Jacques Séguéla part en guerre contre les Gafa

Le plus célèbre publicitaire de France, connu pour nombre de slogans bien sentis, sort un brûlot dirigé contre le quatuor Google, Apple, Facebook et Amazon. "Le diable s'habille en Gafa" pose un regard lucide sur l'emprise de ces géants américains. Confessant que les agences publicitaires ont leurs torts dans cette prise de pouvoir, Jacques Séguéla appelle maintenant à la résistance. Avec le sens de la formule qu'on lui connaît.
Jacques Séguéla lors de sa conférence à l'Iseg Bordeaux
Jacques Séguéla lors de sa conférence à l'Iseg Bordeaux (Crédits : ISEG)

Citroën et ses campagnes marquantes, c'est lui. Carte noire le café nommé désir, c'est lui. La Force tranquille de François Mitterrand, c'est lui. "Le Diable s'habille en Gafa", c'est lui aussi, dans un autre genre, le pamphlet. De passage à Bordeaux pour une conférence donnée devant les étudiants en marketing et communication de l'Iseg, rejoints par des lycéens et des professionnels, Jacques Séguéla n'a pas déçu. Fidèle à lui-même, sillonnant l'espace, apostrophant le public, livrant un réquisitoire peu nuancé. Jamais avare en formules chocs, qui ont émaillé sa carrière de publicitaire. Il les revendique toutes, à part sa saillie sur la Rolex totem des cinquantenaires qui ont réussi, formule qui lui colle encore à la peau et qui est, dit-il avec un peu de recul, "une belle connerie".

L'homme impliqué dans 20 élections présidentielles - dont 19 gagnées, souligne-t-il avec gourmandise - culmine à plus de 1.500 campagnes publicitaires. Il est aujourd'hui administrateur d'Havas Group et sort son 30e livre, "Le diable s'habille en Gafa", aux Editions Coup de gueule. Une attaque pour le moins frontale du quatuor Google, Apple, Facebook et Amazon, réunis au sein de l'acronyme Gafa. Indéniablement, le sujet lui tient à cœur tant leur omniprésence l'inquiète. "Le premier pays du globe par sa population est Facebook, le second la Chine puis l'Inde et le quatrième Google, écrit-il. Nul organisme n'a jamais eu cette emprise !"

Tous coupables

Jacques Séguéla n'est pas contre les Gafa et il se dit "prêt à accepter une part du diable". Il vend d'ailleurs son livre sur Amazon, rappelle-t-il. Il n'est pas non plus contre la technologie et le dit encore : "Comment contester son utilité ? Le numérique change le monde et sauve des vies. Il permet entre autres de mieux dépister les mélanomes, des cancers de la peau. Je préfère cette technologie-là que celle qui vise à permettre à l'homme de vivre 1.000 ans sur Mars. Qui voudrait de cette vie-là ?" Mais c'est la toute-puissance des Gafa qu'il incrimine : "Comment ne pas parler de monopole lorsque Google truste 90 % des requêtes sur le web, Amazon 30 % du marché du cloud, Facebook et Google réunis 70 % du marché publicitaire en ligne ?" Plus précisément, le culte de la donnée, et l'utilisation qui en est faite, est au cœur de sa cible. Le publicitaire dénonce avec force le dataïsme - pour une fois la formule n'est pas de lui - et son corollaire, la vie privée et l'intimité exploitées sans réel consentement.

Dans cette histoire, "tout le monde est victime mais aussi complice", assène Jacques Séguéla. "Les Etats, les consommateurs. Nous avons participé sans réaction à la mise sous tutelle de nos vies privées. Quelle erreur collective !" Et les publicitaires alors ? "Oui, c'est vrai. Nous avons nourri de données les Gafa en leurs apportant nos annonceurs, nous les avons aidé à se construire. Et nous sommes maintenant dans l'œil du cyclone." Le publicitaire n'élude pas cette responsabilité et veut exhorter les citoyens "à entrer en résistance" : "Le nouveau rôle des penseurs, des patrons, des politiques, des médias, des communicants se devra d'être le régulateur de ce tempétueux torrent informatif, pour lui donner un sens autre que giratoire." Comment ? En premier lieu, les Etats doivent s'imposer. Pour Jacques Séguéla, le RGPD européen est un premier pas qui doit être suivi d'autres. En second lieu, le consommateur a un rôle à jouer en se rebellant et en privilégiant les alternatives, telles que Qwant qu'il cite en exemple (et dont le patron Eric Léandri sera à Bordeaux le 5 décembre lors du French Tech Day). Et les publicitaires aussi, notamment français, vont avoir leur combat à mener, martèle un des leurs : "Nous devons remettre la créativité et donc l'émotion sur le devant de la scène. D'autant plus que la publicité a été inventée en France ! La data n'est qu'un outil complémentaire de l'idée."

Ce positionnement tient-il au moment où Lexus sort un film publicitaire dont le script a été conçu par une intelligence artificielle, Watson, conçue par IBM ? Jacques Séguéla balaie d'un revers de main : "L'IA fonctionne à partir de données, donc elle s'appuie sur du passé. Elle ne peut pas créer quelque chose de neuf. Hier n'a jamais créé demain. Le métier de publicitaire, c'est au contraire inventer l'avenir et de créer de l'émotion."

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