« La réserve d'eau, c'est notre oasis » : en Charente, les agriculteurs irrigants en opération séduction

REPORTAGE. En Charente se trouve l'une des plus anciennes réserves collectives d'eau à usage agricole de France. L'installation permet de remplacer les pompages en été par des prélèvements en hiver sur un territoire calcaire où l'eau ne reste pas. Mais à proximité des Deux-Sèvres, où les « mégabassines » sont contestées, la réserve accroît aussi la concurrence entre exploitations.
L'agriculteur charentais Guillaume Chamouleau présente le fonctionnement de sa réserve d'eau agricole.
L'agriculteur charentais Guillaume Chamouleau présente le fonctionnement de sa réserve d'eau agricole. (Crédits : MG / La Tribune)

Leur « mégabassine » à eux, ça fait un moment qu'elle est à flot. Depuis 1998 précisément. Mais ici attention, on parle plutôt de « petit lac » pour contrer la rhétorique activiste. On n'est pas à l'aise non plus pour parler de réserve de substitution, trop évocatrice de l'agro-industrie pourtant majoritaire en Charente. Ici, ce sont les terres de Guillaume Chamouleau, cultivateur céréalier qui a l'eau dans le nom et dans la tête.

Le 9 juillet, à dix jours des manifestations annoncées dans le Poitou ciblant les réserves en chantier de la Coop de l'eau, l'association des Irrigants de France a invité la presse non loin de là, au nord de la Charente sur la commune de Cellefrouin. Une terre d'exemple pour le lobby qui défend le déploiement des grandes réserves, au sol ou en bassin. Chez un agriculteur qui fait figure de témoin idéal.

À 43 ans, Guillaume Chamouleau est de ceux qui ont repris le domaine familial sur lequel ils ont grandi. Vêtu d'un chapeau de paille flanqué du hastag AimeTonAgri et d'un tee-shirt floqué « Farmer Forever », celui qui se revendique paysan à la tête d'un domaine de 200 hectares se lance dans un « exercice de pédagogie nécessaire ». Il veut « aller contre les idées reçues ». Avec deux autres agriculteurs, le Charentais partage l'accès à une réserve d'eau de 200.000 m3 qui fonctionne depuis bientôt 25 ans. Le même type d'installation que celles ciblées par les collectifs opposés à l'agro-industrie comme à Sainte-Soline en mars 2023.

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Un château pour l'été

« L'eau est là pour sécuriser les rendements et le modèle économique de l'exploitation. Mes 45 hectares irriguées représentent 40 % de mon chiffre d'affaires », chiffre-t-il à l'ombre du lavoir communal où coule la rivière le Son. L'endroit est enchanteur mais surtout bien choisi. De là, une station de pompage abreuve la réserve située à quelques centaines de mètres, 20 mètres plus en altitude. Il faut gravir un haut talus pour contempler l'étendue d'eau. « Alain Rousset [le président du conseil régional, ndlr] a dit qu'il fallait appeler ça une oasis quand on présente les réserves. Oui, c'est vrai que la réserve c'est un peu notre oasis des champs », acquiesce, rêveur, Guillaume Chamouleau.

bassine charente

La profondeur de l'eau stockée peut atteindre 12 mètres. (crédit photo : MG / La Tribune)

Dans les années 1990, son père subit les sécheresses sur ce terroir calcaire où l'eau s'infiltre et file. La pluviométrie hivernale est abondante mais le sous-sol ne la garde pas. Un choix s'impose. « Soit on diminue nos surfaces par deux, soit on diminue nos prélèvements l'été », rejoue l'héritier. La seconde option l'emporte et, avec elle, quelques aides publiques pour la construction du château de terre. Le pompage estival dans la rivière est définitivement abandonné pour les trois agriculteurs associés et désormais seulement autorisé du 15 octobre au 15 avril pour soulager la rivière. L'ouvrage est aujourd'hui un exemple de bon projet pour les irrigants. « Stockage de l'eau et milieu naturel en bon état, ça peut marcher », montrent-ils.

Pour certains seulement. Si l'eau est relativement abondante sur ce sous-bassin au regard d'autres sur le Poitou-Charentes où les tensions sont vives, l'accès à la ressource est disputé. A l'époque, les exploitants qui n'avaient pas accès à la réserve ont porté l'affaire en justice. « Les agriculteurs qui continuaient à pomper dans la rivière en été ont vu leurs prélèvements diminuer de 60 %, alors ils ont saisi le tribunal », retrace Guillaume Chamouleau.

Le coût du pompage

Prélever de l'eau dans le milieu naturel a un coût. Et même trois pour l'agriculture. Il faut s'acquitter d'une redevance auprès de l'Agence de l'Eau qui s'élève à environ 90 centimes/m3 en Charente. À titre de comparaison, l'eau potable est facturée 4,19 euros/m3 sur le bassin Adour-Garonne. Il faut également y ajouter une contribution à la coopérative agricole qui gère le fonctionnement de la ou des réserves. Et la taxe publique Gemapi pour gestion des milieux aquatiques et prévention des inondations. L'an dernier, les principaux syndicats agricoles ont empêché la hausse des redevances que les Agences de l'Eau souhaitaient appliquer pour financer les projets de transition écologique.

