Matropolix, Port de la Thune, Rétropole, Survivopole : quatre futurs possibles pour Bordeaux en 2050

Dans le cadre de la démarche participative et prospective Bordeaux Métropole 2050, le Forum urbain de l'Université de Bordeaux a esquissé quatre visages potentiels de l'agglomération bordelaise à l'horizon 2050 volontairement contrastés, cohérents et hétérogènes. Objectif assumé de la démarche : interpeller sur les choix et les non-choix opérés aujourd'hui et sur leurs effets à long terme.
L'architecte-urbaniste Sophie Vialettes a illustré les quatre scénarios imaginés pour la métropole bordelaise par le groupe de travail du Forum urbain.
L'architecte-urbaniste Sophie Vialettes a illustré les quatre scénarios imaginés pour la métropole bordelaise par le groupe de travail du Forum urbain. (Crédits : Sophie Vialettes • Tu veux un dessin ?)

Attention un scénario peut en cacher un autre ! A côté des quatre scénarios officiels retenus à l'issue de la démarche prospective Bordeaux Métropole 2050, quatre autres futurs possibles pour l'avenir de l'agglomération ont éclos du côté du Forum urbain, le centre d'innovation sociétale sur la ville de l'Université de Bordeaux. Un groupe de travail d'une vingtaine de personnes - universitaires, professionnels, militants associatifs - s'est réuni régulièrement d'octobre 2019 à mars 2019 sous l'impulsion de la sociologue Marina Honta (Université de Bordeaux, Centre Emile Durkheim) et de l'économiste Claude Lacour (Université de Bordeaux, Gretha).

Quatre scénarios prospectifs, nécessairement contrastés mais ni utopiques, ni apocalyptiques, ont émergé de cette démarche. S'inscrivant à la fois dans des trajectoires de continuité et dans des évènements de rupture, ils décrivent un monde plutôt sombre et en disent probablement autant sur les futurs possibles que sur les angoisses présentes. Technologie et intelligence artificielle, transition climatique, risque nucléaire, inégalités, fragmentations sociales et territoriales y tiennent ainsi une place de choix.

  • Matropolix

En 2050, les inégalités se sont accrues. La métropole, au nom de l'égalité, glisse vers l'omniprésence et devient l'acteur central d'un "bien commun métropolitain". Les politiques publiques sont élaborées à partir des données récupérées et traitées par l'intelligence artificielle en temps réel. Il n'y a donc plus d'élus locaux ni d'agents municipaux ou métropolitains. Surface, consommation, énergie... : tout est mesuré et quantifié en permanence de manière à en optimiser l'usage et le partage. Et pour faciliter l'abandon de soi à ces outils virtuels, ces politiques ciblent l'ensemble des secteurs (emploi, transports, santé, éducation, logement, revenu de base, etc.) et visent la résorption des inégalités par l'amélioration générale du cadre de vie.

Dans ce contexte de totale régulation algorithmique, "le droit à la ville" prend une forme singulière : l'expression des besoins n'étant possible qu'à travers ces dispositifs, les projets métropolitains ne sont jamais discutés et débattus par les habitants mais conçus à l'aune de la "vérité" algorithmique. C'est ainsi que la métropole se pense bienveillante et estime faire le bien. Des informations sont, d'ailleurs, envoyées en permanence sur les smartphones sur la (bonne) conduite à tenir pour garantir ce bien-être. Cette métropole, aux traits contradictoires, se veut au service des hommes et des femmes tout en ayant opté pour la déshumanisation de ses modes de gouvernance et de fabrication de ses politiques publiques.

  • Le Port de la thune ©

La métropole a fait le choix de l'économie de marché et de la financiarisation à outrance. Cette dynamique est soutenue par les acteurs économiques du territoire dont l'influence n'a cessé de croître depuis 2018. Le pourtour de la métropole est maintenant occupé par une ceinture de quartiers d'affaire avec une esthétique rappelant Hong Kong. La métropole est gérée par une oligarchie d'entrepreneurs - le CAC 33 - constituée des 33 plus grands patrons du territoire, une instance informelle et évolutive (on y entre et on en sort en fonction de ses performances). Le centre-ville, entièrement piéton, est muséifié pour garantir une attractivité touristique tandis que la métropole vit également d'une économie du luxe (vin, aviation privée, bateaux, jeux vidéo, etc.).

