Quel avenir pour le stade Matmut Atlantique si les Girondins de Bordeaux tombent en Ligue 2 ?

DÉCRYPTAGE. Désormais derniers du championnat, la descente en Ligue 2 pourrait être scellée dès ce mercredi pour les Girondins de Bordeaux qui n'ont quasiment plus aucun espoir de se maintenir après leur 19e défaite de la saison à Angers (4-1). La relégation sportive rebattrait du même coup les cartes du modèle économique du Stade Matmut Atlantique. Un équilibre déjà ébranlé tant les intérêts des trois parties prenantes - SBA, Bordeaux Métropole et les Girondins de Bordeaux - sont fondamentalement divergents depuis l'origine. La société exploitante SBA affiche déjà plus de 17 millions d'euros de déficit mais c'est bien la Métropole qui serait perdante en cas de relégation des Girondins. Explications.
(Crédits : Licence Creative Commons)

L'avenir du club n'est plus entre ses mains. Après une nouvelle lourde défaite dimanche 8 mai face à Angers (4-1), les Girondins de Bordeaux, 20e au classement, pourraient acter leur descente en Ligue 2 dès mercredi. Si Saint-Étienne l'emporte dans deux jours, le Football club des Girondins de Bordeaux (FCGB) perdra sa place dans l'élite du football français pour la seconde fois de son histoire pour des raisons sportives. La descente n'est pas officiellement mais est dans toutes les têtes et déjà, les évidentes questions financières de gestion du stade Matmut Atlantique se posent.

La société SBA - pour Stade Bordeaux Atlantique - qui gère l'exploitation et l'entretient de l'enceinte pour le compte de Bordeaux Métropole (lire encadré plus bas), accusait déjà 17,6 millions d'euros de pertes cumulées au 31 décembre 2020. Un déficit qui devrait approcher des 20 millions d'euros à fin 2021. Un gouffre au regard de son modèle financier prévisionnel qui prévoyait seulement sept millions d'euros de pertes sur la période 2014-2024.

résultats SBA

Cliquez sur l'image pour l'agrandir. Les résultats financiers de SBA entre 2015 et 2020 ont été trois fois moins bons que ceux attendus. (Crédits : Bordeaux Métropole)

Si les Girondins se retrouvent en Ligue 2, la baisse probable de la fréquentation du stade ne sera qu'un problème mineur au vu des autres dispositions prévues par le contrat signé en 2011 entre acteurs publics et privés.

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  • Quel serait l'impact pour SBA des Girondins en Ligue 2 ?

Co-entreprise des deux constructeurs du stade, Vinci et Fayat, SBA est en sursis. Les annulations de concerts dues à la crise Covid ont bridé des recettes d'exploitation du stade Matmut Atlantique déjà très faibles. Et si les aides Covid déployées par l'État ont amoindri les pertes de l'exercice 2020, les résultats financiers pour 2021, qui seront présentés à l'automne prochain devant la Métropole, pourraient marquer le dépassement des 20 millions d'euros de déficit cumulé depuis 2015. Du moins, si SBA existe encore à cette date.

A la dernière audition devant le conseil métropolitain, en novembre dernier, les dirigeants de la société ont envoyé un message menaçant : la faillite sera prononcée en 2022 si ces pertes structurelles venaient à se poursuivre, comme le relate le quotidien Sud Ouest. Une menace déjà formulée en 2019 qui peut aussi relever du coup de bluff et préparer d'éventuelles négociations avec Bordeaux Métropole.

Est-ce que, pour autant, une descente en Ligue 2 aggraverait la situation pour SBA ? Pas forcément. Les coûts liés à l'organisation d'un match de deuxième division sont en réalité moindres. "Le fait qu'il y ait une rétrogradation sportive ne change pas grand-chose au modèle économique du stade en tant que tel. C'est presque plus simple à gérer car les exigences de sécurité à la charge de l'exploitant sont moins lourdes qu'en Ligue 1" indique un bon connaisseur de la relation entre SBA et la collectivité. Le calendrier serait aussi potentiellement allégé permettant à SBA de diversifier davantage ses recettes alternatives comme elle a commencé à le faire.

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Mais hormis l'exploitant, personne n'aurait à gagner à une descente en deuxième division : ni les Girondins, bien évidemment, ni Bordeaux Métropole. "C'est bien la défaillance du modèle économique du stade : il y a un désalignement des intérêts entre les trois parties prenantes : SBA, la Métropole et le club", appuie-t-il. Des liens complexes qui trouvent leur origine dans le contrat de partenariat public-privé initial.

