En Nouvelle-Aquitaine, le tourisme de masse est-il un mythe ou un début de réalité ? (2/8)

Quiconque s'est risqué sur les routes du bassin d'Arcachon ou du Pays basque un jour d'été peut légitimement se poser la question du "sur-tourisme", ou tourisme de masse. Les différents acteurs de la filière se rejoignent sur le diagnostic : à Bordeaux comme ailleurs dans la région, cette inquiétude ne repose sur rien de fondé. Ce qui n'empêche pas une certaine vigilance. Voici le 2e volet de notre enquête dédiée aux mutations du tourisme.
Bordeaux et son emblématique Miroir d'eau, site le plus visité de la ville
Bordeaux et son emblématique Miroir d'eau, site le plus visité de la ville (Crédits : Agence Appa)

Trois exemples parmi d'autres : victime de son succès avec 19 millions de visiteurs, Amsterdam a pris des mesures pour limiter l'afflux touristique et les Pays-Bas s'apprêtent à changer radicalement leur marketing territorial en abandonnant la promotion de sa capitale au profit d'autres destinations. A Barcelone, les sites touristiques deviennent payants, leur fréquentation plafonnée, et les banderoles "Tourist go home" fleurissent aux balcons. A Venise, une "taxe de débarquement", dont les touristes devront s'acquitter pour découvrir la Cité des Doges, sera bientôt mise en place et devrait rapporter entre 40 et 50 millions d'euros mis à profit pour gérer la propreté de la ville notamment. Ces trois villes sont des exemples extrêmes du tourisme de masse, pour des raisons différentes : les deux premières attirent un public plutôt jeune et avide de fiesta à bas prix, la troisième séduit par sa dimension patrimoniale.

Le sur-tourisme, un effet de mode ?

Bordeaux et la Nouvelle-Aquitaine sont-ils concernés par ces phénomènes ? Assis dans son bureau de la mairie de Bordeaux en ce lundi matin pluvieux de mai, Stéphan Delaux se lève, se rapproche de la fenêtre et désigne de la main la place Pey-Berland. Celle-ci est vide ou presque.

"La question est légitime car l'accroissement du tourisme à Bordeaux a été spectaculaire ces dernières années", enchaîne l'adjoint au maire chargé de l'attractivité économique, du tourisme, des grands événements et de la vie fluviale. "Mais il faut raisonner avec des éléments objectifs et pas se fier uniquement au bruit de la rue. Bordeaux, c'est aujourd'hui 6 millions de nuitées par an, très loin de ce qui se passe à Amsterdam ou Barcelone. Et sur ces 6 millions, c'est plus de 50 % liées au tourisme d'affaires. Une fois cela dit, le sujet ne doit pas être repoussé. Nous avons un tourisme calme, paisible et raisonnable mais le risque est toujours que la machine s'emballe. Nous cherchons donc à ne pas subir."

Comment alors ne pas subir ?

"Bordeaux est une ville de patrimoine, c'est le message que nous voulons envoyer. Il n'est donc pas question de la transformer en parc d'attractions. Si j'écoutais les demandes, il y aurait aujourd'hui 50 restaurants flottants sur la Garonne. Les touristes ne viennent pas pour se saouler comme ils le font sur les ramblas de Barcelone, ils sont là pour discuter avec les vignerons et visiter les domaines viticoles. Je n'ai pas envie que le fleuve se transforme en bodega : par contre inciter les personnes de passage à découvrir l'estuaire de la Gironde, c'est oui ! Il nous faut donc être responsable dans le choix des projets et capitaliser sur nos atouts fondamentaux."

L'élu juge qu'il existe un "effet de mode où l'on parle beaucoup de sur-tourisme" mais que dans la région bordelaise ou ailleurs en Nouvelle-Aquitaine, il ne repose sur rien de concret. En revanche il pointe qu'il s'agit d'un marché d'offres et incite au travail collectif : "Ce qu'attend un touriste, c'est la dune du Pilat, moins l'éco-tour de la rive droite. A nous d'être en accord avec les différents acteurs locaux pour construire et orienter les messages pour promouvoir nos pépites inattendues, à passer plus de temps à les promouvoir."

Montée en gamme et vols low cost, deux garde-fous

Le sujet du tourisme de masse, Michel Durrieu le maîtrise parfaitement. Pendant 27 ans, il a œuvré à Barcelone au sein d'un opérateur privé et s'y est donc frotté de près. Aujourd'hui, il assure la direction générale du Comité régional de tourisme de Nouvelle-Aquitaine. Lui aussi déconstruit complètement l'hypothèse d'une saturation, démonstration méthodique à l'appui :

"Globalement, un peu partout dans l'Hexagone, la clientèle française a de plus en plus tendance à se tourner vers l'étranger grâce aux compagnies aériennes low cost. Notre premier marché, c'est Paris. Or, aujourd'hui, 60 % des Parisiens n'ont plus de voiture ! Pour eux, cela coûte moins cher de prendre un vol low cost et de louer un hôtel 3 étoiles au sud de la Méditerranée au bord de la place que de louer un bungalow sur la côte littorale. Le premier critère de choix des Français, c'est le prix. Nous, nous sommes structurellement sur un tourisme plus cher, avec un nombre de salariés importants, des prestations conséquentes, un hébergement très nature et camping... ce qui rend impossible un tourisme de masse. En Nouvelle-Aquitaine, on constate des pointes mais elles sont limitées à la période 10 juillet - 20 août. La demande est raccord avec les capacités d'hébergement. On a tendance à oublier que le Pays basque ou le bassin d'Arcachon ont toujours été plein l'été !"

