Bertrand Camus (Suez Eau France) : “L’innovation a construit notre passé, elle garantira notre futur”

Directeur général Eau France de Suez, Bertrand Camus était à Bordeaux à l’occasion des 5 ans du LyRE, centre de recherche et d’innovation du groupe français implanté au cœur du campus universitaire bordelais. Dans cet entretien accordé à La Tribune, il dévoile la stratégie du groupe en matière d’innovation pour ses activités eau en France.
Bertrand Camus, DG Eau France de Suez : "Il y a quinze ans, on donnait de l'eau potable et on traitait les effluents. Aujourd'hui on donne de l'ambition aux contrats qui nous lient avec les collectivités."

Vous êtes de passage à Bordeaux pour fêter les cinq ans du LyRE, c'est donc le bon moment pour effectuer un premier bilan de cette structure de recherche originale ?

"Le LyRE est une vraie évolution de nos capacités de R&D. Jusque-là nous étions sur un modèle d'une recherche plutôt internalisée. Cette structure, qui a la particularité de s'appuyer sur une gouvernance partagée et ouverte associant notre groupe Suez à l'Université de Bordeaux et ses chercheurs, mais également Bordeaux Métropole et la Région Nouvelle-Aquitaine, était il y a cinq ans la première application de ce que nous essayons de faire en termes d'évolution de nos capacités de recherche. C'est une structure qui mobilise 30 personnes entre Bordeaux et Montgeron en région parisienne."

Ce modèle du LyRE coexiste donc avec vos autres structures de recherche ?

"Oui, nous avons développé aussi des cellules de recherche propres qui travaillent sur le traitement de l'eau, les technologies avancées, mais aussi sur la dimension sociétale, la gouvernance ou encore autour du smart... nous avons par ailleurs des participations dans des entreprises innovantes, via un fonds d'investissement - Suez Ventures.  Pas question de les absorber, elles conservent leur nature de startup. Nous n'avons pas la capacité de maîtriser toutes les technologies du monde, mais nous pouvons les détecter, éventuellement les intégrer, mais surtout leur donner du sens pour nos métiers et nos services. La technologie pour la technologie, cela trouve vite ses limites."

"Le LyRE à Bordeaux, un modèle unique au monde"

Quels sont les domaines de recherche privilégiés par le LyRE ?

"Principalement les problématiques d'adaptation aux contrainte du changement climatique, les défis environnementaux, ceux de l'évolution des usages via une approche sociale et sociétale axée sur les pratiques des usagers ou encore de limitation de l'impact des métropoles et de l'accroissement de leur population sur la qualité, la disponibilité de l'eau. Il y a des sujets de recherche (35 projets en cours pour un volume de 6 M€, NDLR) qui ont été développés pour le territoire, mais nous avons aussi des projets qui prennent une ampleur importante et sont de plus en plus sophistiqués comme REGARD, ou la gestion dynamique des réseaux. La collectivité, à laquelle nous avons apporté notre expertise dispose déjà de Ramses, système de gestion des eaux pluviales et de lutte contre les inondations, ou encore d'Ausone, un système de gestion et de supervision de la ressource en eau. Avec REGARD nous travaillons sur la détection des micro-polluants, afin d'hiérarchiser l'importance de leurs impacts et de mesurer l'efficacité et l'acceptabilité sociale des solutions."

Vous avez d'autres centres de recherche dans le monde ?

"Oui, le LyRE fait d'ailleurs partie d'un réseau de centres de R&D Suez, avec le Cirsee à Paris, Cetaqua à Barcelone, le Water Hub à Singapour, le Wercs à New-York ou encore le CWEC de Chongqing et le SCIP de Shanghai... mais le LyRE, en termes d'ouverture partenariale, reste un modèle unique."

Dans quelques jours (le 7 juillet, NDLR), vous inaugurez à Biarritz un centre Visio. De quoi s'agit-il ?

"Chaque grande région aura son centre Visio, c'est le cas à Bordeaux, la principale vitrine de notre savoir-faire. Visio est un centre de pilotage entièrement numérisé du service de l'eau. Il concentre toutes les données fournies en temps réel par les réseaux, nos usines, les compteurs... La capacité qui est la notre de pouvoir faire remonter de la donnée de plus en plus riche, de plus en plus précise, nous permet d'agir, voire même, et c'est le but, d'anticiper. Le croisement de nos données et de celles d'autres services, comme la météo par exemple ou l'étude des courants marin, nous permet, dans le cas de Biarritz, de mettre au point un système d'anticipation de la qualité des eaux de baignade en fonction des aléas climatiques. Visio c'est tout cela, un système de pilotage à distance et de gestion dynamique de nos outils.
Le traitement des données tous azimuts qui remontent dans le centre de pilotage dynamique Visio permet, une fois associé à nos moyens humains et techniques, de réaliser nos mission de manière plus rapide, plus rationnelle... voire par anticipation. La recherche des fuites d'eau sur le réseau n'a plus rien à voir aujourd'hui avec ce que nous faisions hier... désormais, grâce aux données nous savons où chercher et réparer."