Un contrat sur trente ans et une relation à trois

Bordeaux Métropole et SBA sont unis par un contrat de partenariat public-privé conclu en 2011 qui confie à SBA, co-entreprise de Vinci et Fayat, de la conception, construction, exploitation et maintenance du stade jusqu'à 2045. Date à laquelle il sera remis en propre à la Métropole qui en est déjà propriétaire. En vertu de cet accord, la métropole verse chaque année 11 millions d'euros à SBA, sous forme de redevance annuelle pour l'exploitation et l'entretien du stade. En contrepartie, SBA reverse une participation forfaitaire aux recettes commerciales de 4,6 millions d'euros annuels à la collectivité. Les Girondins de Bordeaux, quant à eux, s'acquittent d'un loyer de 3,8 millions d'euros par an au propriétaire du stade, la Métropole, qui vient donc amoindrir d'autant ses versements à SBA. Pour la Métropole, le reste à charge s'élève donc à 2,6 millions d'euros annuels auxquels s'ajoutent les frais financiers. L'an dernier, les élus ont décidé d'étaler le montant demandé au club sur plusieurs années en raison des fermetures du stade liées au Covid faisant grimper le reste à charge autour de 4 millions d'euros. Une clause de revoyure indique que le contrat peut être revu tous les cinq ans, mais aucune négociation n'a abouti en 2020 ou en 2021. Le montage a toujours été reconnu comme avantageux pour Bordeaux Métropole puisqu'il en préserve les intérêts financiers au détriment de ceux de SBA... tant que l'entreprise tient son rôle et que les Girondins répondent présents.

  • Que se passe-t-il pour la Métropole si SBA jette l'éponge ?

Un brutal manque à gagner de 4,6 millions d'euros surviendrait. Et, surtout, la collectivité, donc le contribuable, serait responsable des prêts financiers contractés auprès de deux banques, démarchées au début des années 2010 par SBA pour financer le stade. Ces prêts tournent autour de 100 millions d'euros.

"Les banques ont exigé une garantie particulière : il fallait que la ville de Bordeaux signe l'acceptation de la cession de créance. Elles se demandaient : "S'il y a un problème, qui va nous payer ?" Dans un monde où on protège le contribuable, il aurait fallu que les sociétés, Vinci et Fayat, assurent le relai. Mais elles se sont débrouillées pour en être écartées. La ville de Bordeaux, à l'époque, a accepté, dans l'hypothèse où SBA ne puisse plus payer, que les banques aillent chercher la responsabilité auprès de la puissance publique", déroule Matthieu Rouveyre, ancien conseiller municipal PS de Bordeaux qui avait suivi de très près ce dossier.

Côté sportif, si les Girondins se retrouvent en Ligue 2 la saison prochaine, le club, déjà très endetté, et mettant en avant des ressources en baisse, voudra certainement renégocier le montant du loyer qu'il verse à la Métropole, comme il l'a déjà fait pendant le Covid. Il s'élève aujourd'hui à 3,8 millions d'euros annuels. Mais les déboires sportifs n'ont jamais été anticipés dans le projet d'exploitation de l'infrastructure sportive de 42.000 places. "A l'époque, je disais attention à l'aléa sportif. On me disait : "Mais vous n'y pensez pas, vous allez nous porter la poisse !" C'était un sacrilège d'imaginer un instant que le club chéri pourrait être relégué", raconte l'ancien élu à La Tribune. Aujourd'hui, un surcoût financier de plusieurs millions d'euros est pourtant potentiellement en jeu pour la puissance publique.

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  • Quel avenir pour l'exploitation du stade ?

Trois possibilités se dessinent en cas de départ de SBA. La première : la mise en place d'une régie publique de gestion de l'infrastructure. Bordeaux métropole devra déployer des moyens pour assurer en propre l'exploitation et l'entretien de l'enceinte et en dégager des recettes qui, sans parler de bénéfices immédiats, limiteraient les pertes à moyen terme. Ce que l'exploitant privé n'est pas parvenu à faire jusqu'ici dans le cadre des termes du contrat initial.

Deuxième option : la constitution d'un contrat d'affermage - en remplacement du contrat de partenariat public-privé - pour trouver un nouvel exploitant. Une voie plus commode pour la collectivité, qui déléguerait une compétence de gestion du stade qu'elle ne possède pas forcément. Mais périlleuse sur le plan financier : la somme de 4,6 millions d'euros annuels versée jusqu'ici par SBA apparaîtrait nécessairement comme trop élevée pour un nouveau candidat. Et la métropole serait alors obligée de négocier et d'assumer la différence.

Enfin, et c'est bien l'option la moins probable au regard des difficultés financières du club, Bordeaux métropole pourrait proposer aux Girondins de Bordeaux de se porter acquéreurs de tout ou partie du stade. Difficilement entendable pour un club qui cherchera à recréer une dynamique sportive avant de s'engager dans un nouveau montage aux perspectives incertaines.

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SBA ne bouderait pas une descente en Ligue 2 mais devrait vouloir renégocier, dans tous les cas, le montant de sa redevance annuelle. Sans quoi, il pourrait partir pour de bon. Au-delà des responsabilités financières se joue aussi l'avenir d'un emblème du football français qui, s'il rétrograde, aura besoin d'aide. Et la métropole pourrait se retrouver dans une situation particulièrement délicate où les Girondins réclameront un allègement de leur charge financière. Selon le discours qu'elle adressera au club, la Métropole pourra être vue, à déraison, comme le sauveur ou le fossoyeur des Girondins. Sans même parler des désaccords politiques sur le sujet entre socialistes et écologistes, associés au sein de la majorité. De quoi rappeler que les intérêts sportifs et financiers sont bel et bien liés mais pas alignés.

Contactées par La Tribune, ni SBA ni Bordeaux Métropole n'ont souhaité s'exprimer sur ce dossier sensible.

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