Girondins de Bordeaux : "La cotation en bourse d'un club, aucun intérêt pour un investisseur"

Jean-Louis Triaud était ce matin l'invité du Petit Déjeuner de La Tribune - Objectif Aquitaine, organisé en partenariat avec le Crédit agricole d'Aquitaine, dans les salons de l'Hôtel mercure Cité mondiale à Bordeaux. Interviewé par Jean-Philippe Déjean, journaliste à La Tribune - Objectif Aquitaine, devant un public de 150 personnes, il est revenu sur son parcours de viticulteur au sein des Domaines Henri Martin et sur la situation du Football club des Girondins de Bordeaux.
Jean-Louis Triaud

Son parcours : "J'étais un étudiant dissipé, les plaisirs de la vie, l'amitié, le rugby prenaient beaucoup de place. Après un bac littéraire à Montesquieu d'où j'ai gardé quelques amis, une fac de droit, j'ai intégré Sciences po - c'était facile à l'époque - et j'ai raté deux fois mon examen de sortie. Je me suis marié avec Françoise, fille d'Henri Martin, figure emblématique du Médoc et de Bordeaux qui a aussi été président des Girondins de Bordeaux pendant dix ans. Il m'a demandé si la viticulture me tentait, bien sûr en tant que Bordelais j'ai répondu oui, j'ai commencé avec lui, j'ai travaillé pendant un an à Château Latour, dont il était l'un des actionnaires, où j'ai appris le B-A-BA et fait tous les boulots, je me suis lancé comme ça dans cette activité passionnante.
"Aujourd'hui je suis dans une situation confortable de retraité, ma femme a transmis de son vivant pour faciliter la suite car c'est aussi un vrai souci dans la viticulture vu le prix du foncier. C'était il y a six ou sept ans. Mes enfants sont aujourd'hui propriétaires et cogérants. L'un est très  commercial, l'autre plus dans les relations publiques, moi je continue à m'occuper plutôt de la technique et du quotidien."

Les Domaines Henri Martin. Les Domaines Henri Martin rassemblent en Saint-Julien les châteaux Saint-Pierre, Gloria, Haut-Beychevelle-Gloria, Pey-Martin et en Haut-Médoc le château Bel Air.
"Mon beau père a eu la qualité de croire en l'avenir du vin et de la viticulture quand personne n'y croyait. Les châteaux, peu occupés, servaient de lieu de stockage. Il a  créé Gloria avec une base familiale (son père était tonnelier), il a développé ce vignoble en achetant des parcelles provenant de crus classés. Je suis arrivé dans les années 70, si j'avais eu 20 ans de plus et avec le soutien du Crédit agricole, j'aurais acheté plusieurs propriétés. Quand monsieur Mentzelopoulos a acheté Margaux, il s'est vendu 10 M€. Aujourd'hui, pour 10 M€ vous auriez un hectare. C'est devenu très compliqué d'acheter, Saint-Julien, c'est 9.000 hectares, 30 producteurs, 11 grands crus et des petites parcelles qui se sont vendues petit à petit. Aujourd'hui il n'y a plus de petites propriétés donc plus de réserves foncières. Nous avons acheté 15 ha d'une propriété que nous nous sommes partagé avec un autre château : c'est une chance qui ne se reproduira pas. Ça nous a permis de revoir notre projet, de construire un bâtiment à propos duquel on nous reproche de ne pas avoir gardé l'esprit médocain. Il faut vivre avec son temps et encourager l'architecture contemporaine.
La modernité, c'est la tradition en marche. On vinifie comme autrefois, mais les moyens techniques permettent de travailler de façon plus rationnelle et en qualité. Même si on continue de vendanger à la main, on se pose des questions. On est observés dans la viticulture ; la vendange à la machine est mal vue, mais je ne suis pas sûr que la vendange à la main soit bien supérieure."

