François Rebsamen, l'auteur du rapport sur la relance de la construction neuve, avait cordialement invité le Premier ministre à faire ses courses parmi les 13 propositions qui lui ont été remises il y a quelques jours. En déplacement à Bordeaux pour l'ouverture du 81e congrès de l'Union sociale pour l'habitat, Jean Castex a effectivement rendu ses arbitrages.
"Je le dis clairement : la situation n'est pas satisfaisante et appelle des mesures nouvelles et urgentes !", a-t-il martelé, soulignant l'importance de continuer à construire des logements dans les zones tendues, qui correspondent schématiquement aux métropoles et aux grandes villes où la demande est structurellement supérieure à l'offre.
L'objectif du gouvernement est donc "d'avancer extrêmement vite", avec des effets attendus dès 2022 sur la construction neuve alors même que seulement 180.000 logements collectifs devraient être autorisés en zone tendue en 2021 contre 240.000 en 2017. Et le constat n'est pas meilleur pour le logement social avec moins de 48.000 agréments en zone tendue cette année contre 75.000 en 2017.
Contractualisation et exonération
Pour inverser la tendance, le locataire de Matignon appelle à une "forte implication des maires et élus locaux" et retient le principe d'une contractualisation avec les territoires situés en zone tendue pour fixer des objectifs de construction partagés entre l'Etat et les élus locaux. Dès l'an prochain, les 175 millions d'euros de l'aide aux maires bâtisseurs seraient conditionnés à l'atteinte des objectifs de ces "contrats de relance du logement" avec des aides de l'ordre de 1.000 à 1.500 euros par logement neuf. Sans pouvoir indiquer combien de ces contrats sont envisagés, Matignon assure vouloir les signer dès la fin 2021 ou le début 2022.
Sur le plan financier, les organismes HLM et les maires ont obtenu la compensation par l'Etat à 100 % de l'exonération de taxe foncière sur les propriétés bâties (TFPB) pendant dix ans pour tous les logements locatifs sociaux agréés en 2021 et jusqu'à la fin du mandat municipal en cours, soit jusqu'à mi-2026.
700 millions d'euros sur dix ans
Objectif : éviter que la construction de logements sociaux n'ampute les budgets locaux et donc inciter les maires à en construire davantage. Avec en ligne de mire, l'objectif ambitieux de 250.000 nouveaux logements sociaux sur 2021 et 2022, alors que tout juste 100.000 agréments devraient être délivrés cette année. Une clause de revoyure est fixée pour 2024 afin de s'assurer de l'efficacité du dispositif. Selon les projections de Matignon, le coût de cette mesure est évalué à 70 millions d'euros par an pour 100.000 logements sociaux agréés, soit 700 millions d'euros sur dix ans. Sachant que la mesure ne commencera en réalité à peser sur le budget de l'Etat qu'à partir de la livraison des logements, soit d'ici trois ou quatre ans et pour les dix ans qui suivent.
Cette compensation à 100 % était très attendue par le monde HLM comme par les élus locaux, à commencer par Pierre Hurmic, le maire EELV de Bordeaux. A titre d'exemple, ce dernier chiffre le manque à gagner pour le budget municipal à "6,5 millions d'euros par an, soit le coût de deux crèches". De son côté, Emmanuelle Cosse, la présidente de l'USH et ancienne ministre du Logement, salue également cette annonce, précisant que l'exonération de TFPB correspond à "une baisse de loyer de 30 à 40 euros chaque mois pour les ménages du parc HLM". Celle qui a insisté sur l'importance de la compensation de l'exonération de TFPB a aussi incité l'Etat à davantage se mobiliser sur l'enjeu du foncier.
Mobiliser du foncier public
En réponse, Jean Castex annonce un nouveau coup d'accélérateur sur la mobilisation des terrains publics pour construire des logements neufs avec notamment la publication à brève échéance d'un inventaire du foncier de l'Etat disponible. Un appel à manifestation d'intérêt mettra l'accent sur les zones tendues pour y accueillir "des opérations exemplaires en matière de logement intermédiaire, de logement social ou encore de logement étudiant notamment sur l'optimisation des droits à construire".
Matignon évoque la libération de 40 terrains permettant de construire 20.000 logements dans les deux ans et de l'ordre de 250 terrains et 50.000 logements dans les années qui suivent. Les préfets sont également invités à "favoriser" dans le cadre du fonds friches du plan de relance les projets les plus ambitieux en matière de logement.
Enfin, les investisseurs dans le logement intermédiaire à loyers modérés verront également leur exonération de TFPB transformée en crédit d'impôt d'un montant équivalent afin que le coût de cette incitation fiscale pèse sur le budget de l'Etat plutôt que sur les budgets locaux. Dans le parc existant, le dispositif "louer abordable" sera rendu plus incitatif en zone tendue pour convaincre davantage de propriétaires bailleurs de s'y mettre en plafonnant leurs loyers, là encore dès 2022.
Les réactions
Ces annonces font déjà réagir. L'ancien ministre du Logement Benoist Apparu, président du directoire d'In'li, filiale d'Action Logement spécialisée dans le logement intermédiaire en IDF, salue auprès de La Tribune "un changement profond de la fiscalité sur le logement intermédiaire", avant de poursuivre :
"L'exonération de taxe sur le foncier bâti était devenu un énorme problème [...] Le crédit d'impôt sur les sociétés d'un montant équivalent ne change rien en termes de rentabilité, mais nous enlève un frein. Plutôt que de produire des logements libres, nous allons retrouver cette capacité à développer des logements intermédiaires."
En revanche, si les principales fédérations HLM saluent la décision gouvernementale de compenser la TFPB, elles n'affichent pas un enthousiasme débordant, rappellant que cela n'efface pas tout le passif accumulé avec le gouvernement depuis 2017. Les organismes HLM resteront en effet sur leur faim sur le sujet sensible de la réduction du loyer de solidarité (RLS) et de la réforme du calcul des APL (aides personnalisées au logement). Sur ces deux questions, la clause de revoyure est fixée à 2022, se contente de répondre Matignon, alors même qu'Emmanuelle Cosse s'est montrée très directe sur ce point : "Le tournant de la loi de finances pour 2018 avec la RLS et la réforme des APL fut une erreur et le nombre d'agréments délivrés n'a jamais cessé de baisser depuis."
Du côté de la Fédération française du bâtiment, on reconnaît "une première attention concrète bienvenue" assortie "d'une double prise de conscience : celle d'une crise profonde du logement dans les grandes agglomérations et celle de la nécessité de construire pour répondre à des besoins en logements durablement forts, sur tous les territoires."
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