La guerre de l'eau entre sylviculteurs et Bordeaux Métropole est ouverte

Le département de la Gironde ne manque pas d’eau mais elle est mal répartie. L’ex-Communauté urbaine de Bordeaux pensait être le meilleur porteur de projet pour trouver de nouvelles ressources en eau potable. Ce qui plonge aujourd’hui la métropole bordelaise dans un bras de fer dont elle se serait bien passée avec les sylviculteurs du Médoc.
Une nappe d’eau potable datant de l'ère de l’éocène a été localisée à 200 mètres de profondeur dans la forêt, entre Le Temple et Saumos.
Une nappe d’eau potable datant de l'ère de l’éocène a été localisée à 200 mètres de profondeur dans la forêt, entre Le Temple et Saumos. (Crédits : Agence APPA)

L'idée de forer des puits de 200 mètres de profondeur dans certaines communes du Médoc pour aller y pomper de l'eau potable puis la transférer dans des territoires girondins déficitaires provoque un tollé chez les sylviculteurs. Ces derniers s'inquiètent à plus d'un titre et en premier lieu pour la santé des pins maritimes qu'ils cultivent. Adhérent du puissant Syndicat des sylviculteurs du Sud-Ouest (SSSO), Jean-Jacques Héraud, habite à Hourtin, une commune forestière et côtière du Médoc un peu éloignée de celles de Le Temple et Saumos, plus au sud, où les fameux champs captants doivent être forés.

« Je suis élu au SSSO depuis près de 25 ans et le syndicat s'oppose à ce projet de champ captant. Ce projet va impacter la vie des pins, qui captent le carbone, filtrent l'eau, produisent de l'oxygène et par voie de conséquence le fonctionnement de la sylviculture, qui sert d'amortisseur social, qui est aussi une activité économique et environnementale », attaque d'emblée Jean-Jacques Héraud, histoire de bien planter le décor. Ceci avant d'en venir au cœur du sujet.

Jean-Jacques Heraud

Jean-Jacques Héraud, adhérent du puissant Syndicat des sylviculteurs du Sud-Ouest (crédits : Agence APPA)

"Il y a une contradiction entre les champs captants et les arbres. En prospectant vers Saumos et Le Temple ils ont trouvé une nappe exceptionnelle, d'une qualité extraordinaire et d'un volume énorme. La Métropole, avec son million d'habitants, qui sera bientôt atteint, consomme beaucoup plus d'eau qu'il y a 25 ans. En ayant de plus en plus de monde Bordeaux Métropole a de plus en plus de besoins. Et Bordeaux Métropole a voulu passer en force pour imposer ses champs captants aux sylviculteurs, sans concertation. C'est pourquoi les gens ont réagi contre ce projet", argumente Jean-Jacques Héraud, qui évoque le prélèvement à Saumos et Le Temple de 14 à 15 millions de mètres cubes d'eau par an.

Les premières alertes dans les années 80

Située immédiatement avant Le Porge, qui mène aux plages de l'océan, et juste au sud de Saumos, la commune du Temple n'est qu'à 38 km de Bordeaux et touche la Métropole au niveau de Saint-Médard-en-Jalles, ville métropolitaine la plus à l'ouest, dont le centre se trouve à une vingtaine de kilomètres. Pour autant la Métropole n'est pas l'enjeu unique de ce dossier des nappes profondes, ni même son lieu central. La partie déficitaire en eau se concentre dans le vaste espace appelé "centre" en Gironde, qui englobe non seulement Bordeaux Métropole, mais aussi le Libournais et une grande partie de l'Entre-Deux-Mers. La nappe profonde de l'éocène est présente sur la totalité du territoire départemental. Elle est stockée dans des roches poreuses appartenant à l'ère géologique de l'éocène, comprise entre -65 et -33 millions d'années.

En 2008 le Smegreg (Syndicat mixte d'étude et de gestion de la ressource en eau du département de la Gironde) a comptabilisé 681 forages actifs dans cette nappe profonde, qui se situe à une distance comprise entre 100 et 500 mètres sous terre. Avec une grosse nappe située à 200 mètres : celle qui fait l'actualité dans le Médoc. Jean-Pierre Turon, élu métropolitain (PS) en charge des ressources en eau et maire de Bassens, est aussi le président du Smegreg. Agrégé en géographie et professeur de géographie il suit ce dossier de près et depuis longtemps.