"Le prix de vente d'un tonneau de bordeaux supérieur, c'est ridicule"

La production des Domaines Henri Martin. "Ce sont 107 hectares de vignes au total, 5.000 hectolitres soit 650.000 bouteilles, la fourchette étant de 400 à 650.000 selon les conditions et les années. Les ventes en primeur et les ventes directes représentent 10 M€ de CA. L'export se fait par le biais du circuit traditionnel, c'est-à-dire le courtage bordelais, 105 acheteurs en primeurs qui distribuent 70 % à l'export dans 50 pays."

Les effectifs. "Les compteurs sont bloqués à 47. Si le gouvernement avait l'idée d'être plus souple, le chômage évoluerait. Les PME ont un potentiel d'embauche, mais les CE sont une énorme perte de temps. Sans cela, moi demain, je peux embaucher 6 ou 7 personnes. Mais la main d'œuvre temporaire est prise en compte : 200 personnes pendant 10 jours, c'est deux équivalents temps plein ajoutés au compteur, soit 49 personnes."

Traditionnel, bio, biodynamie. "Je ne suis pas très partisan du bio et de la biodynamie : beaucoup de viticulteurs qui le font ne demandent pas le label au cas où, lors d'années catastrophiques, il faudrait traiter. Mais nous sommes partisans de la culture raisonnée : de moins en moins de produits agressifs et le moins souvent possible. Il faut être prudent mais ne pas exagérer. Le vignoble se trouve souvent  à proximité du milieu urbain. C'est notre cas à Cussac où nous sommes à côté d'une école : on cultive cette parcelle en bio, on essaie d'être raisonnable et prudent."

La crise du vignoble. "On nous dit que notre vin est pas mal, je le dis ainsi parce que je veux le dire modestement. On fait partie des 50 ou 100 meilleurs vins de Bordeaux. 150 sont parmi les plus recherchés, il y a 11.000 châteaux à Bordeaux, donc voyez la part de ceux qui sont dans une situation confortable. On a la chance d'être sur l'appellation Saint-Julien : il faut le faire exprès pour produire du mauvais vin. Margaux ou Saint-Julien par exemple sont des privilégiés mais pour d'autres c'est plus difficile, le prix de vente d'un tonneau de bordeaux supérieur, c'est ridicule."

Revenu moyen d'un joueur : 70.000 € par mois

Vin et foot. "Le foot et la viticulture, c'est un vieux fantasme. Déjà à l'époque, mon beau-père avait essayé d'attirer les crus dans les stades : sur 10.000, 15 étaient là, dont 14 copains qui n'avaient pas le choix. A Bordeaux, l'équipe porte le même nom que notre vin donc c'est compliqué : s'ils gagnent, le vin en retire le bénéfice sans que ça ne coûte rien, s'ils perdent, ça rejaillit sur le nom de Bordeaux. Au début des années 90, j'ai intégré les Girondins après la période Claude Bez. On m'a demandé un coup de main par rapport au monde viticole, on a fondé le club des grands crus qui rassemble aujourd'hui  une centaine de personnes (viticulteurs, négociants, etc.). Nous sommes le premier club au monde en termes de partenaires viticoles."

Le budget du club. "Avec 65 M€, nous avons le 7e budget du championnat. Avec par exemple un quart de finale de Ligue des Champions, on était monté à 105 M€, à travers notamment les droits de la Ligue Champions qui sont monstrueux. Les pourcentages de droit TV sont déterminants en fonction du classement. Si on finit 7e comme on le prévoit prudemment, les droits TV représentent 50 % de notre budget.
Les partenaires représentent 10 à 20 % de notre budget. Au niveau régional, nous avons 700 sponsors, 15 % de partenaires locaux sont issus du vin, ce qui représente sur ce montant de 10 M€ quelque 1,5 M€ pour la viticulture. La masse salariale représente 65 % du budget, 15 à 20 % pour les salariés "ordinaires". Il y a 125 salariés hors sportifs, 250 en comptant les joueurs et le centre de formation, soit 55 M€ en tout. Le revenu moyen d'un joueur est de 70.000 € par mois, ce qui est raisonnable en France."

