Écologie radicale : « La lutte juridique n'exclut pas les autres formes d'actions »

INTERVIEW. Alors que les luttes écologistes ont pris un tournant radical, et parfois violent, ces derniers mois, un collectif militant s'affirme discrètement sur le front juridique. Basé à Bordeaux, Darwin Climax Coalitions est à l'origine de deux plaintes contre Total. Interview avec sa cofondatrice, Nathalie Bois-Huyghe, sur les paradoxes des luttes.
Maxime Giraudeau
Nathalie Bois-Huyghe
Nathalie Bois-Huyghe (Crédits : MG / La Tribune)

C'est sous la halle de Darwin, lieu hybride et branché de la rive droite de Bordeaux, qu'on a le plus de chances de croiser Nathalie Bois-Huyghe. Cet anthropologue de formation nous reçoit un mercredi après-midi, dans ce qui s'apparente à son environnement naturel, après un rendez-vous professionnel et avant que des centaines de jeunes n'investissent l'ancienne caserne pour le rendez-vous festif de mi-semaine. Dans ce lieu qui abrite une quarantaine d'associations, la femme de 49 ans a créé le lycée immersif et expérimental Edgard Morin en 2016. Et aussi le collectif DCC, pour Darwin Climax Coalitions, trois ans plus tard. « C'est comme ça que ça se passe ici, c'est organique, les projets émergent », bouillonne-t-elle.

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Le 29 mars dernier, le collectif composé d'une petite dizaine de personnes, accompagné de l'ONG ukrainienne Razom We Stand, a déposé plainte contre le géant TotalEnergies pour crimes de guerre en Russie. Transmis au Parquet national antiterroriste (Pnat), le dossier pointe la responsabilité de l'énergéticien dans la production de carburant à destination de l'armée russe. Une accusation que le groupe français a fermement démentie. Déjà en octobre 2022, DCC avait déposé une plainte similaire, faisant suite aux révélations du journal Le Monde. L'affaire a été classée par le Pnat en janvier, pour « infraction insuffisamment caractérisée ».

Le collectif bordelais est resté discret après l'annonce des deux plaintes. « Nous ne voulons pas nous mettre en avant nous, mais bien la cause que nous portons », recadre Nathalie Bois-Huyghe à La Tribune. Derrière elle, une équipe anonyme qui s'attache à rassembler des documents, témoignages et joue l'intermédiaire entre le terrain et la sphère juridique. L'acte fondateur du collectif remonte à 2021, par le dépôt d'une plainte devant la Cour pénale internationale pour la reconnaissance de crimes contre l'Humanité sur les peuples autochtones du Brésil. DCC revendique d'« utiliser l'outil juridique comme levier de défense contre les crimes environnementaux et pour la défense du vivant ». Une action qui détonne à un moment où les luttes écologistes en France et ailleurs virent parfois à de violents affrontements, comme autour des « méga-bassines » fin mars.

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LA TRIBUNE - Comment analysez-vous cette montée en intensité de la lutte écologiste ?

Nathalie BOIS-HUYGHE - Il y a un tournant dans la radicalité écologiste depuis plusieurs mois. Une forme d'écologie radicale s'exprime. La lecture que j'en fais c'est que, puisqu'on a épuisé tous les recours, on est lassé de l'inaction politique. Les procédures traditionnelles ne sont plus assez efficaces face à l'urgence qui nous fait face. C'est comme un espèce de cri désespéré pour se faire entendre !

Un constat que vous partagez ?

Que j'observe en tout cas. Je pense que cette lutte s'inscrit dans une forme de complémentarité avec d'autres formes, qui les unes avec les autres peuvent donner une voix. Après il faut poser la question de comment on pose le curseur sur la question de la violence.

L'action juridique s'inscrit bien dans un cadre légal, alors que l'activisme ne s'y attache pas toujours. Ces deux formes de lutte sont-elles vouées à ne pas interagir entre elles ?

Je les vois plutôt complémentaires. Les actions mises bout à bout peuvent avoir plus de poids que les actions isolées. La désobéissance civile, c'est quand même un outil ancestral, historique. Avant, il était tourné vers les droits humains, mais aujourd'hui il bifurque sur la question des droits environnementaux.

Il y a toute une vigilance à avoir sur le respect de la démocratie, la liberté de pouvoir manifester sans être catalogué d'éco-terroriste. Sur ces enjeux-là, je suis inquiète de comment se manifeste notre démocratie aujourd'hui. Il y a une question de responsabilité individuelle et collective. Je ne porte pas de jugement de valeur, j'observe qu'il y a une forme d'expression désespérée d'actes qui prennent des formes plus musclées.

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Votre action consiste néanmoins à dire que le droit peut encore prévaloir.

Oui mais ce n'est pas à l'exclusion des autres formes d'actions ! Je ne suis pas en train de dire qu'il faut aller détruire ou entrer dans une forme de violence, je suis profondément pacifique dans l'âme. L'expression à travers l'outil juridique de lobby ma va bien. [...] Je continue à croire que c'est le levier qui permet de tordre les lois depuis l'intérieur.

Vous croyez en l'état de droits, mais vous dites en même temps être inquiète par rapport à sa capacité à garantir la liberté d'expression. Peut-on encore convaincre les activistes de sa force ?

Je pense que toutes ces formes d'action ont leur complémentarité. J'ai une vraie inquiétude sur notre capacité à exercer notre liberté d'expression. Il y a eu une bascule à Sainte-Soline, avec un avant et un après, sur la répression et la violence qui se sont exprimées. Ce sont deux visions du monde qui se cognent l'une à l'autre et dont les fractures vont continuer à s'accentuer.

Cette question va faire l'objet du prochain festival Climax. Nous aborderons les différentes formes de luttes, avec une observation anthropologique de leur « montée en degré ». Ce ne sont pas seulement des oppositions, des refus qui s'expriment, ce sont aussi des volontés de transformation.

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Maxime Giraudeau

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