
"Le retrofit électrique est une solution convaincante pour les enjeux de qualité de l'air, d'émissions de gaz à effet de serre et d'usage des matières premières [...] Par ailleurs, la filière du retrofit électrique serait pourvoyeuse d'une activité pouvant consolider des emplois non délocalisables en régions", écrit l'Agence de la transition écologique dans son étude sur le retrofit publiée ce 20 mai 2021.
Des gains significatifs par rapport au diesel
Du petit lait pour la quinzaine d'entreprises de cette filière émergente autorisée en France par un arrêté du 13 mars 2020, puisque l'Ademe souligne la pertinence de ce processus de conversion à l'électrique des véhicules thermiques et considère que le bilan environnemental sur dix ans d'un véhicule converti est systématiquement meilleur que celui d'un véhicule diesel ou que sa mise à la casse pour l'achat d'un véhicule électrique neuf.
Dans le détail, par rapport au maintien d'une motorisation diesel, le gain estimé d'un véhicule converti à l'électrique est de -66 % pour une citadine de type Fiat 500, de -61 % pour un utilitaire léger et même de -87 % pour un poids-lourd de 16 à 19 tonnes ou un autobus standard. Par apport à la mise à la casse pour acheter un véhicule électrique neuf, le gain serait de -37 % pour un poids-lourd de 16 à 19 tonnes ou un autobus standard, de -47 % pour une citadine de type Fiat 500 et jusqu'à -56 % pour un utilitaire léger. "Honnêtement, on ne s'attendait pas à des résultats aussi élevés, c'est très satisfaisant puisqu'on avait la règlementation, la traction clients, la preuve économique et désormais on a la preuve de la pertinence sur le plan écologique. Maintenant, il faut appuyer la démarche par un soutien public à une offre à l'échelle industrielle", réagit auprès de La Tribune Arnaud Pigounides, le président de REV Mobilités et co-président de l'association Aire, qui fédère une quinzaine d'entreprises de la filière française du rétrofit électrique.
Un modèle économique incertain
Car l'écueil est bien là, dans la deuxième conclusion de l'Ademe qui écrit : "Le modèle économique de la filière du retrofit reste cependant incertain face à un secteur du véhicule électrique neuf bien structuré et un marché de l'occasion qui se consolide. Le caractère éphémère de la filière, étroitement lié au retrait progressif des véhicules thermiques, crée une forme d'urgence dans son développement."
Ephémère car la matière première du retrofit ce sont les véhicules thermiques dont la commercialisation sera interdite en France à partir de 2040 pour les véhicules individuels mais aussi pour les poids-lourdsn depuis le vote par les députés en 1er lecture du projet de loi « climat et résilience ». Un horizon qui n'inquiète pas vraiment pas Arnaud Pigounides : "Le parc automobile français compte 38 millions de véhicules qui fonctionnent à 98 % à l'essence ou au diesel. Il nous reste donc 40 à 50 ans pour transformer l'intégralité du parc ! D'autant que le retrofit n'a pas vocation à concerner 100 % du parc, si on peut en toucher 3 % en dix ans, ce sera déjà un grand pas en avant."
"C'est un petit marché, mais c'est un vrai marché avec des vrais besoins pour de vrais cas d'usage", confirme de son côté Guillaume Crunelle, directeur associé chez Deloitte et spécialiste de l'industrie automobile qui ajoute : "Il y a une grosse communication autour des voitures de collection pour susciter de l'affect, mais le véritable enjeu est de se tourner vers de la reconversion de masse à travers des flottes d'administrations ou d'entreprises."
Prioriser les autobus et les citadines ?
Et les choses évoluent rapidement et, du point de vue du président d'Aire, la décision de Renault l'an dernier de faire de son usine de Flins un pôle de reconversion et de reconditionnement automobile pouvant concerner potentiellement 45.000 utilitaires par an puis 100.000 à l'horizon 2030 est un marqueur fort.
"Le rétrofit c'est le début de l'économie circulaire, c'est un engagement sociétal fort, mais pas seulement, car le TCO (coût à l'usage, ndlr) est compétitif dès lors que l'on considère que le véhicule utilisé est déjà amorti", explique Guillaume Crunelle.
Pour plus d'efficacité, l'Ademe suggère de cibler prioritairement deux segments de marché : les autobus et les citadines. Les premiers parce qu'ils présent le bilan environnemental le plus vertueux ; les secondes parce qu'elles représentent un parc considérable avec, donc, un effet masse et un usage très pertinent pour les services urbains d'autopartage. L'agence préconise aussi de simplifier la règlementation en vigueur pour réduire les coûts de conversion et d'homologation et soutenir l'accès au marché ; accompagner la structuration d'une filière robuste et sensibiliser les potentiels clients particuliers et publics mais aussi instaurer une TVA à 5,5 % sur le retrofit.
Le soutien public sera déterminant
Des propositions que l'association Aire reprend à son compte avec gourmandise demandant très clairement un soutien massif tant de l'Etat que des collectivités concernées : régions et métropoles. Les professionnels souhaitent ainsi que le retrofit soit priorisé par la commande publique, notamment pour les flottes d'autobus et d'autocars, et les règlementations de zone à faible émission avec des primes à la conversion ; que les procédures d'homologation soient moins coûteuses et, évidemment, que la TVA soit abaissée à 5,5 %. Pour Guillaume Crunelle, le soutien de l'Etat est effectivement essentiel pour l'essor d'une filière: "il faut sortir de cette dimension artisanale et porter le retrofit dans une dimension industrielle de filière avec une planification publique ambitieuse pour apporter les fonds nécessaires".
"Ces mesures de soutien nous permettraient d'envisager la conversion de 3 % du parc roulant, en moins de 10 ans, soit plus d'un million de véhicules passant à l'électrique, ce qui équivaudrait à six millions de tonnes de CO2 évitées ! Cette industrie nouvelle génèrerait près de 24 milliards d'euros de chiffre d'affaires et plus de 40.000 emplois sur tout le territoire national au plus près des besoins", avance Arnaud Pigounides.
Ce dernier, qui a installé ses deux entreprises à Bordeaux l'an dernier et cherche encore des locaux pérennes, entend prendre sa part et fait un appel du pied à Bordeaux Métropole comme à la Région Nouvelle-Aquitaine. "Plusieurs régions dont le Sud, l'Ile-de-France et Auvergne-Rhône-Alpes ont créé des primes à la reconversion pour soutenir le retrofit, il faut que les collectivités de Nouvelle-Aquitaine fassent de même. Le conseil régional de Nouvelle-Aquitaine opère 5.000 bus au diesel, le retrofit pourrait facilement concerner un tiers du verdissement de la flotte. Il faut qu'elle se positionne clairement", fait-il valoir.
Et si les pouvoirs publics ne répondent pas présent, cette filière balbutiante est-elle vouée à rester confidentielle ? "Non, s'il ne se passe rien du côté de l'Etat et des régions, on avancera malgré tout, c'est juste que ça ira moins vite", répond Arnaud Pigounides qui vise 30.000 véhicules convertis en trois à cinq ans pour REV Mobilités, son entreprise de 15 salariés positionnée à la fois sur les véhicules de collection avec Retrofuture et sur utilitaires et les flottes d'entreprises et de collectivités avec Rev Vehicles.
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