Et stocker dans le sol ?

Sous le soleil, l'irrigant et élu FNSEA à la chambre d'agriculture est bavard. Tellement que personne ne le coupe pour prévenir qu'un coup de soleil guette. Le public est aussi sec qu'un plant de maïs sous canicule. Les précipitations abondantes des derniers mois paraissent déjà loin. « Tout cette pluie tombée en hiver..., regrette l'agriculteur. Si on a en a besoin en août et en septembre, comment on fait pour la garder sur son territoire ? »

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La réserve permet d'irriguer le maïs. L'agriculteur cultive aussi blé, colza, orge, lin, sarrasin et pois. (crédit photo : MG / La Tribune)

« Il faut surtout pouvoir stocker l'eau dans les sols ! », lui répond Jean-Luc Manguy, sollicité par La Tribune. Cet agriculteur membre de la Confédération paysanne en Charente est lui aussi irrigant. Il propose des solutions alternatives comme « replanter des haies, recréer des zones humides, remettre de la matière organique dans la terre, recréer des ripisylves au bord des rivières ». Et les réserves ? « Ça pourrait être une solution de dernier recours. »

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« Le stockage dans le sol est un levier, mais ça ne suffit pas, balaye l'adepte de la réserve. Le maïs c'est sept arrosages dans l'année. En augmentant la capacité de stockage du sol, on peut passer à six voire cinq, mais il y aura toujours besoin d'eau. » Un débat interposé que les deux élus à la chambre d'agriculture départementale entretiennent, à l'image des confrontations entre leurs deux syndicats. Cette semaine, la Confédération paysanne, classée à gauche, participe à la mobilisation du Village de l'eau dans les Deux-Sèvres pour lutter contre « l'accaparement de l'eau », comme le fait selon eux la réserve de Cellefrouin mais encore davantage les ouvrages sur d'autres bassins versants.

Des bassines qui ne réduisent pas les prélèvements

« Les bassines ne résolvent pas la question de la répartition entre les agriculteurs d'un même bassin, c'est un problème de démocratie », accuse Jean-Luc Manguy. Faut-il pour autant donner l'accès aux réserves à tout le monde alors que seules 11 % des surfaces agricoles sont irriguées en France ? Un accès massif peut entraîner une surutilisation afin de maximiser les rendements et les revenus. Mais aujourd'hui, la raréfaction de l'eau en été met à mal les modèles économiques des exploitations.

« Si les projets de réserves ne se font pas dans les Deux-Sèvres, on se retrouvera dans 15 ans avec des très grands propriétaires et des tailles moyennes d'exploitations qui auront augmentées. C'est exactement ce qu'on ne veut pas. Grâce aux réserves, on aura de l'installation, de la diversification et des cultures à forte valeur ajoutée », veut promettre Eric Frétillère, agriculteur en Dordogne et président d'Irrigants de France.

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Le maïs nécessite moins d'eau que le blé mais pousse à une période où la ressource et les précipitations manquent. (crédits : MG / La Tribune)

Les projets portés par des collectifs d'agriculteurs dans les Charentes et dans le Poitou sont tous ciblés par les recours d'associations environnementales. Et donc suspendus aux décisions de justice. Dernière en date la semaine dernière : le tribunal administratif de Poitiers a montré que les prélèvements en eau sur le bassin du Marais poitevin seraient au global supérieurs à ce qu'ils étaient avant la construction des bassines de la Coop de l'eau. La juridiction a alors réduit les volumes de prélèvements autorisés. Pour les agriculteurs, l'application du droit passe mal.

 Mobilisation tous azimuts

« Je ne serais pas à l'aise à la place du juge administratif, commente Guillaume Chamouleau, sur la rive de sa réserve remplie pour l'été. On lui demande de se prononcer sur la base d'un dossier technique par rapport à un cadre réglementaire qui porte sur l'environnement », met en regard, dubitatif, l'agriculteur. Plusieurs projets ont été remis en question à cause de leur impact sur la faune et la flore de la région ces dernières années.

Le débat ne va pas s'évaporer de si tôt. À l'initiative des collectifs Bassines non merci et des Soulèvements de la terre, le Poitou va voir défiler cette semaine des cortèges de plusieurs milliers de personnes venant de toute la France et même de plus loin. Ligues antifascistes et mouvements internationalistes sont attendus pour une mobilisation tous azimuts. Sur le territoire, l'irrigant se sent quelque peu dépassé. « Les opposants se jugent légitimes donc ils peuvent dégrader ? Non, ce n'est juste pas possible. » L'eau est un bien commun. Et son partage, un débat de premier ordre.

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Commentaire 1
à écrit le 18/07/2024 à 10:56
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"sur un territoire calcaire où l'eau ne reste pas" A savoir sur des terrains qui autrefois, quand les agriculteurs n'avaient pas le cerveau ravagé par l'obscurantisme agro-industriel, n'avaient pas de cultures ni d'agriculteurs parce que idiot par pr...

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