Vins : après les incendies dans le Bordelais, le millésime 2022 aura-t-il le goût de brûlé ?

Dans le vignoble bordelais les vendanges semblent démarrer mieux que prévu. La vigne démontre qu'elle a su s'adapter au manque d'eau et à la forte chaleur. Même s'ils sort en quantité limitée, le millésime 2022 pourrait marquer les esprits. Après un été atypique marqué par deux gigantesques incendies dont les œnologues veulent savoir s'ils ont fumé ou non le goût des raisins les plus exposés.
Malgré les impacts du dérèglement climatique, particulièrement perceptibles en Gironde cette année, le millésime 2022 s'annonce sous des auspices favorables.
Malgré les impacts du dérèglement climatique, particulièrement perceptibles en Gironde cette année, le millésime 2022 s'annonce sous des auspices favorables. (Crédits : Agence Appa)

"Nous avons démarré les vendanges autour du 15 août sur 25 hectares de vigne en blanc sec. L'état sanitaire est parfait. Nous n'avons pas eu de pluie depuis deux mois, mais pas de grêle non plus en juin et pas de gel début avril. Le manque de pluie provoque un stress hydrique qui a conduit la vigne à se mettre à l'arrêt, en mode pause, pour se protéger. Ce qui fait que ces vendanges 2022 sont différentes de celles d'une année classique, avec notamment une baisse de l'acidité et une montée des arômes", témoigne pour La Tribune Dominique Guignard.

Ce dernier codirige avec ses deux frères, Pascal et Bruno, quatre domaines en appellation Graves, dont Château Roquetaillade La Grange, au sud de la Gironde. Dominique Guignard est par ailleurs président du Syndicat viticole des vins de Graves. Et pour lui la vendange 2022 sera tout sauf une catastrophe.

"Cette vendange 2022 va produire un excellent millésime"

La plus grosse complication due à l'excès de chaleur et au manque d'eau oblige surtout selon Dominique Guignard à bien cadrer certains points clés, comme les maturités aromatique et alcoolique du raisin, qui ne se développent pas à la même vitesse et que le stress hydrique a décalé. Un réglage technique qui ne pose pas de gros problèmes au viticulteur.

"La tendance aromatique en 2022 est au fruit exotique. Cette vendange 2022 va produire un excellent millésime, avec de petits rendements et une forte concentration. Le début des vendanges a été un peu avancé mais ce n'est pas la première fois que nous commençons à vendanger à la mi-août. Il fait un temps extraordinaire et tout se passe bien. Les rouges mûrissent, les perspectives sont enthousiasmantes !", se réjouit franchement le président des Graves.

Gel et grêle, un impact sérieux mais limité en Bordelais

Après un épisode de gel en avril 2022 dévastateur dans plusieurs zones du vignoble bordelais, la grêle a fait de sérieux dégâts au mois de juin suivant. Ces deux événements climatiques sont venus frapper un vignoble à la santé économique déjà chancelante (hors du périmètre capitonné des grands crus). Ils n'ont néanmoins touché pas plus de 10.000 hectares de vigne. Un chiffre à quatre zéros qui a de quoi impressionner mais dont le poids est assez relatif dans le Bordelais. Un vignoble aussi grand que celui d'Afrique du Sud, avec plus de 110.000 hectares.

Comme le souligne Agreste (service statistique du ministère de l'Agriculture), en Nouvelle-Aquitaine c'est surtout le vignoble charentais qui a souffert de la grêle en juin dernier. Ce dernier, qui sert à la fabrication de l'eau de vie de Cognac et au Pineau, aurait perdu 15 % de sa surface globale, qui est de 78.000 hectares. Ce qui n'empêche pas, là aussi, que si la sécheresse réduit le volume produit, la qualité sera au rendez-vous.

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Une production dans la moyenne annuelle quinquennale ?

