Laurent Alexandre : "La France a perdu sa souveraineté numérique"

L'Europe a-t-elle déjà perdu la bataille du numérique ? Pour l'auteur et entrepreneur Laurent Alexandre, invité de French Tech Connect Bordeaux, la réponse est clairement positive. Volontiers alarmiste, le fondateur de Doctissimo estime que pour ne pas perdre la guerre et sortir d'une situation de "colonie numérique sans souveraineté", la France doit renforcer la recherche en intelligence artificielle et supprimer la protection des données personnelles.

"Je vais vous parler de politique ce soir, je vais vous parler de vos enfants." C'est par ces mots, volontairement graves, qu'a débuté l'intervention de Laurent Alexandre (*) devant les 1.500 entrepreneurs, dirigeants et étudiants réunis au French Tech Connect de Bordeaux, mardi 12 décembre. Le chirurgien, essayiste, conférencier, fondateur de Doctissimo et président de DNA Vision était l'un des invités vedettes de cette 2e édition. Adoptant une posture de gourou du numérique - voix grave, bras levés et phrases chocs à l'appui - Laurent Alexandre s'est concentré sur la guerre de l'intelligence artificielle entre les Etats-Unis et la Chine... Conflit dans lequel la France et l'Europe ont déjà été colonisées.

"Rien n'a été fait pour préparer la jeune génération à la révolution numérique. Nos élites, menées par des présidents technophobes, ont abandonné notre futur. J'ai 57 ans et ma génération n'a rien compris au numérique tant politiquement qu'économiquement, sacrifiant ainsi votre génération", a-t-il posé d'entrée.

La menace des géants GAFA et BATX

Tout l'enjeu est de combler l'énorme retard entre les entreprises françaises et européennes "devenues des naines au niveau mondial" et les leaders californiens GAFA (Google, Amazon, Facebook, Apple) et chinois BATX (Baidu, Alibaba, Tencent, Xiaomi). "Nos entreprises atteignent 1 Md€ de capitalisation quand les GAFA en totalisent 1.000 Md€ et le seul Tencent atteint 540 Md€", a rappelé Laurent Alexandre.

Une domination sans partage des Etats-Unis et de la Chine qui a entraîné, selon l'entrepreneur "une perte de souveraineté numérique à tel point que la France et l'Union européenne sont devenues aujourd'hui des colonies numériques". Le nerf de cette guerre technologique est la recherche dans l'intelligence artificielle (IA), un enjeu tant à titre individuel que géostratégique : "Allons-nous finir écrabouillés par les GAFA et les BATX ?", a questionné Laurent Alexandre de manière purement rhétorique.

Favoriser l'utilisation des données personnelles

Pour lui, il est urgent de permettre aux entreprises européennes de "grossir plus vite, grandir plus vite et de disposer des moyens financiers et réglementaires nécessaires". Il met en avant deux axes principaux. Le premier, plutôt consensuel, propose de muscler le budget de la recherche - "2,2 % du PIB en France contre 5 % en Corée du Sud" - tandis que le second, clairement plus polémique, propose de lever les freins français et européens à la collecte et l'utilisation de données :

"La Cnil (commission nationale informatique et liberté) doit être modifiée pour permettre aux IA françaises d'utiliser les données personnelles. Il faut secouer Bruxelles pour moderniser le nouveau règlement européen sur la protection de ces données [RGPD]. Je vous le dis : ces règlements vont freiner les entreprises européennes et favoriser leurs concurrentes américaines et chinoises. Il y a une guerre technologique : l'Europe a besoin de guerriers !"

Les entrepreneurs, le nouveau lobby

Des évolutions qui passeront nécessairement, dans l'esprit de Laurent Alexandre, par un renouvellement drastique du personnel politique : "L'élection d'Emmanuel Macron a renouvelé profondément le personnel politique. Ces nouveaux élus, souvent plus jeunes, comprennent mieux la technologie qu'il y a un an. Mais ce n'est pas suffisant. Il faut remplacer les gens de l'autre temps". Et l'auteur de "La Guerre des intelligences" (2017, JC Lattès) d'appeler "la jeune génération d'entrepreneurs à être le lobby du futur auprès du patronat, des administrations, de l'Éducation nationale et des élus locaux et nationaux !"

Le dynamisme des jeunes entrepreneurs du vieux continent est en effet le "terreau extrêmement fertile" qui doit permettre de renverser la vapeur :

"Vous devez être plus ambitieux que vos aînés, plus internationaux, plus agressifs, vous devez viser des entreprises multimilliardaires pour dépasser la taille du simple crapaud numérique. Il y a un momentum très favorable pour développer le numérique et l'IA en France aujourd'hui mais il faut vous mobiliser !"

Mounir Mahjoubi président !

Et Laurent Alexandre de conclure son discours en se prenant à rêver, "à titre personnel", au sujet d'Emmanuel Macron et de Mounir Mahjoubi, le secrétaire d'Etat au Numérique, également présent à French Tech Connect :

"Mounir Mahjoubi n'est que secrétaire d'Etat mais il devrait être ministre d'Etat chargé de l'IA et, après les deux mandats d'Emmanuel Macron, je rêve d'une France où il serait le prochain président de la République !"

Rien de moins.

(*) Laurent Alexandre est actionnaire à hauteur de 28% de "La Tribune".

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