Université : ce qui s'améliore, et ce qu'elle peut améliorer

Chef d'orchestre de l'offre de l'enseignement supérieur et de la recherche dans la région, la Communauté d'universités et établissements (Comue) d'Aquitaine entre dans une nouvelle ère avec l'arrivée aux manettes de son nouveau président, Vincent Hoffmann-Martinot. Dans cette interview accordée à La Tribune, il recense les défis de la Comue, montre sa volonté de l'élargir au périmètre de la Nouvelle-Aquitaine et ouvre le débat sur les évolutions du monde universitaire.
L'Université de Bordeaux (ici le pôle juridique et judiciaire) fait partie des membres fondateurs de la Comue d'Aquitaine.

Héritières des anciens Pôles de recherche et d'enseignement supérieur (PRES), les Communautés d'universités et établissements ont été créées par la loi du 22 juillet 2013. En Aquitaine, la Comue d'Aquitaine a vu ses statuts entrer en vigueur en avril 2015. Elle est composée de 6 membres fondateurs : Université Bordeaux Montaigne, Université de Bordeaux, Université de Pau et des Pays de l'Adour, Sciences Po Bordeaux, Bordeaux INP et Bordeaux Sciences Agro. Des partenariats ont également été noués avec d'autres structures telles que le Crous, l'Institut Bergonié, Kedge Business School, le CHU de Bordeaux...

Quel est le contexte de la naissance de la Comue d'Aquitaine ?

Vincent Hoffmann-Martinot : "La loi de juillet 2013 a rendu obligatoire le regroupement territorial des acteurs de l'enseignement supérieur et de la recherche par fusion, association ou via les communautés d'universités et établissements, prolongement des anciens PRES. 20 sites universitaires français sur 25 ont choisi la forme de la Comue. Celle d'Aquitaine a vu ses statuts déposés en mars 2015 avec deux spécificités. Le rapprochement avec l'Université de Pau et des Pays de l'Adour lui a donné une surface aquitaine, alors que le PRES était bordelais. De plus, en même temps était fondée l'Université de Bordeaux, fruit de la fusion de Bordeaux I, II et IV. Nous avons attendu sa création pour assoir les bases de la Comue d'Aquitaine, et décider de ne pas amputer ses membres de leurs compétences. Pas d'absorption par le haut, donc. La Comue travaille sur la coordination et le portage de projets à l'échelle de l'Aquitaine, établit des ponts entre les territoires, et met en place des conventions avec des établissements ou structures partenaires. Notre réseau va donc au-delà du cercle des 6 premiers membres."

Que change pour vous le nouveau découpage régional entré en vigueur au 1er janvier dernier ?

"Les 6 membres souhaitent qu'à terme, et pas dans 20 ans ni même 10, la Comue prenne effectivement le format de la Nouvelle-Aquitaine. Avec les pôles de La Rochelle, Limoges et Poitiers, les relations se structurent. Concernant par exemple le projet de Maison des sciences de l'homme, La Rochelle et Limoges veulent en être. Ce réseau de coopération renforcée ferait clairement sens."

La Rochelle, Limoges et Poitiers font pour l'heure partie de la Comue Léonard de Vinci, avec Orléans et Tours notamment. Vont-elles la quitter prochainement ?

"A La Rochelle, le conseil d'administration de l'Université a voté il y a quelques semaines le principe d'une sortie de la Comue Léonard de Vinci et devrait valider cette orientation en septembre. Limoges et Poitiers n'ont pas témoigné une volonté explicitement affirmée de nous rejoindre mais elles voient que des coopérations informelles existent déjà avec nos pôles et que des flux existent à l'échelle de la nouvelle région, notamment étudiants."

Moins de défiance vis-à-vis du privé

Au-delà de cette extension géographique, quels seront les défis de la Comue d'Aquitaine dans les prochains mois ?

"Nous signerons le 23 septembre avec le secrétaire d'Etat chargé de l'Enseignement supérieur et de la Recherche, Thierry Mandon, un nouveau contrat de 5 ans avec l'Etat qui fixe nos axes stratégiques. Je peux déjà dire que plusieurs sujets sont cruciaux : la coopération transfrontalière, la sensibilisation et la formation à l'entrepreneuriat avec le dispositif Entrepreneuriat Campus Aquitaine que nous avons mis en place à destination des étudiants, ainsi que deux secteurs fondamentaux.

Le premier est le numérique. Il est en effet prévu que la Comue d'Aquitaine pilote la stratégie numérique de l'enseignement supérieur et de la recherche. Le Contrat de plan Etat - Région nous accorde des moyens pour pouvoir agir sur plusieurs axes : le renforcement du numérique dans les pratiques pédagogiques, les infrastructures, les systèmes d'informations ou encore la documentation et les bibliothèques, qu'on oublie souvent. Le second secteur est l'amélioration des conditions de vie étudiante. Notre mission est de mieux les connaître via des études et des enquêtes d'opinion auprès des 78.000 étudiants d'établissements membres de la Comue. J'aimerais que nous en rendions compte à travers un baromètre publié tous les deux ans."

Le monde universitaire a longtemps été réputé pour faire preuve de défiance vis-à-vis du secteur privé. Les choses s'arrangent-elles ?