A la tête du cabinet d'étude et de conseil en tourisme Protourisme, dont il est le directeur général associé, Didier Arino ne croit pas non plus qu'il y ait le moindre risque de "sur-tourisme" en France. Il voit plutôt le danger du côté du « sous-tourisme » même s'il admet que cette activité ne peut pas se répartir de façon homogène selon les territoires:

"Les destinations touristiques fortes se renforcent et celles qui sont plus faibles vont en s'affaiblissant. C'est frappant quand on regarde les centres urbains les plus dynamiques, comme Bordeaux Métropole, qui devient un puissant moteur touristique. La Région Nouvelle-Aquitaine et le Département de la Gironde ont fait de nombreux efforts pour protéger la nature et faciliter la vie des touristes, avec les pistes cyclables par exemple. Mais rééquilibrer les flux touristiques, c'est une autre affaire", juge Didier Arino, plutôt impressionné par le décollage touristique de la métropole bordelaise et son cadrage par les élus.

Dans sa publication "Cahiers de la métropole bordelaise" parue au 2e trimestre 2019, l'agence d'urbanisme métropolitaine A-urba évoque le phénomène. Elle aussi conclut que la situation bordelaise est sous contrôle, ce que semble également témoigner l'absence de mouvements de contestation de la population locale envers le tourisme. Ce qui n'empêche pas d'avoir des points de vigilance, notamment sur la question immobilière, étroitement lié, et sur le transport. Mais on parle là d'effets secondaires.

La Nouvelle-Aquitaine vise le tourisme durable

"Nous n'avons pas de problème de tourisme de masse comme on peut le voir à Barcelone, Amsterdam, ou Saint-Sébastien mais il faut être vigilant aux effets de saturation sur certains sites, et leur impact concret sur le paysage, et à la volonté croissante des touristes d'avoir davantage de place, de temps, de calme", réagit Sandrine Derville. La vice-présidente du conseil régional en charge du tourisme promeut ainsi un tourisme plus durable et plus "lent" à travers des itinérances cycliste ou fluviale, de l'œnotourisme et des hébergements plus écologique. "Bordeaux, Biarritz, La Rochelle, Lascaux ou Sarlat doivent être des portes d'entrées sur le territoire pour diffuser les touristes ailleurs, dans l'intérieur des terres", ajoute-t-elle.

La Région accompagne donc les entreprises et les créations d'activités touristiques en bonifiant ses aides financières dans les territoires moins visités. Elle mise aussi sur la complémentarité entre destinations en aidant ces territoires à se structurer et à se mettre en avant : formation des professionnels du tourisme et de l'hôtellerie-restauration à l'accueil, à l'anglais, à la biodiversité et à l'écotourisme notamment. 75 hébergements touristiques sont déjà éco-labellisés. Enfin, le Comité régional du tourisme et la Région accompagnent aussi les sites touristiques et petits opérateurs à monter en gamme, à investir et à rénover. A plus longue échéance, la Nouvelle-Aquitaine vise la neutralisation carbone des activités touristiques pour revendiquer le titre de première région française du tourisme durable.

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Les paquebots, miroirs de la croissance

En 2019, l'estuaire de la Gironde accueillera une petite soixantaine de paquebots, un nombre record. Un peu moins de cinquante jetteront l'ancre à Bordeaux et chacun déversera quelques centaines de visiteurs dans les rues de la ville. Entre avril et novembre 2019, 40.000 croisiéristes sont ainsi attendus, une cible prisée. Certains cavistes évoquent ainsi des achats de bouteilles de vin, souvent livrées ensuite au domicile de ces croisiéristes au fort pouvoir d'achat, dépassant allégrement le millier d'euros... La trajectoire est spectaculaire : entre 2018 et 2019, Bordeaux aura gagné 12 escales supplémentaires. En 2012, on n'en dénombrait qu'une trentaine... Parmi ces visiteurs, on dénombre en très grande majorité des Américains, Anglais et Allemands. La progression impressionne, certes. Mais on reste encore très loin des standards marseillais, qui a dépassé les 1,7 million de croisiéristes en 2018.

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Cet article est le 3e volet de notre enquête sur les mutations du tourisme parue en kiosques dans l'Edition Bordeaux de l'hebdomadaire La Tribune. Vous pouvez vous abonner ici. A lire aussi :

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Commentaire 1
à écrit le 11/07/2019 à 15:14
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"Bordeaux, c'est aujourd'hui 6 millions de nuitées par an, très loin de ce qui se passe à Amsterdam ou Barcelone." LEs oeillères habituelles toujours repus aux "analyses" les plus courtes. Oui mais amsterdam et barcelon ne sont pas du tout ...

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