Produits festifs : les producteurs de caviar mobilisent face à la concurrence chinoise (2/3)

La crise sanitaire, qui a entraîné la fermeture des restaurants et l'effondrement des ventes à l'export, ne pouvait pas être une bonne nouvelle pour les producteurs de caviar néo-aquitains. Mais la montée en puissance des productions chinoise et italienne, qui se livrent à une guerre sur les prix, est un problème encore plus inquiétant, estiment les professionnels. C'est pourquoi certains d'entre eux réclament la création d'une indication géographique protégée (IGP) Aquitaine, pour sortir du conflit par le haut.
Un esturgeon de la pisciculture Sturia (groupe Kaviar)
Un esturgeon de la pisciculture Sturia (groupe Kaviar) (Crédits : Anne-Claire Heraud)

Comme les autres filières à l'origine de produits agricoles, piscicoles ou ostréicoles festifs, très dépendants des fêtes de fin d'année, les producteurs de caviar français abordent ce Noël 2020 et le Premier de l'an qui va suivre par le côté obscur de la croissance. Pour eux non plus la fermeture des restaurants n'est pas une bonne nouvelle.

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C'est la raison pour laquelle le président (PS) de la région Nouvelle-Aquitaine, Alain Rousset, a intégré le caviar dans son plan de communication de fin d'année ciblé sur cinq productions néo-aquitaines jugées à la fois comme très connues au niveau national et très sensibles à la crise du Covid-19. Ce qui se comprend mieux quand on sait que sur les sept producteurs de caviar répertoriés en France, six se trouvent en Nouvelle-Aquitaine.

La France : 3e producteur mondial de caviar en 2019

Juste avant cette initiative néo-aquitaine, Pisciculteurs de France, représentant la filière d'élevage de poissons, avait lancé un manifeste intitulé "Exigez le caviar français !". Un manifeste dans lequel sont posés les enjeux.

"Avec 43,5 tonnes de caviar « made in France » en 2019, l'Hexagone s'impose comme le 3e producteur mondial de caviar, après la Chine et l'Italie (....) mais notre filière française est menacée. La crise sanitaire et ses répercussions économiques ont un impact considérable sur la filière aquacole du caviar, qui voit ses marchés privilégiés (restauration et tourisme) se fermer, alors que la concurrence des importations chinoises, elle, ne faiblit pas. La survie du secteur est en jeu et il y a urgence (...)", souligne le manifeste.

Ce dernier en appelle à la mobilisation des consommateurs et "des responsables politiques, des acteurs économiques, des chefs, bien évidemment, mais également de la grande distribution et du commerce de proximité", proclame le texte dans une ambiance de mobilisation générale.

Une spécialité de Nouvelle-Aquitaine

D'après la profession, le caviar importé de Chine couvre ainsi désormais 40 % des ventes en France. Un effet de la guerre des prix avec un marché du caviar où les Chinois n'hésitent pas à faire du dumping pour prendre l'avantage. Les enjeux pointés sont d'autant plus importants pour notre région qu'en 2019 la Sologne (Centre-Val-de-Loire) n'a produit que 2 tonnes d'œufs d'esturgeons, sur une production nationale estimée à 43,5 tonnes.

Les sept producteurs de caviar français :

  • Prunier Manufacture (le plus ancien) : Montpon-Ménestérol (Dordogne/Nouvelle-Aquitaine)
  • Groupe Kaviar : Saint-Sulpice-et-Cameyrac (Gironde/Nouvelle-Aquitaine)
  • Caviar de France : Biganos (Gironde/Bassin d'Arcachon/Nouvelle-Aquitaine)
  • L'Esturgeonnière : Le Teich (Gironde/Bassin d'Arcachon/Nouvelle-Aquitaine)
  • Perle Noire : Les Eyzies-de-Tayac (Dordogne/Nouvelle-Aquitaine)
  • Caviar de Neuvic : Neuvic (Dordogne/Nouvelle-Aquitaine)
  • Caviar de Sologne : Saint-Viâtre (Loir-et-Cher/Centre-Val-de-Loire)

Autrement-dit, 41,5 tonnes de ces œufs de poisson ont été produites à partir d'esturgeons élevés en Nouvelle-Aquitaine, soit 95 % de la production nationale. Pour un chiffre d'affaires de près de 30 millions d'euros.

