Produits festifs : en crise depuis des années les producteurs de foie gras y croient encore (3/3)

Le foie gras, qui serait le produit festif préféré des Français, évolue dans une filière soumise à de très fortes difficultés. Après les épisodes dévastateurs de grippe aviaire en 2016 et 2017, les producteurs de Nouvelle-Aquitaine ont souffert des changements de règlement en 2019, avant que le Covid-19 ne vienne frapper à la porte en 2020 entraînant la fermeture des restaurants. Malgré ça, tout n'est pas perdu explique à La Tribune Michel Fruchet, le patron de la filière.
La Nouvelle-Aquitaine reste le poids lourd du foie gras sur un marché en baisse continue depuis 2015.
La Nouvelle-Aquitaine reste le poids lourd du foie gras sur un marché en baisse continue depuis 2015. (Crédits : CC Pixabay by Skitterphoto)

Classé par les Français en tête des trois produits incontournables des repas de fêtes, avec 77 % de votes, devant le saumon fumé (67 %) et la bûche de Noël (59 %), selon un sondage réalisé en novembre 2019 par CSA pour le Comité interprofessionnel des palmipèdes à foie gras (Cifog), le foie gras occupe les esprits à l'approche de la fin d'année. Encore mieux, selon un autre sondage, mené par l'Ifop les 28 et 29 avril 2020 pour Uber Eat et le Fooding, 92 % des Français déclarent consommer du foie gras ! Ils se disent aussi très attachés au magret et précisent que cette pièce de canard fait partie des 10 plats qui ont le plus manqués pendant le confinement. Il n'en reste pas moins que le foie gras appartient à une filière en proie à de très fortes turbulences.

Lire aussi : Produits festifs : quel bilan pour les huîtres de Nouvelle-Aquitaine en 2020 ? (1/3)

C'est ainsi que le département des Landes (Nouvelle-Aquitaine), premier producteur de foie gras du pays, et premier éleveur de palmipèdes à foie gras, est à nouveau frappé par une épidémie de grippe aviaire en cette fin 2020. Si elle est non transmissible à la population humaine, cette épizootie est redoutable pour les élevages de canards et d'oies.

Ainsi au 14 décembre 2020, trois élevages de canards gras landais étaient touchés par ce virus H5N8, à Benesse-Maremne, Saint-Geours-de-Maremne et Angresse. Comme cette épidémie est portée par les oiseaux sauvages en cours de migration, deux autres élevages ont été touchés, à Saint-Maurice-des-Noues, en Vendée, qui fait des canards maigres, et Saint-Sauveur-sur-Bressuire (Deux-Sèvres), consacré aux canards de Barbarie.

Une profession désormais capable de devancer les virus

"Cette épizootie nous l'avons canalisée, stabilisée, que ce soit dans les Landes, en Vendée ou dans les Deux-Sèvres. L'influenza aviaire d'aujourd'hui n'a plus rien à voir avec les précédentes épizooties. Nous savons désormais qu'elles arrivent avec les oiseaux du Kazakhstan et de Russie, et nous avons développé de très puissants outils de simulation pour les combattre", précise à La Tribune Michel Fruchet, président du Cifog.

Ce dont parle Michel Fruchet, c'est d'une véritable révolution dans le traçage sanitaire des oiseaux d'élevages. Rendu possible par le déploiement de la Base de données avicole (BDAvicole).

 "Tous nos animaux figurent désormais dans cette base de données, avec la cartographie correspondante, illustre Michel Fruchet. Nous sommes ainsi capables, poursuit-il, de réunir une cellule de crise deux heures après la première contamination connue dans un élevage, où qu'il soit. Nous savons en temps réel où se trouvent les animaux, quel est le taux de remplissage des bâtiments d'élevage, etc. Cet outil nous permet désormais de devancer le virus. Cela n'a plus rien à voir avec 2016", commente-t-il.

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Canards gras : la Nouvelle-Aquitaine mène le bal

  • Production nationale 2019 : 30,4 millions de têtes
  • Nouvelle-Aquitaine : 16,4 millions de têtes (53,8 % de la production nationale)
  • Occitanie : 6,7 millions de têtes (22,1 %)
  • Pays-de-la-Loire : 5,1 millions de têtes (17 %)
  • Bretagne : 1,4 million de têtes (4,7 %)
  • Auvergne-Rhône-Alpes : 223.000 têtes (0,7 %)

(source : Ministère de l'Agriculture)

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Comment la loi Egalim a fusillé le marché en 2019

En 2016-2017, l'épizootie a touché les élevages de canards à foie gras des Landes, frappant aussi les volaillers de Dordogne, avant de s'étendre dans le Sud-Ouest d'élevage en élevage, au milieu de la panique, avec des campagnes d'abattages préventifs massifs pour enrayer la progression de l'épidémie.

