Forêt : la réglementation sur les coupes rases va se durcir dans le Limousin

ENJEUX. Dans une région où un tiers du territoire est couvert par la forêt, élus et services de l’État veulent une réglementation plus stricte sur les coupes rases. Une avancée issue de la pression mise par les associations environnementales qui s'attaquent à l'industrie du bois en Limousin.
Sur le plateau de Millevaches, une coupe rase effectuée en avril 2024 laboure le paysage.
Sur le plateau de Millevaches, une coupe rase effectuée en avril 2024 laboure le paysage. (Crédits : MG / La Tribune)

Le long des routes, la forêt parfois disparaît. A la place, la terre lacérée. Le printemps impose des chaleurs précipitées qui obligent déjà à chercher l'ombre. Entre Aubusson et Felletin dans la Creuse ce jour d'avril, la haute température se fait d'autant plus sentir à l'approche de parcelles forestières rasées sur une dizaine d'hectares. En contrebas de la chaussée, un engin quadrille encore la terre avec des rangées de petites branches. En surplomb, des grumes de bois déjà taillés et fagotés prêtes à être expédier.

Sur le plateau de Millevaches, les coupes rases sont devenus un marqueur du paysage. A cheval sur les trois départements de l'ex-région Limousin, ce parc naturel régional subit les affres du changement climatique : les parasites prolifèrent et condamnent les peuplements à la coupe. Mais l'industrie forestière impose surtout une gestion de masse à une filière locale peu organisée.

forêt coupe rase limousin bois

La forêt limousine est principalement exploitée pour le bois d'œuvre à destination de la menuiserie, l'ameublement ou la construction. (crédit photos : MG / La Tribune)

Depuis leur local de Faux-la-Montagne, au cœur du plateau, les membres du Syndicat de la montagne limousine s'en attristent. Et rappellent combien la propriété forestière est morcelée. « Plus de 95 % de la forêt limousine est privée. Plus de la moitié des propriétés font moins de deux hectares », cadre Rémi Gerbaud, militant environnemental. Ici la règle, c'est l'adhésion à une coopérative qui propose des plans de gestion et conduit les travaux d'entretien et de récolte. Les propriétaires n'ont pas les moyens de le faire eux-mêmes et s'en remettent donc à ces structures de taille industrielle qui peuvent pratiquer des coupes rases. « C'est un mode de gestion primitif. C'est évidemment plus simple d'arriver avec les grosses machines et de tout retourner. Les sylviculteurs sont poussés vers le productivisme », tacle-t-il.

« Un vide juridique »

D'un bout à l'autre de cette petite montagne du centre-ouest de la France, l'opposition à la sylviculture intensive est systématique parmi une trentaine de collectifs qui réclament une meilleure organisation de la filière. « Il y a un besoin de gestion. La filière n'est pas structurée car la forêt est apparue depuis une centaine d'années en Creuse. Les propriétaires n'ont donc pas cette culture de la gestion forestière contrairement à l'Est de la France », relève Céline(*), militante de Forêt Debout. Suite à la mobilisation d'activistes contre la coupe du bois du Chat début 2023 et contre l'extension de la scierie Farges en Corrèze, ce collectif s'est monté en réaction à l'arrivée du fabricant de granulés de bois Biosyl à Guéret.

Lire aussiDans le Limousin, la forêt mise sous pression par la transition énergétique

Une contestation qui fait du bruit et s'exprime autour d'une forêt de 450.000 hectares à fort intérêt environnemental car majoritairement feuillue, où chênes, hêtres et châtaigniers dominent douglas, épicéas et pins sylvestres. Mais la tenue de plans de gestion forestiers pour encadrer la sylviculture n'y est pas obligatoire. Tout comme la demande d'autorisation de coupe-rases en-dessous de quatre hectares. « La pression est déjà forte avec des coupe-rases quasi systématiques. En face, il y a un vide juridique énorme avec une réglementation qui ne protège pas nos forêts », constate la militante. L'alerte a fini par remonter jusqu'aux services de l'État.

forêt limousin bois

Le panachage des essences entre feuillus et résineux est un marqueur de la forêt limousine.

Limiter les coupes rases... ou les interdire ?

Arrivée au printemps 2023, la nouvelle préfète de la Creuse, Anne Frackowiak-Jacobs n'a pas tardé à se saisir du sujet. Elle qui se définit comme une « amoureuse de la forêt », tout en pointant le « manque de raisonnement scientifique » des associations environnementales, veut endiguer les dérives. « Aujourd'hui, on doit déposer une demande de coupe rase à partir de quatre hectares pour la Creuse. Avec mes collègues de Haute-Vienne et de Corrèze, nous avons les mêmes problématiques, donc nous travaillons à un arrêté qui limiterait les coupes rases sans autorisation à deux hectares en définissant un périmètre précis et une charte de gestion », détaille-t-elle à La Tribune.