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A la concurrence au couteau livrée par les producteurs chinois se surajoute la crise sanitaire provoquée par la pandémie de coronavirus, qui se solde par la fermeture de tous les restaurants, depuis le 1er novembre et au moins jusqu'au 20 janvier 2021.

L'Esturgeonnière Le Teich

L'Esturgeonnière au Teich, dans la forêt du sud du Bassin d'Arcachon (L'Esturgeonnière).

Le choc de la fermeture des restaurants

A l'échelle des quatre entreprises de l'Association du caviar d'Aquitaine, Laurent Dulau estime que les restaurants captent 30 % des ventes, au même niveau que les grandes et moyennes surfaces (GMS) et l'export. Les 10 % restants étant le fait du « retail », à savoir les épiceries fines, poissonneries, etc. La filière réalise autour de 70 % de son activité pendant le troisième trimestre, aussi le choc engendré sur le marché par cette fermeture des restaurants et la fermeture de l'export est-elle très brutale.

"Avec la crise sanitaire, les restaurants ont été fermés et l'export s'est effondré, ce qui a entrainé une chute de 60 % des ventes de caviar et la rédaction du manifeste" rembobine Laurent Dulau.

De l'inquiétude mais pas de panique dans les rangs

S'il est préoccupé, Laurent Dulau est pourtant loin d'avoir perdu confiance en l'avenir.

"Nous avons beaucoup de poissons, avec beaucoup de caviar, sans parler des installations. C'est le type d'actifs qu'apprécient les banquiers. D'autre part notre marché croît de +15 % par an depuis quelques années. Et puis avec les quatre membres de l'Association caviar d'Aquitaine, nous avons produit l'an dernier 34 tonnes sur les 43,5 tonnes enregistrées en France", se félicite Laurent Dulau, qui milite avec les autres membres de l'association pour la création d'une IGP (indication géographique protégée) Aquitaine.

Laurent Dulau Groupe Kaviar

Laurent Dulau, DG du groupe Kaviar et président de l'Association du caviar d'Aquitaine (Anne-Claire Heraud).

Le président de cette association professionnelle est aussi le directeur général d'un super poids lourd de la production de caviar en France, le groupe Kaviar, à Saint-Sulpice-et-Cameyrac (Gironde), qui produit à lui seul 20 tonnes de caviar par an, avec les marques Sturia et Akitania.

Les 4 membres de l'Association caviar d'Aquitaine :

  • Prunier Manufacture : Montpon-Ménestérol (Dordogne)
  • Groupe Kaviar/Sturia : Saint-Sulpice-et-Cameyrac (Gironde)
  • Caviar de France : Biganos (Gironde/Bassin d'Arcachon)
  • L'Esturgeonnière : Le Teich (Gironde/Bassin d'Arcachon)

 L'association veut décrocher une IGP pour le caviar aquitain

"L'association a pour but de défendre et de promouvoir la production de caviar en Nouvelle-Aquitaine, et de porter la demande d'IGP sur les fonts baptismaux. Depuis 2011 le prix du caviar n'a cessé de plonger à cause de l'agressivité commerciale des Chinois, qui cassent les prix. Nous ne pouvons échapper à cela qu'en créant de la valeur, avec l'IGP.

En réponse, l'Italie a choisi de se lancer dans une guerre des prix contre le caviar chinois. Ainsi entre 2011 et 2019 le prix de vente du caviar italien, toutes espèces d'esturgeons confondues, a été divisé par deux et demi ! Nous, nous avons réussi à ne pas baisser le prix de vente entre professionnels", déroule Laurent Dulau.

Ce prix n'est bien entendu pas celui de la vente au détail au consommateur final.

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Ramener la TVA du caviar de 20 % à 5,5 %

L'élevage des esturgeons s'est développé en Aquitaine au cours des années 1980, quand l'ex-Cemagref (Centre national du machinisme agricole du génie rural, des eaux et des forêts) a essayé de sauver l'ascipenser sturio, l'esturgeon indigène de l'estuaire de la Gironde qui était en voie de disparition à cause de la surpêche. L'idée du Cemagref était d'essayer de sauver le sturio, qui peut atteindre cinq mètres de long, et de tester en même temps l'élevage en s'appuyant sur une autre variété d'esturgeon plus petit, l'ascipenser baerii, originaire de Sibérie.

Depuis un marché national a réussi à émerger, mais le président de l'association régionale regrette que son développement soit encore entravé par un taux de TVA qui n'a plus lieu d'être.