Au 1er août, Agreste tablait sur une production viticole nationale calée entre 42,6 et 45,6 millions d'hectolitres en 2022, soit un niveau nettement supérieur à la petite récolte de 2021, qui s'était montée à 37,8 millions d'hectolitres, et dans les clous de la moyenne de production quinquennale (2017-2021), qui est de 42,6 millions d'hectolitres. Mais l'année 2022 ne va pas se limiter à ces calamités traditionnelles que sont le gel et la grêle. Cet été la forêt des Landes de Gascogne, qui remonte des Landes jusqu'à la pointe du Verdon, au nord, et de la côte atlantique landaise jusqu'au pays d'Albret (Lot-et-Garonne), d'ouest en est, a été dévorée par les flammes.

Incendies Gironde Landiras juillet 2022

Une partie de l'incendie à Landiras en juillet 2022 (crédits : Sdis 33).

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Avec des incendies d'une taille jamais vue depuis la catastrophe d'août 1949, dont les flammes avaient ravagé 52.000 hectares et provoqué la mort de 82 personnes. En 2022 heureusement, avec les incendies de La-Teste-de-Buch, au pied de la dune du Pilat, et Landiras, au sud de la Gironde, aucune victime n'a été à déplorer mais, au total, près de 30.000 hectares de forêt ont été détruits. Avec à la clé de gigantesques panaches de fumée qui ont parfois recouvert la métropole bordelaise et sont même remontés jusqu'au centre de Paris. D'où la question que se posent les œnologues : quel pourrait être l'impact de ces feux sur les vignes qui se trouvaient à proximité du sinistre ?

 La puissance du climat Atlantique toujours présente

"Tout d'abord je voudrais préciser que malgré l'ampleur de la sécheresse et de la chaleur de cet été, quel que soit le climat, la puissance de l'Atlantique est toujours bien présente sur nos vignobles. Ainsi la précocité n'évolue pas de la même manière entre les vignes que nous avons classé dans la région Bordeaux Sud-Ouest, qui englobe la Nouvelle-Aquitaine et l'ex-région Midi-Pyrénées, et l'Arc méditerranéen" recadre Philippe Dulong, président de la région Bordeaux Sud-Ouest du syndicat professionnel des Œnologues de France, interrogé par La Tribune.

Très attentif, comme ses confrères à la vie du vignoble, Philippe Dulong ne pouvait pas rater un événement aussi extraordinaire que les gigantesques incendies de cet été.

Dans les parcelles les plus exposées le raisin pourrait être fumé

"C'est la première fois que le vignoble bordelais est confronté à des incendies de cette taille. Ce qui nous conduit à nous intéresser aux pays qui ont déjà subi ce type de phénomène. La question est de savoir s'il y a une expression de cette odeur de fumée dans la maturité des raisins. Les arômes, la vigne les respire, y compris ceux de brûlé. Elle les absorbe naturellement. Ainsi ces arômes, qui ne sont pas volatiles, se lient aux sucres sans que l'on sente de goût.

Pour que le goût apparaisse il faut un révélateur. En l'occurrence il s'agit d'une enzyme que nous avons dans la bouche, qui va briser le lien entre l'arôme, qui redevient volatile, et le sucre. Ce qui prend une vingtaine de secondes. Mais ces arômes de brûlé peuvent aussi se révéler bien plus tard lors de la fermentation. Certains peuvent même rester liés très longtemps et n'apparaître que lors du vieillissement du vin", décrypte Philippe Dulong.

Les Californiens comme les Australiens ou les Provençaux ont une véritable expertise de ce phénomène puisqu'ils produisent des vins dans des territoires très exposés aux incendies.

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Les oenologues entendent bien y voir plus clair

"Notre syndicat organise une réunion professionnelle le 30 août à l'Institut supérieur de la vigne et du vin (ISVV) de Bordeaux. A Bordeaux nous avons senti les fumées, mais est-ce réellement suffisant pour que cet arôme de brûlé ait été respiré par les raisins ? Nous n'en savons rien ! Parmi les experts présents, nous aurons notamment des représentants du laboratoire Dubernet, de Narbonne. Ils ont fait des analyses en Californie et ils commencent à en faire en France, à la demande de plusieurs châteaux. Nous imaginons que le risque est très faible. Et puis s'il est avéré, il existe des traitements naturels parfaitement efficaces et sans danger", rassure Philippe Dulong.

Il n'y a plus à espérer que l'odeur de brûlé ne deviennent pas une menace récurrente pour le vignoble bordelais.

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