"Il est vrai que l'attitude a été très ambivalente, notamment dans certains secteurs tels que les sciences humaines et sociales où l'on notait plus de réticences. Au moment où Entrepreneuriat Campus Aquitaine a été créé, certains disaient que l'on allait transformer les étudiants en futurs patrons du CAC40 !

Je dirais que l'évolution globale de Bordeaux et Pau sur ce sujet est plutôt favorable. La création de la Fondation Bordeaux Université, interface originale entre les mondes universitaire et socioéconomiques, a joué un rôle. Je ne cache pas que le fait que son premier président ait été Jean-René Fourtou, alors président de Vivendi, a pu en interpeller certains. Mais maintenant beaucoup d'étudiants en profitent. Des chaires qui fonctionnement très bien ont été créées avec le soutien d'acteurs privés. Tout cela se développe, avec une jonction plus forte sans que le privé dicte les enseignements. Nous sommes encore loin des dérives que l'on peut constater dans d'autres pays, avec des plaques « bâtiment construit par McDonald's » sur les campus."

On touche ici à des modifications profondes de la façon d'enseigner à l'université... Faudra-t-il pousser jusqu'à l'évaluation du corps enseignant ?

"Certaines universités comme Laval à Québec sont très en pointe sur le sujet et sensibilisent leurs équipes. On constate que parmi les enseignants-chercheurs, certains sont excellents mais ne présentent pas des compétences pédagogiques optimales. Et d'ailleurs, c'est très logique puisqu'ils ne sont pas recrutés sur ce critère. Dans les écoles, l'évaluation, non pas des enseignants mais bien des enseignements, existe. Dans les universités, nous avons beaucoup de travail pour développer les performances pédagogiques. Je pense fermement que la vraie révolution, ce n'est pas le classement académique de Shanghai, ce ne sont pas les Labex (label des laboratoires d'excellente, NDLR) même s'ils sont importants : c'est la transformation des enseignements. Elle induira une conséquence : privilégier, pour les étudiants, l'acquisition et le développement de compétences plutôt que l'absorption pure de connaissances."

"Pendant longtemps la France a presque eu honte de ses universités"

Vous évoquiez la coopération transfrontalière avec l'Espagne. Que souhaitez-vous faire ?

"Avec l'Eurorégion nous travaillons beaucoup pour redresser un certain paradoxe : nous sommes voisins des communautés autonomes mais la mobilité entre nos territoires est insuffisante. Les étudiants français jugent que l'Espagne est trop proche, pas assez attractive, et qu'il vaut mieux partir en Amérique du Sud par exemple. Inversement, l'Espagnol juge la France ringarde et préfère partir plus loin, en Norvège par exemple. Nous devons mieux nous faire connaître et mieux mettre en avant les valeurs, les opportunités que nous offrons. Les étudiants espagnols sont dragués par les universités allemandes alors que la France est un grand pays, voisin, avec une grande langue, qu'ils contournent pourtant allègrement !"

Sur quels points baser l'argumentaire ? Et que retoucher pour améliorer l'attractivité française ?

"Pendant longtemps, la France a eu presque honte de ses universités. Le programme Investissements d'avenir a permis de donner des moyens à des sites universitaires qui peuvent désormais apparaître comme des sites d'excellence. Le label Idex (Initiatives d'excellence, dans le cadre des Investissements d'avenir, attribué à des universités de recherche de rayonnement mondial dont Bordeaux est titulaire avec Strasbourg et Aix-Marseille) est un apport en terme de réputation. Quand je rencontre un dirigeant chinois qui m'explique que son université est dans le top 10 chinois, je lui réponds que Bordeaux est dans le « F3 », le top 3 français ! (sourire)

Jouons aussi sur le fait que le français est une langue importante dans le business, que la qualité de vie est importante. Accélérons dans les formations dispensées en anglais, essayons d'attirer davantage d'enseignants étrangers même si les conditions de rémunération ne sont pas assez attractives. Améliorons notre ingénierie pédagogique, créons des doubles diplômes avec d'autres universités : il n'est pas possible qu'on déclare à un étudiant qui veut partir à l'étranger pendant quelques mois qu'il prend l'équivalent d'une année sabbatique, perdue !

Certaines filières universitaires sont saturées. Comment résoudre le problème ?

"En travaillant davantage avec le rectorat et les lycées. Commençons par mieux connaître les attitudes et les aptitudes des élèves. Je sais que le mot de sélection est taboue en France, alors parlons d'orientation active. Quand on voit qu'on doit procéder à des tirages au sort dans certaines filières... Ce n'est pas digne d'un pays civilisé ! Je pense également qu'il y a un problème d'information sur les débouchés réels, en Staps ou en socio-psycho par exemple. Peut-être aussi pouvons-nous, pour améliorer la situation, mieux « vendre » ensemble certains sites universitaires moins connus que Bordeaux mais où les conditions d'études peuvent s'avérer meilleures."

D'autres inquiétudes ?

"L'époque du tout-classement n'épargne pas les universités et cela m'inquiète. Je constate aussi que de plus en plus d'enfants de familles aisées vont se former à l'étranger. Il faudrait se poser davantage de questions."

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