"Le caviar supporte un taux de TVA à 20 % alors que le homard et la truffe ne le sont qu'à 5,5 % ! Cela remonte à 1982, quand le gouvernement a imposé ce taux de TVA à 20 % sur les produits de luxe, comme par exemple les Ferrari, mais aussi le caviar", recadre le président de l'Association caviar d'Aquitaine.

Michel Berthommier L'Esturgeonnière

Michel Berthommier, fondateur et dirigeant de l'Esturgeonnière au Teich (L'Esturgeonnière)

Au début des années 1980 la production de caviar aquitain issue d'un élevage régional était inexistante mais depuis les choses ont changé. Et naturellement, ce taux de TVA est un des chevaux de bataille de l'association professionnelle régionale.

Vendre la chair de l'esturgeon : un travail difficile

L'un des autres grands enjeux de la filière est sans aucun doute la promotion de l'esturgeon. Ce poisson a beau dater de l'époque des dinosaures, ça ne le rend pas plus connu pour autant. Et puis à part l'ascipenser sturio, l'espère indigène de l'estuaire de la Gironde (et de l'Adour) en voie de disparition, qui est le seul à se reproduire en rivière (dans les gravières) et à vivre sa vie dans l'océan, tous les autres esturgeons sont des poissons d'eau douce. Ce qui les décote par rapport aux espèces maritimes, comme le bar ou le thon.

"L'esturgeon est un poisson méconnu, contrairement aux 415 produits qui se vendent en poissonnerie. La chair de ce poisson est difficile à vendre. Nous commercialisons nos esturgeons découpés et sans peau à 15 euros le kilo, ce n'est pas cher et c'est pourquoi nous en vendons aux professionnels", explique ainsi Michel Berthommier, dirigeant et fondateur de L'Esturgeonnière, qui commercialise la marque de caviar Perlita.

L'Esturgeonnière et sa très rare certification Iso 22.000

Installée au Teich, dans la forêt située sur la bordure sud du bassin d'Arcachon, L'Esturgeonnière produit près de 4 tonnes de caviar par an avec 18 salariés à temps plein, pour un chiffre d'affaires de l'ordre de 3 millions d'euros par an.

Groupe Kaviar conditionnement

Le conditionnement du caviar (ici Groupe Kaviar) est l'aboutissement d'un long processus de transformation (Anne-Claire Heraud).

Titulaire de la norme ISO 22.000, qui se présente comme la première norme à valeur internationale qui atteste de la mise en œuvre d'un système de management de la sécurité des denrées alimentaires, L'Esturgeonnière se veut exemplaire. Avec à la clé un modèle de développement à suivre, qui s'applique à l'ensemble du process : de la production à la présentation au consommateur en passant par les fournisseurs et prestataires impliqués.

"Nous sommes des naisseurs. Nous faisons ainsi naître entre 20.000 et 22.000 poissons par an. Cela représente un effectif important car il faut en moyenne neuf ans pour élever un esturgeon. Peu de gens le font, car les besoins engendrés en besoin de fonds de roulement (BFR) sont énormes, souligne Michel Berthommier.

Notre plus gros actif, poursuit-il, c'est le cheptel, avec des animaux que l'on ne peut pas voir en permanence. Quand il y a un problème sur un animal terrestre on le voit vite si l'on veut. Ce qui n'est pas le cas avec les poissons. Nous vivons avec  cette fragilité, même si nous n'avons jamais eu le moindre problème d'épizootie", déroule Michel Berthommier.

Avec ses petites boites de caviar à prix coûtant, la GMS assure la com'

Si la situation est très tendue à cause de la crise sanitaire et de la concurrence étrangère, en particulier chinoise et italienne, Michel Berthommier estime que les jeux ne seront pas faits en 2020 tant que les Français n'auront pas définitivement calé le détail de leurs menus de fête pour Noël et le Premier de l'an. Il n'en reste pas moins que la concurrence sera dure dans les rayons de la grande distribution.

Laurent Deverlanges Caviar de Neuvic

Le fondateur de Caviar de Neuvic, Laurent Deverlanges, avec l'un de ses esturgeons (Caviar de Neuvic).

Laurent Deverlanges, fondateur et dirigeant de Caviar de Neuvic, à Neuvic-sur-l'Isle, en Dordogne, estime que la grande distribution, en vendant des petits boites de caviar de 10 grammes a quasiment prix coûtant, autour de 5 euros (soit 500 euros le kilo : un des prix plancher), sert la communication de la filière.