18 M€ de recette de billetterie prévus. "Ce qui peut devenir important, c'est la recette billetterie qui a longtemps représenté 6 à 7 % de notre budget, et se trouve aujourd'hui à 10/12 % grâce à l'augmentation de la fréquentation. Evidemment on ne fait pas 42.000 places à chaque fois. A configuration égale, mais avec des résultats sportifs moyens contre des clubs pas très sexys, on fait 5.000 spectateurs de plus par rapport à l'an dernier.
On est un peu en-dessous mais quand Paris et Marseille vont venir, on va faire exploser les compteurs. En période estivale, le tour préliminaire de la Ligue Europa contre le club chypriote de Lanarca a attiré 32.000 spectateurs. Bien sûr, il y avait l'attrait du stade du stade aussi : confortable, beau, esthétique.
Les abonnements, compris dans la billetterie, soit 12.000 abonnés (9.000 abonnements individuels plus les abonnements entreprises), sont en progression. Mais c'est éminemment lié au recrutement des joueurs et au classement. Vous recrutez un grand joueur, vous faites augmenter les abonnements, certes, mais pas assez pour le payer : donc c'est pour ça qu'on n'en fait pas venir."

Mercato  : "On est plutôt sur une liste de départs potentiels"

Achats de joueurs. "Cela nous revient moins cher de recruter dans nos centres de formation car il n'y a pas les indemnités de rupture liées au recrutement de joueurs auprès d'autres clubs. Le centre de formation nous coûte 4 à 5 M€ par an. Il y a 60 gamins dans le centre, on en a vu 2.000 ou 3.000, il y en a 1 ou 2 qui signeront un contrat pro." Concernant le mercato, "on est plutôt sur une liste de départs potentiels si j'écoute Nicolas de Tavernost.

La Ligue Europa. "La position d'un club en Europe se joue sur la durée. Pour Bordeaux, il s'agit de la 31e campagne, 250 matchs, l'un des plus grosses présences françaises, on se situe plutôt bien sur l'échiquier, même si on a eu deux saisons sans Europe. En termes de niveau, nous avons été le 27e club, là on est 70e. Nous sommes un club connu en Europe. On ne gagnera jamais la Ligue des Champions, la Ligue Europa peut-être, mais on ne sera jamais dans le concert des 10/15 plus grands clubs européens.
La Ligue Europa, c'est une compétition qu'on va prendre au sérieux : 40 M€ de revenu pour un français en Ligue des champions, 7 M€ pour la Ligue Europa."

Un déficit entre 7 et 8 M€. "Le nouveau contrat des droits TV en Grande Bretagne va garantir 196 M€ au dernier de la Première Ligue. Chez nous, le premier reçoit 5 fois moins.
Si vous voulez savoir comment devenir millionnaire, vous achetez un club en étant milliardaire et vous deviendrez millionnaire. On pourrait gagner de l'argent : il faudrait que je considère notre centre de formation comme un haras. Le club de Lorient par exemple, dès qu'il a un bon joueur, le transfère. Il gagne de l'argent, mais il ne faut pas avoir d'ambition sportive.
La cotation en bourse, pour un club, c'est super, mais ça n'a aucun intérêt pour un investisseur."

Problèmes d'accès au stade : "On le savait, il faut attendre, la mise à 2x3 voies de la rocade, la bretelle d'accès, etc. Match après match, on comprend mieux la configuration des lieux. Il y  a aussi un manque de civisme des gens qui est incroyable : il faut de la patience, du temps, de la courtoisie et de la bonne humeur pour que tout se passe bien."

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Commentaires 2
à écrit le 20/10/2015 à 18:03
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L'article retranscrit bien les dires de notre président des Girondins. Félicitations à Jean Louis Triaud pour la qualité de son intervention et la journaliste pour l'article professionnel et intéressant Marie GRALL SGM

le 03/11/2015 à 18:26
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Marie tu débloques

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