"Donner de l'ambition aux contrats avec les collectivités"

On a donc tort de cantonner le smart dans vos métiers à la seule télérelève ?

"Oui, on se rend compte que le smart va bien au-delà et tant mieux car la seule télérelève ne justifierait pas l'investissement que représente un compteur intelligent. Les technologies smart apportent déjà, et apporteront à l'avenir beaucoup plus que cela. L'envoi d'alertes fuite chez le consommateur final en cas d'anomalie détectée, la tarification saisonnière dans les stations balnéaires, qui permet à ceux qui y habitent toute l'année de ne pas financer 100 % du coût du service, ou encore le croisement de données qui pourrait permettre à des assureurs de proposer des prix plus légers pour les clients les moins exposés au risque de dégât des eaux, sont autant de services apportés par les données issues de nos réseaux."

Le fait que vos clients collectivités reviennent régulièrement sur la durée des contrats et même vos rémunérations ne menace t-il pas votre capacité à innover ?

"90% des élus ont une vision à long terme de la politique, sont très proches de leurs concitoyens, sont dans le concret et font des choix d'avenir et pas d'économie à court terme. Cela nous permet encore de pouvoir valoriser notre expertise, nos innovations, et cela sert, de fait, les populations concernées. A Valenciennes par exemple, nous avons remporté un contrat parce que, grâce à la technologie que nous déployons, nous retirons une bonne partie du calcaire de l'eau. C'est notre maîtrise technologique qui s'impose, non en tant que techno, mais parce que ses usages servent les clients finaux. Une eau moins calcaire se chauffe plus vite, entartre moins les appareils qui nécessitent de fait moins de maintenance, voire de remplacement, et enfin peut relancer la consommation d'eau du robinet et représenter une alternative aux eaux en bouteille fortement consommées par les habitants de cette agglomération. De fait, cette technologie va générer des économies certaines pour les ménages et d'ailleurs, nous nous sommes engagés à ce sujet auprès de la collectivité qui nous a choisis pour ce contrat !
En bref, il y a quinze ans, on donnait de l'eau potable et on traitait les effluents. Aujourd'hui on donne de l'ambition aux contrats qui nous lient avec les collectivités. Notre champ d'intervention est social, sociétal, environnemental et technique et c'est le digital qui nous permet, en grande partie, d'apporter des réponses nouvelles aux problématiques nouvelles de nos clients collectivités ou industriels... 
Notre futur passe par l'innovation. Nous n'avons pas le choix, nous devons nous adapter au contexte économique qui est le nôtre, celui des ménages et qui est aussi celui des collectivités. Pour ce qui est de la durée des contrats, elle dépend aussi des investissements. Plus il y a d'investissements programmées, plus les contrats sont longs. S'il n'y a pas d'investissements programmés la durée est de 5 ans, après, c'est la durée nécessaire pour amortir les investissements. Valenciennes, il s'agit d'un contrat de 18 ans, à Sète le dernier appel d'offre à remporter porte sur un contrat de 20 ans...

Transformer l'innovation en produits ou service différenciant, cela reste souvent long. Raccourcir les délais, c'est l'idée du Lab Suez ?

"En effet, nous avons une culture d'ingénieur et un peu le syndrome Minitel. On peut "sortir" une idée géniale et avoir du mal à la transformer en business... Je note qu'en province nous déployons des capacités d'innovations et des solutions ou services intelligents développés avec des collectivités qui répondent à des problématiques et des particularismes des territoires. Nous savons parfois en faire des produits commercialisables dans notre réseau à la fois français et international. On l'a fait avec Ramses, développé ici à Bordeaux avec la collectivité, pour lutter contre les inondations. Ce système a donné naissance, après une bonne dizaine d'années d'adaptation, à un service baptisé Influx, un software en fait, qui est désormais déployé dans beaucoup de collectivités en France et qui intéresse beaucoup l'international, à l'image de la Chine.
Concernant les produits de service, nous savons pour notre business model qu'il faut aller plus vite pour transformer l'idée en produit. C'est toute la raison d'être du Lab : proposer des solutions commercialisables du type Influx dans des délais raccourcis. Quand je discute avec les membres de l'amicale des anciens de Lyonnaise des Eaux et que je leur parle des innovations, du digital, ils répondent : "C'est génial, c'est sur l'innovation que nous avons construit le groupe au rayonnement international tel qu'il est..."
Ce qu'il faut comprendre c'est que l'innovation, notre capacité à répondre aux problématiques, à inventer les solutions qui n'existent pas, fait partie intégrante de notre ADN. On lui doit notre passé, elle est notre garantie pour l'avenir. Elle assure la pertinence de notre proposition, en France, mais aussi dans le reste du monde où nous réalisons les 2/3 de notre chiffre d'affaires aujourd'hui."

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