La métropole a fait le choix assumé de la ségrégation spatiale pour ce qui concerne, notamment, l'accès au logement. Aussi et en allant vers l'océan, un ensemble de gated communities accueille les travailleurs aisés qui profitent de l'air frais. Les autres catégories de travailleurs vivent à 100 km dans les villes vassalisées par la métropole qu'ils rejoignent grâce à des transports hyper rapides. Quant aux plus démunis, ils résident sur la rive droite et sont laissés à distance par la Garonne et des péages sur les ponts. En valorisant ainsi une concurrence pleine et entière, cette métropole se pense juste car elle laisse davantage de chances que par le passé d'évoluer dans l'échelle sociale.

  • La Rétropole d'avenir

Solidarité et de sobriété dominent au sein de cette métropole au lendemain d'une grave crise économique liée à la raréfaction des énergies fossiles et d'un léger incident survenu à la centrale nucléaire du Blayais. On n'y produit qu'un peu d'électricité éolienne et on mobilise seulement des « low tech » et de la « small data ». La vie y adopte un rythme volontairement lent. L'échelle de base est le quartier, lieu privilégié du lien social avec ses espaces publics et ses commerces de proximité, et l'échoppe est redevenue la forme préférée de l'habitat. La Rétropole prend aussi en compte un territoire élargi, non limité aux villes environnantes, où est produit ce qui est nécessaire pour répondre aux besoins alimentaires des habitants. Les zones humides sont réinvesties par l'agriculture. Vins et bières sont produits dans des micro-brasseries dont la plus importante est installée à Darwin. On cultive aussi du chanvre indien pour servir de monnaie d'échange.

La métropole est conçue pour ceux qui adhèrent au modèle car il faut participer à la vie collective et se conformer à ses valeurs de sobriété, d'échange et de solidarité. Il y a néanmoins un risque d'entre soi, d' "économie de paroisse", de système excluant, voire enfermant. La métropole fonctionne ainsi par une auto-régulation moraliste et culpabilisante. Il y a peu de criminalité et d'incivilités car il n'y a pas grand-chose à voler et les denrées sont réparties équitablement.

  • La Survivopole

Dans les années 2030, la métropole était l'archétype de la "ville intelligente" et connectée et son fonctionnement quotidien reposait largement sur des plateformes digitales. Mais un bug informatique généralisé a remis totalement en cause ce paradigme. La ville a été ravagée et détruite en grande partie par un incident survenu à Blaye en lien avec la panne informatique. En 2050, les populations vivent en permanence dans l'angoisse de futurs traumatismes et se méfient des progrès technologique et des dérives de ce que l'on appelait à l'époque l'intelligence artificielle. Le résultat : le retour à un passé volontairement idéalisé.

Il a été décidé de conduire une politique de "décroissance positive" : la métropole compte 500.000 habitants, tournant le dos aux anciens désirs de la métropole millionnaire, et mène une politique de contrôle démographique très sélective en faveur des métropolitains. La Survivopole est ainsi réservée aux métropolitains qui en acceptent les règles de fonctionnement fondées sur un pouvoir charismatique incarné par des Grands Gourous, versions modernes des "druides", qui font office de caste de décideurs. Les habitants, en effet, ne croient plus dans les vertus d'un Etat-Providence et demandent de l'ordre. Ceux qui n'adhèrent pas à cette idéologie ou à cette religion sont exclus au sens littéral puisque, pour préserver la taille de la métropole et le respect des règles imposées, a été institué un Mur qui protège la Survivopole. On est obligé d'obéir pour survivre.

Retrouvez ces quatre scénarios prospectifs plus en détail sur le site du Forum urbain.

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Commentaire 1
à écrit le 02/04/2019 à 22:45
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