de la société, Absolar est une startup hébergée par Bordeaux Technowest, à Bègles. L'entreprise compte seulement deux salariés mais fédère une quinzaine de collaborateurs externes sur ce projet dont l'investissement s'élève à près de deux millions d'euros, dont une aide d'un million d'euros de l'Ademe pour le réseau de chaleur urbain. Son processus en circuit fermé, unique en France, a fait l'objet d'un brevet.
Cibler la chaleur fatale de l'industrie
« Notre cible prioritaire c'est les industriels et, également, les projets immobiliers sur le principe des écoquartiers. Notre solution fonctionne à partir de 1 GWh et on est approchés pour des applications industrielles qui vont jusqu'à 100 GWh », explique Hervé Lautrette. Il ne cache pas son ambition d'apporter une solution techniquement fiable et disponible aux industriels pour valoriser leur chaleur fatale, cette énergie thermique indirectement produite par le processus industriel et qui n'est ni récupérée, ni valorisée.
« La chaleur fatale de l'industrie c'est 170 TWh/an qui sont recrachés par les industriels français et qui viennent aggraver le réchauffement climatique. C'est l'équivalent de 40 % de notre production d'électricité nucléaire », pointe l'ingénieur de 49 ans.
Les deux associés affirment avoir déjà des contacts avancés avec des industriels girondins cherchant à décarboner leur usine en supprimant le recours au gaz naturel. « Nous pouvons répondre à ces enjeux industriels parce que nous sommes capables de chauffer l'eau jusqu'à 250 degrés sans incidence sur l'environnement et parce que grâce à ce démonstrateur nous avons désormais des certitudes sur l'efficacité de cette solution », sourit le fondateur, un brin soulagé par cette inauguration. Mais il sait qu'il va devoir encore cravacher pour convaincre l'Ademe d'intégrer sa technologie dans les critères du fonds chaleur. Cette enveloppe de l'État dédiée à la géothermie est dotée de 500 millions d'euros par an pour faire monter en puissance la filière. La Région Nouvelle-Aquitaine et l'Ademe viennent d'ailleurs de signer une convention pour le développement régional de cette énergie renouvelable dont l'usage reste encore confidentiel.
Au total, la géothermie, qu'elle soit de surface ou profonde, ne représente aujourd'hui que 1% de la chaleur consommée en France et à peine 5% de la chaleur renouvelable. Les deux associés vont donc aussi devoir convaincre d'autres investisseurs de les suivre financièrement pour soutenir la montée en puissance de l'entreprise. « Il faut ouvrir les yeux, on va dans le mur, on ne peut plus se contenter de la merde énergétique dans laquelle on vit et il faut donc passer aux actes ! », alerte-t-il.
François Bayrou vante une énergie « gratuite et éternelle » Le Haut-commissaire au plan est venu de Pau pour inaugurer officiellement ce démonstrateur d'Absolar en Gironde. François Bayrou appelle à accélérer sur l'utilisation de « la chaleur qui se trouve sous nos pieds et qui est gratuite et éternelle et alors même que les technologies pour l'exploiter existent et sont largement disponibles. C'est un trésor à portée de main ». De son côté, Clément Rossignol-Puech, le maire écologiste de Bègles et vice-président de Bordeaux Métropole, assure regarder le sujet avec attention : « On regarde avec intérêt ce que fait Absolar, particulièrement pour des applications dans l'industrie en utilisant la chaleur fatale, c'est une solution très concrète de décarbonation ».
Sujets les + commentés