Une évolution qui permettra de mieux quantifier et réguler les coupes rases. Celles-ci ont concerné une centaine d'hectares en Creuse en 2023 selon des chiffres officiels qui ne prennent pas en compte les coupes de moins de quatre hectares... alors que la majorité des parcelles sont inférieures à cette superficie.

Des propriétés nombreuses et dont la gestion est tellement difficile à organiser que le président du Grand Guéret veut lui aller encore plus loin. « Je vais proposer à ce qu'on interdise dans le PLU les coupe rases sur le territoire de l'agglomération. Il y a des maires qui sont contre parce que certaines communes sont propriétaires de forêts qu'elles exploitent. Mais il y aura débat », annonce Eric Correia à La Tribune. Lui qui depuis son bureau prépare l'arrivée de Biosyl dans le chef-lieu creusois se montre également sévère avec l'industrie forestière. « En Creuse, il y a des entreprises qui font n'importe quoi : elles débarquent chez les gens, proposent d'acheter le bois, font une coupe-rase et s'en vont », regrette-t-il.

La filière bousculée

Au-delà du pur intérêt économique du bois, la pression s'accroît avec le réchauffement climatique. Les parasites menacent les peuplements - comme c'est le cas du scolyte sur l'épicéa - mais la hausse des températures rend aussi certaines espèces moins adaptées aux conditions locales. Les coopératives proposent alors la coupe sur des parcelles devenues moins performantes et appelées à être repeuplées par de nouvelles essences. Un renouvellement soutenu par le plan France 2030 grâce auquel « on a déjà replanté 1.134 hectares en Creuse », chiffre la préfète. Mais qui se traduit dans le paysage par des coupes rases et entretient les pratiques intensives.

La filière sait l'importance du sujet mais bouge lentement. Les coopératives se jaugent dans l'attente d'un mouvement collectif à l'initiative de Fibois France, qui fédère les interprofessions régionales. « On milite pour mener les projets au niveau interprofessionnel », évoque le directeur général d'Unisylva, coopérative qui regroupe plus de 13.000 propriétaires forestiers. Le sujet même des coupes rases reste épineux. « Plus que la nature de la coupe, c'est la façon de conduire les travaux qui pose question. On est beaucoup plus attentif à mettre en place des cloisonnements pour limiter le passage des engins et l'impact au sol, car c'est le capital forestier le plus important », fait-il valoir.

Si la réglementation va évoluer, les mobilisations locales elles promettent tout de même de s'intensifier avec la constitution d'un réseau des forêts limousines fédérant la trentaine de collectifs. Malgré la prise en compte de certaines de leurs revendications, le dialogue paraît rompu. La préfecture n'a pas tenu d'enquête publique sur l'implantation du projet Biosyl, limitant ainsi la consultation citoyenne. « Sur tous les projets, l'opposition est systématique dès lors qu'on veut toucher à un mode de vie. C'est très particulier au Limousin », observe la préfète de la Creuse. Le 17 juin, Fibois Nouvelle-Aquitaine tiendra les assises de la forêt et du bois en Limousin pour évoquer, lit-on sur le programme, l'impact du changement climatique et les attentes de la société. De quoi remuer la filière.

Lire aussiSylviculture : après les incendies en Gironde, une nouvelle doctrine qui peine à s'affirmer

Sujets les + lus

|

Sujets les + commentés

Commentaires 3
à écrit le 24/05/2024 à 8:42
Signaler
Et quand est-ce qu'on lutte vraiment contre le vol de nos forêts par els entreprises d'europe de l'est qui viennent comme des voleurs coupent tout en une nuit et repartent comme des voleurs ? Ça commence à être insupportable cette pratique. Du coup o...

à écrit le 23/05/2024 à 22:04
Signaler
Le prix du Douglas sur pied à 60€ est moins élevé qu’en 1993 ou il était à 650 francs soit 100€ ! Il n’y a plus de marché pour les feuillus hormis le bois de chauffage acheté pour rien au bout de 120 ans de pousse. Contrairement à ce qui est dit il n...

le 24/05/2024 à 8:40
Signaler
Imposer à la nature de suivre la mode des sociétés marchandes est de la folie furieuse.

Votre email ne sera pas affiché publiquement.
Tous les champs sont obligatoires.

-

Merci pour votre commentaire. Il sera visible prochainement sous réserve de validation.