Profils digitaux : que faire face à la pénurie ?

Fondateur du cabinet de recrutement Altaïde dédié aux métiers du digital, Jacques Froissant livre dans cette interview son regard sur les difficultés qu'éprouvent les entreprises à recruter certains profils techniques. Il inventorie également les leviers de motivation qui peuvent être enclenchés au moment d'embaucher.
Jacques Froissant, fondateur d'Altaïde
Jacques Froissant, fondateur d'Altaïde (Crédits : ol2)

Comment se positionne Altaïde aujourd'hui ?

"J'ai créé la société fin 99 début 2000, après un diplôme d'œnologue obtenu à Bordeaux et plusieurs années dans les métiers du recrutement, que j'ai rejoints un peu par hasard. Altaïde est spécialisée dans le recrutement et la chasse de tête dans les métiers du digital. Nous sommes présents à Bordeaux, Paris et Göteborg [Suède] et comptons deux types de clients : d'une part, les startups financées, qui ont réussi à lever a minima 1 million d'euros en un tour et qui comptent à leur tour de table un VC (venture capitalist, capital-risque, NDLR) et, d'autre part, les entreprises plus confirmées qui ont des besoins en matière de marketing digital ou de transformation numérique par exemple."

Quel regard portez-vous sur le marché bordelais du recrutement de profils digitaux ?

"J'ai tendance à dire qu'il est un peu moins tendu qu'ailleurs en France grâce notamment à la puissance de l'enseignement supérieur et à un écosystème riche de pas loin de 22.000 personnes. Son élasticité est plus importante qu'à Nantes par exemple et c'est d'ailleurs ce que j'ai dit à Ubisoft que j'ai aidé à venir à Bordeaux. Je suis en revanche plus circonspect sur l'effet de l'ouverture de la LGV et je ne peux pas dire qu'il y ait eu, pour l'instant, un appel d'air."

Beaucoup d'entreprises font régulièrement part de leurs difficultés à recruter, notamment des développeurs web. Quels sont aujourd'hui les leviers sur lesquels agir ?

"Le souci est que les startups cherchent toutes le même profil. L'argument babyfoot et pizzas, à Paris, ça a quasiment disparu. Un profil digital cherche trois choses : en premier lieu un salaire dans la moyenne du marché, ensuite une ambiance et éventuellement la cerise sur le gâteau, tout ce que l'entreprise peut proposer en plus de ces deux aspects. Si l'on propose seulement la moitié du gâteau et la cerise, ça devient compliqué de recruter. La bonne nouvelle est qu'après avoir été recrutés, ces profils sont souvent assez fidèles."

Comment alors réussir, pour une entreprise qui démarre et sans gros moyens, à attirer de bons profils ?

"Trouvez-vous un associé, éventuellement juste sorti de l'école ! Je conseille systématiquement de partir à plusieurs et de mélanger les spécialités, ce qui fait la force des startups américaines d'ailleurs. Il ne faut pas non plus hésiter à externaliser quand c'est possible. Devant la pénurie de profils, des entreprises ont également recours au tech for equity (qui consiste à faire développer son produit en échange de parts au capital, NDLR), cela peut faire gagner du temps."

"Il y a du boulot pour féminiser le discours"

Certains se plaignent de difficultés à trouver assez de profils dans le big data ou l'intelligence artificielle. Vrai ou faux ?

"La culture des maths appliquées est très forte en France. Contrairement à ce qu'on entend, pas mal de formations forment à la donnée. Il me semble désormais plus important de donner aux étudiants l'envie d'apprendre à apprendre, et à réapprendre régulièrement. Un bon profil technique doit aujourd'hui se mettre à jour en permanence dans son domaine, tout en s'ouvrant à d'autres pistes. Cet aspect « découverte », cette curiosité, manquent souvent dans les entreprises classiques. Ça commence néanmoins à venir dans les écoles."

Précisément, quelle est la source du manque de profils technologiques disponibles ?

"La première, c'est la formation que l'on dispense aux enfants. On parle enfin d'une option numérique au baccalauréat : ça devrait exister depuis 15 ans ! L'autre sujet est que si les jeunes filles s'intéressaient au digital, on aurait moins de difficultés. A 15 / 16 ans, l'image qu'une fille se fait d'un développeur en se posant des questions sur son orientation, c'est Rodolphe dans la pub de Free !

Et ce ne sont pas les posters et accessoires sur les bureaux un peu limites que l'on voit dans certaines startups, heureusement de plus en plus rares, qui vont améliorer leurs capacités à recruter.

Troisième point, l'économie du numérique a encore trop un discours de mec qui parle aux mecs. Il suffit de regarder les annonces d'emploi pour s'en convaincre : il y a encore du boulot pour féminiser le discours."

"Expliquer en quoi l'entreprise a du sens"

Quelles tendances voyez-vous s'imposer en 2018 ?

"La marque employeur est de plus en plus présente. La construire dès le premier jour d'activité devient très important. Il n'y a pas longtemps, j'ai vu dans une petite annonce postée par une startup dans un groupe Facebook qu'elle cherchait un stagiaire CTO (chief technical officer, directeur de la technologie ou directeur technique, NDLR). C'est n'importe quoi : pourquoi pas un PDG stagiaire tant qu'on y est ? Ce style de pratiques peut être dévastateur pour la marque employeur auprès de ses potentiels employés, de ses partenaires, des business angels...

Je pense également que le discours des entreprises a beaucoup porté ces dernières années sur l'aspect « on est une bande, on a un babyfoot, viens ça va être sympa ». C'est bien mais ça ne suffit plus. Le fonds importe autant que la forme. La société qui cherche à recruter doit être capable de mettre en avant son idéal et définir ce qu'elle veut changer. En quoi l'entreprise a-t-elle du sens ? C'est cela qu'elle doit pousser au moment de discuter avec des profils qui l'intéressent. Ces derniers vont aussi se poser d'autres questions auxquelles il faudra savoir répondre : est-ce que techniquement, c'est intéressant pour moi ? Est-ce que je peux apprendre quelque chose et avec qui ?"

Comment les PME installées qui s'impliquent dans leur transformation numérique peuvent-elles rivaliser face à l'image "cool" des startups et aux moyens des entreprises de services numériques ?

"Aux PME, je dis souvent : recruter un développeur ça coûte cher. Et s'il tient la baraque seul pendant deux ans et qu'il finit par partir, vous serez dans la panade. Votre métier, ce n'est pas le digital, ce n'est pas la technologie. Quand vous avez besoin d'un avocat, même régulièrement, vous ne l'embauchez pas ! Alors allez donc voir les agences web !"

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