« Nous savons depuis les années 1980-1990 que le département de la Gironde, et pas simplement la Communauté urbaine de Bordeaux, devenue ensuite Bordeaux Métropole, allait avoir des problèmes d'alimentation en eau. Il y a eu des alertes, à partir des mesures faites par les piézomètres installés, qui montraient une baisse du niveau de l'eau dans certaines parties du département, avec des problèmes de qualité », recadre l'élu.

Jean-Pierre Turon

Jean-Pierre Turon, élu métropolitain (PS) en charge des ressources en eau, maire de Bassens et président du Smegreg (crédits : Agence APPA).

Le Temple et Saumos : les deux meilleurs gisements

C'est d'abord pour s'atteler à la recherche de ressources de substitutions en eau potable qu'a été créé le Smegreg. Une prospection qui est aussi rapidement allée de pair avec la recherche d'économies. Via une mobilisation menée à l'échelle départementale, car la situation girondine ne témoigne pas d'un manque d'eau généralisé mais de l'allocation territorialement déséquilibrée d'une ressource par ailleurs abondante, synthétise le président du Smegreg. Ce dernier précise que le premier gisement d'eau potable identifié, qui devait être mis en production en 2016, l'a été au sud du département, à Villagrains et Cabanac.

"Et puis nous en avons identifié d'autres gisements dans le Médoc, où nous pensions que ce serait plus facile... Au départ nous manquions de données sur la structure des sous-sols, nous n'avions que les informations collectées lors des prospections par les compagnies pétrolières. Nous avons fait des études, qu'il a fallu ensuite affiner. Il est normal que les habitants et les sylviculteurs se posent des questions. Mais nos résultats concernant la nappe profonde de Saumos et Le Temple, produits pour l'aspect géologique par le BRGM (Bureau de recherches géologiques et minières) et par l'Inra (Institut national de la recherche agronomique) pour l'impact sur la forêt, sont parfaitement fiables", souligne Jean-Pierre Turon, qui indique que ce projet représente un investissement de 60 M€.

Une fiabilité qui ne convainc qu'à moitié les sylviculteurs qui ne comprennent apparemment pas qu'après un recul de plus d'un mètre du niveau des eaux de surface, il soit désormais question d'une baisse de seulement dix centimètres. Un écart que Jean-Pierre Turon explique par le changement de terrain. Le premier chiffre étant lié à un autre champ que celui de Saumos et Le Temple, où l'étanchéité entre les nappes de surface et les nappes profondes est maximal, ce qui écarterait tout risque de perte d'eau ou d'affaissement du sol.

La population augmente, pas la consommation d'eau

Quant aux critiques adressées à une Métropole qui ne ferait aucun effort pour économiser son eau, Jean-Pierre Turon a des éléments à faire valoir. Comme il le précise, depuis la création en 2003 du Schéma d'aménagement et de gestion des eaux (Sage), les mesures d'économies se sont succédé. Michelin n'a plus le droit de pomper de l'eau potable pour son usine et prélève désormais dans la Garonne. Cette eau à teneur salée doit ensuite être traitée pour ne pas abimer les machines.

"Si nous arrivons à tenir malgré les blocages que nous connaissons aujourd'hui, c'est que la politique d'économie lancée depuis les années 2003-2004 a porté ses fruits. Nous avons réussi à économiser 10 millions de mètres cubes d'eau par an. Alors que la population de la Gironde a augmenté de 200.000 habitants entre 2003 et 2018, la consommation d'eau a diminué", martèle Jean-Pierre Turon, qui dénie toute tentative de passage en force de la Métropole : "A l'heure qu'il est, nous devrions en être à la réalisation du second projet de champ captant", laisse-t-il tomber. Non sans suggérer que l'ex-communauté urbaine a probablement fait l'erreur de croire qu'elle était le meilleur instrument pour porter ce projet.

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Au cours des prochains jours, nous publierons notre dossier complet, "Eau, électricité, alimentation : les plans du Grand Bordeaux pour sécuriser sa croissance" paru dans La Tribune Hebdo datée du 5 avril 2019. Il est possible de consulter la version numérique en format pdf ici.

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Commentaires 2
à écrit le 05/05/2019 à 11:18
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L' évidence impose une limitation naturelle au developpement des villes : quand il n'y a plus de place, plus d'eau et plus d'air à respirer c'est que la taille critique maximale a été dépassée. Les équipes de Juppé n'ont rien compris au développem...

à écrit le 04/05/2019 à 11:39
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Éviter de piller la nature ne serait pas du luxe mais hélas le niveau intellectuel de nos investisseurs est tombé tellement bas qu'ils sont devenus totalement aveugles aux risques engendrés sur l'humanité.

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