
Les Deux-Sèvres sont devenues le symbole de la guerre de l'eau. Ce département de l'ex-Poitou-Charentes, au nord de la Nouvelle-Aquitaine, aux zones humides remarquables et au tissu agricole caractérisé par les petites exploitations, se déchire. La plus grande mobilisation jamais observée contre les « méga-bassines » s'y déroule ce week-end.
D'un côté, les 450 agriculteurs membres de la Coop de l'eau, qui projettent depuis 2011 la construction d'une quinzaine de réserves de substitution sur le bassin de la Sèvre Niortaise pour soutenir l'irrigation de leurs cultures. Un programme à 70 millions d'euros né des exigences de l'Agence de l'eau à diminuer de 70 % leurs prélèvements estivaux d'ici 2025. De l'autre, les collectifs d'opposants, avec Bassines Non Merci en tête, qui militent contre des infrastructures jugées démesurées et nuisibles pour la disponibilité de la ressource en eau.
Mais cette opposition territoriale a pris une tournure qui dépasse totalement les seuls enjeux locaux, alors que 10.000 personnes venues de toute la France et d'autres pays foulent actuellement les plaines poitevines. « En arrêtant les projets de bassines dans le 79, il y a moyen que ça ne se fasse pas ailleurs. Ça force à reconsidérer le modèle agro-industriel », agite Nicolas Girod, porte-parole de la Confédération paysanne.
Des projets déjà dimensionnés à la baisse
La contestation se cristallise à un moment où les agriculteurs de la Coop de l'eau ont pourtant été contraints de revoir leur copie. En mai 2021, le tribunal administratif de Poitiers, saisi par des associations environnementales, a donné dix mois aux irrigants pour revoir à la baisse le dimensionnement de neuf des seize réserves de substitution. En cause : un impact trop élevé sur le milieu aquatique.
La Coop de l'eau a donc finalement réduit les prévisions de prélèvements en été, pour les effectuer en période hivernale de novembre à mars. D'où le terme de « réserves de substitution ». L'eau sera captée via un forage dans les nappes phréatiques et non directement en rivière. Alors que 17 millions de mètres cube devaient être prélevés à l'origine, le redimensionnement fait tomber ce chiffre à 11,7 millions de mètres cube, dont six pour les retenues d'eau. Dans les années 2000, plus de 20 millions de mètres cube étaient prélevés chaque année sur ce territoire.
Le tribunal administratif de Poitiers examinera ce mardi 28 mars un recours des associations environnementales pour faire annuler l'autorisation de construction des 16 retenues d'eau. Sur d'autres projets, la cour d'appel administrative de Bordeaux à quant elle interdit cet hiver le remplissage de cinq bassines construites en 2010 en Charente-Maritime, en raison de l'insuffisance des études d'impact, puis invalidé six autres pour des volumes jugés excessifs.
Des nappes phréatiques très sollicitées
Pour les militants environnementaux, il y a certes la question de l'impact paysager de ces mégastructures étendues sur une dizaine d'hectares chacune. Mais il y a en outre une question de fond : celle du pompage souterrain. « Les prélèvements souterrains
réalisés, même en hiver, pour assurer les remplissages des bassines, provoquent
l'apparition de niveaux d'étiage [plus bas niveau annuel d'un cours d'eau, ndlr], d'abord plus précoces et ensuite plus sévères, en raison des volumes mobilisés », écrit l'eurodéputé EELV et paysan en Charente-Maritime Benoit Biteau dans un dossier consacré au sujet.
Or, les projets de réserves d'eau se situent sur le territoire de la deuxième plus grande zone humide de France, à l'intérêt écologique remarquable mais particulièrement affecté par les activités agricoles depuis plusieurs dizaines d'années. « Le pompage de l'eau dans les nappes phréatiques appauvrit la vie des milieux aquatiques qui sont des écosystèmes patrimoniaux remarquables à grande échelle, et sont souvent qualifiés de réservoir de biodiversité », ajoute l'élu.
Un impact plutôt positif mais bousculé par le dérèglement climatique
Face à ces arguments, les irrigants brandissent à l'unisson un rapport paru en juillet 2022 issu des travaux du BRGM (Bureau de recherches géologiques et minières) dans les Deux-Sèvres. Sur le papier, le document montre que les projections et les efforts de la Coop de l'eau permettraient d'améliorer le débit des rivières en été, en abandonnant les pompages effectués en rivière qui se faisaient jusqu'ici.
« Les résultats de la modélisation montrent un effet positif en printemps/été de l'ordre de +6 % de gain de débit en sortie du bassin pour le mois de juillet. Pour certains cours d'eau, comme celui du Mignon, une augmentation de débit de l'ordre de +40 % pourrait être atteinte », note le BRGM.
Quant à l'impact hivernal, il se révèlerait quasiment nul.
« Le débit entrant dans le Marais poitevin serait diminué de -200 L/s à -300 L/s entre la simulation 2021 et la simulation de référence, soit -1 % des 25 m3/s à 30 m3/s observés en moyenne en janvier sur la période 2000-2011. »
Mais, abordé dans un contexte de changement climatique, le rapport prend une toute autre tournure. En prenant en compte une baisse des précipitations, des sécheresses à répétition et un déficit de rechargement des nappes, le remplissage des retenues d'eau pourrait tout simplement être interdit.
« Les prélèvements pour le remplissage des réserves seront réglementés par des seuils hivernaux de gestion. Si, sur les indicateurs, les seuils piézométriques ou de débit de cours d'eau ne sont pas respectés, aucun prélèvement ne sera effectué. Cela permettra, par exemple en cas de déficit de recharge des nappes de limiter l'incidence du plan de prélèvements hivernaux sur le milieu. »
Un accès conditionné aux engagements... et aux quotas
Côté gouvernance, la Coop de l'eau assure que l'accès à la ressource en eau sera conditionné à des engagements vertueux de la part des 220 exploitations co-financeuces. « Si un agriculteur refuse d'effectuer un diagnostic et de prendre des engagements, il n'aura pas d'eau. [...] Les priorités d'usage seront destinées à l'élevage, l'agriculture biologique, les labels HVE et surtout, aux projets qui favorisent l'installation d'agriculteurs », présentait Thierry Boudaud, président de la Coop de l'eau dans les colonnes de La Tribune l'an passé.
Les opposants quant à eux pointent le système de quotas d'irrigation en vigueur en agriculture qui empêche de nouveaux demandeurs d'avoir accès à la ressource. Les droits d'irriguer sont en effet attribués selon les volumes prélevés il y a des dizaines d'années dans le Maris Poitevin. En Nouvelle-Aquitaine, seulement 10 % de la surface agricole est irriguée mais la bataille pour l'eau ne va faire qu'augmenter à cause du changement climatique. Si les réserves géantes sont des projets contestés, le système d'accès à la ressource semble bien obsolète face aux défis de l'agriculture.
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