Alain Juppé a-t-il "totalement cramé la caisse" comme l'affirmait il y a trois ans Laurent Wauqiez, l'actuel président de la Région Auvergne-Rhône-Alpes ? C'est pour répondre à cette question mais surtout pour connaître ses réelles marges de manœuvres budgétaires, que le nouveau maire écologiste de Bordeaux, Pierre Hurmic, a commandé, à l'instar de Bordeaux Métropole, un audit au cabinet spécialisé Michel Klopfer en septembre 2020. Ce dernier, qui accompagnait déjà la précédente majorité, a passé au scanner les finances municipales du dernier mandat au cours duquel Bordeaux a connu deux maires : Alain Juppé (2014-2019) et Nicolas Florian (2019-2020), qui était auparavant 1er adjoint en charge des finances. A l'heure des comptes, qu'en est-il vraiment à l'aune de ce document d'une cinquantaine de pages ?
"Nous héritons a priori d'une situation qui paraît bonne avec des indicateurs classiques de gestion qui sont d'un bon niveau en termes d'épargne et d'endettement", reconnaît Claudine Bichet, la 1ere adjointe au maire en charge des finances, du défi climatique et de l'égalité entre les femmes et les hommes, avant de nuancer aussitôt ce satisfecit de façade : "Mais cette situation saine en apparence est-elle le fruit d'une gestion rigoureuse ou opportuniste ?"
Les gros équipements pèsent lourd dans le bilan
Et l'ancienne cadre du privé de distribuer les bons et mauvais points pour répondre à cette question purement rhétorique. Si les recettes de fonctionnement sont jugées d'un bon niveau, Claudine Bichet souligne "que 60 % de ces recettes sont liées à la fiscalité locale déjà élevée qui a été encore alourdie à trois reprises au cours du dernier mandat avec des hausses de taux, des suppression d'abattements et des majorations." Ainsi, malgré les deux baisses d'un point du taux de la taxe sur le foncier bâti décidées par Nicolas Florian en 2019 et 2020, les recettes fiscales directes par habitant étaient nettement plus lourdes en fin de mandat qu'en début (+11 %). La nouvelle élue aux finances égratigne aussi l'inflation des dépenses de personnel, qui pèsent 42 % du budget municipal et ont progressé de +1,34 % par an contre -0,3 % par an pour la moyenne des villes de même taille (après avoir neutralisé l'effet démographique et les transferts à la Métropole). Conclusion, pour Claudine Bichet, "il s'agit d'une gestion opportuniste grâce à la hausse de la fiscalité, aux transferts opérés vers la Métropole et à la cession des bijoux de famille pour financer des investissements somptuaires".
Car c'est ensuite la stratégie d'investissement du binôme Juppé-Florian qui est ciblée par la nouvelle majorité, et particulièrement le pic des années 2015 et 2016 à plus de 150 millions d'euros par an avant de retomber autour de 85 millions d'euros par an. "Avec le stade Matmut Atlantique, ensuite transféré à la Métropole moyennant un versement de 2,4 millions d'euros par an, la Cité du vin et la Cité municipale, on a une série d'investissements somptuaires qui ne bénéficient pas réellement aux habitants de Bordeaux. Au total, la facture de ces trois équipements est lourde : autour de 7 millions d'euros par an, soit le coût de trois crèches ou d'un gymnase", regrette Claudine Bichet, qui pointe notamment du doigt les coûts liés aux partenariats public-privé pour le stade et la cité municipale.
Une "dette grise"
Des choix politiques qui s'inscrivaient à l'époque dans une stratégie assumée par l'ancienne équipe d'attractivité économique et de rayonnement touristique et qui ont été notamment financés par une stratégie de "cession" ou de "valorisation" du patrimoine municipal : biens immobiliers et fonciers et participation financière. "Au total ces cessions et produits exceptionnels représentent 183 millions d'euros sur la période, soit plus de la moitié de l'épargne, mais cela revient à vendre les bijoux de famille puisqu'il ne s'agit pas de ressources récurrentes. Le choix a été fait de vendre pour financer des équipements somptuaires", pointe Claudine Bichet, citant notamment la participation de la ville dans la SAEM Régaz pour quelques 104 millions d'euros en 2015.
Dernier reproche de la nouvelle équipe mais aussi principale mauvaise surprise selon Claudine Bichet : "la dette grise qui n'est pas financièrement tangible, mais dont on a hérité malgré tout, est assez colossale. Elle correspond à un patrimoine de proximité délaissé ces dernières années : des écoles, des gymnases, des locaux municipaux. Il faudra bien rattraper ce retard de renouvellement et de gros entretien que nous chiffrons à environ 220 millions d'euros". A noter, que ce chiffrage n'est pas réalisé par le cabinet Michel Klopfer mais par la mairie, qui évalue également à 200 millions d'euros par le besoin d'entretien courant.
Le projet de mandature menacé ?
Au final, le verdict de l'adjointe tombe :
"Nos marges de manœuvre sont amputées faute d'une anticipation suffisante. Nous souhaitons maintenir un niveau d'investissement important au cours de ce mandat car c'est important dans cette période de crise. Mais pour cela nous allons devoir maîtriser les dépenses de personnel et adapter les dépenses d'investissement en priorisant la remise en état du patrimoine municipal et la réponse à l'urgence climatique parce qu'on ne pourra pas tout financer."
Parmi les principales dépenses d'investissement que la mairie entend préserver figurent la rénovation thermique des bâtiments, la végétalisation des cours d'écoles et les aménagements de l'espace public. "Nous allons devoir faire mieux avec moins et prioriser les besoins essentiels parce que la sobriété de la gestion sera un marqueur de ce mandat et que nous n'augmenterons pas la pression fiscale", conclut Claudine Bichet.
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