Lire aussi : Grippe aviaire, les canards néo-aquitains tués en plein air

"2019 a été une très mauvaise année, la pire depuis cinq ans à cause de l'adoption de la loi Egalim [loi du 30 octobre 2018 sur l'agriculture et l'alimenation, NDLR], qui nous a empêché de faire la promotion de nos produits dans la grande distribution. Les clients achètent du foie gras 1,6 fois par an, aussi notre produit doit être mis en avant, avec de la promotion et de la communication pour que les gens n'oublient pas d'en acheter au bon moment, sinon c'est fichu", décrypte Michel Fruchet.

Et c'est exactement ce qu'a provoqué la loi Egalim, qui entendait pourtant mieux rémunérer les agriculteurs en réinitialisant notamment les promotions, préférant voir dans les grandes et moyennes surfaces des offres à trois produits pour le prix de deux plutôt que le traditionnel deux pour le prix d'un. La situation a été sauvegardée sur ce plan en 2020, quand Bercy a pris conscience de la gravité de la situation et apporté des mesures correctives à l'application du texte de loi.

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Oies grasses : la Nouvelle-Aquitaine à près de 70 %

  • Production nationale 2019  : 283.000 têtes
  • Nouvelle-Aquitaine : 188.000 têtes (66,4 % de la production)
  • Bretagne : 56.000 têtes (19,7 %)
  • Occitanie : 22.000 têtes (7,7 %)
  • Auvergne-Rhône-Alpes : 7.000 têtes (2,4 %)
  • Grand Est : 5.000 têtes (1,7 %)

(Source : ministère de l'Agriculture)

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L'effectif de canards gras pourrait baisser de 32 % par rapport à 2015

Pour être concret, le président du Cifog souligne que 75 % des ventes de foie gras se font en novembre et décembre et que, sur cet ensemble, les restaurants captent 40 % de la distribution... Le premier confinement avait perturbé les ventes de foie gras lors des vacances de Pâques, mais personne n'imaginait la suite.

"Le premier semestre n'a pas été marrant, mais nous ne vendons pas beaucoup en mars et avril. Cela n'a rien à voir avec l'impact sur les mois de novembre et décembre, qui est dramatique. Après le premier confinement nous avons eu le temps de reprendre espoir, pendant quelques semaines. Et puis est arrivé le second confinement, avec la fermeture des restaurants. Et là nous vivons quelque chose face auquel nous sommes complètement démunis", diagnostique le patron du Cifog.

Lire aussi : Produits festifs : les producteurs de caviar mobilisent face à la concurrence chinoise (2/3)

Michel Fruchet président du Cifog

Michel Fruchet (crédits : Cifog)

Toutes ces difficultés produisent des résultats négatifs, avec non seulement des pertes sèches d'animaux victimes de l'épizootie de 2016-2017 mais aussi par l'ajustement à la baisse du nombre de canards gras mis en élevage par les agriculteurs. Le cheptel national de canards gras pourrait ainsi atteindre 26,5 millions de têtes en 2020 contre 38 millions en 2015, soit une chute de près de 32 % !

Des poids lourds liés aux groupes coopératifs néo-aquitains

Etant donné le poids de la Nouvelle-Aquitaine et singulièrement de l'ex-Aquitaine, qui traite près de 54 % de la production de canards gras en France, les poids lourds du marché dans la distribution sont issus des trois grands groupes agricoles coopératifs néo-aquitains : soit les sociétés Labeyrie, pour le groupe Lur Berri, à Aïcirits (Pays basque/Pyrénées-Atlantiques), Delpeyrat, pour le groupe Maïsadour, à Haut-Mauco (Landes), Rougié et Monfort pour le groupe Euralis, à Pau (Béarn/Pyrénées-Atlantiques).

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Evolution (en tonnes) de la production de foie gras :

  • 2015 : production française : 19.242 / import : 3.719 /export cru : 2.421
  • 2019 : production française : 16.398/ import : 2.950/ export crut : 1.919

(source : ministère de l'Agriculture)

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Adossée à un monde agricole très résistant, la production de canards gras et d'oies grasses ne semble pas pour autant en danger même si elle chute et doit faire face à de nouveaux défis.

Pas moyen d'en savoir plus avant janvier 2021

"Il est encore trop tôt pour connaître le niveau réel d'activité que nous aurons atteints. Nous n'en sauront rien avant le dernier jour de la dernière semaine de l'année. Tout ce que nous savons déjà c'est qu'entre le 6 novembre et le 6 décembre dernier les ventes en grandes surfaces, qui auraient dû compenser en partie la fermeture des restaurants, ont baissé de 16 % au lieu de grimper...  Mais il est vrai aussi que depuis ce lundi 14 décembre nous sommes revenu à un niveau d'activité normal", évalue Michel Fruchet.

Comme l'ensemble de la production de viande, les conditions d'élevage et d'abattage des palmipèdes à foie gras n'échappent pas aux investigations de l'association L214, qui met en lumière les mauvais traitements subis par les animaux dans certains abattoirs ou élevages. La question du bien-être animal est devenue un véritable enjeu pour les consommateurs et la filière en a pris conscience.

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