Cet ingénieur agronome, qui a longtemps travaillé dans le négoce de fruits exotiques, en particulier la banane, n'appartient pas à l'Association du caviar d'Aquitaine. Tout comme son autre voisin périgourdin, Frédéric Vidal, fondateur et patron du caviar Perle Noire, aux Eyzies, qui a quitté ses étangs du Maine-et-Loire où son caviar avait un petit goût de vase, pour profiter des eaux fraiches et courantes du ruisseau de La Beune, en plein Périgord Noir.

Laurent Deverlanges : un des derniers arrivés dans la région

"Devenir pisciculteur c'est ma vocation depuis que j'ai eu 12-13 ans. Je suis originaire de la région lyonnaise et je vivais pour la pêche. J'ai géré en particulier des bananeraies au Cameroun, en Côte d'Ivoire, à Cuba, avant de me lancer dans la tomate.

J'étais en veille sur tout ce qui se passait dans le marché de la pisciculture en France et j'ai vu l'émergence du caviar. Avec une France en pointe dans cette spécialité au plan international. J'ai décidé de me lancer pour développer une production de caviar respectueuse de l'environnement", rembobine Laurent Deverlanges, qui a créé sa pisciculture en 2011.

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Ce gestionnaire accompli a monté un premier tour de table avec fonds d'investissement, business angels, industriels (parmi lesquels Delpeyrat) et banques, qui lui a permis de lever 2 millions d'euros en fonds propres et 1,5 million d'euros en dette.

Un deuxième tour de table à 4,5 millions d'euros

"Fin 2014 début 2015 j'ai fait un second tour de table. Thierry Blandinières venait de quitter la direction de Delpeyrat et ça a tout chamboulé. Delpeyrat, qui avait 10 %, est sorti. J'ai levé à ce moment-là 4,5 millions d'euros. Il ne faut pas avoir peur d'aller voir les gens riches que l'on admire et de céder le contrôle de son entreprise, ça ne sert à rien d'être proprio à 100 % si l'on ne peut rien faire. Moi je contrôle 26 % du capital de l'entreprise mais j'en suis le premier actionnaire", décrypte Laurent Deverlanges.

Pisciculture Caviar de Neuvic

Un des bassins de la pisciculture de la ferme aquacole Caviar de Neuvic (Caviar de Neuvic).

Ce dernier ne cache pas que pour se lancer il est allé en Italie acheter des esturgeons proches de la maturité et que ses relations avec les producteurs de caviar du cru ne sont pas franchement cordiales.

"J'ai investi un million d'euros dans l'achat de poissons pour démarrer. Cela n'a pas plus à tout le monde, mais ici je crois que personne n'aurait accepter de m'en vendre s'ils en avaient eu. Je ne pouvais pas attendre neuf ans avant de commencer à travailler...", souligne le patron de Neuvic.

Caviar : "un marché de niche de souriceau"

L'an dernier il précise que son entreprise a réalisé 5 millions d'euros de chiffre d"affaires, réalisé à 85 % avec le caviar et 15 % la vente de chair d'esturgeon, y compris sous forme de rillettes. Pour le patron de Neuvic le caviar n'est pas un long fleuve tranquille et la crise sanitaire 2020 fait suite à deux années marquées par les actions des Gilets jaunes et la grosse grève à la RATP et dans les transports. "C'est très dur" commente-t-il.

S'il se félicite de la croissance potentielle du marché, Laurent Deverlanges tient à rappeler qu'il se joue sur un tout petit périmètre.

"Avec 43,5 tonnes par an c'est un marché de niche de souriceau! Vous imaginez : toute la production nationale tient quasiment dans un seul camion... Pour comparer, sachez que la production de truites pour la seule Aquitaine, c'est 18.000 tonnes par an et qu'une bananeraie produit à peu près 120.000 tonnes de bananes par an! Vous la voyez la différence ?", s'amuse Laurent Deverlanges.

Un sourire un peu amer puisque son restaurant avec du caviar dans quasiment tous les plats, installé Passage Sarget, à Bordeaux, devait ouvrir en avril dernier. En plein confinement...

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Commentaires 4
à écrit le 21/12/2020 à 13:35
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les consommateurs citoyens s' ils veulent soutenir la filière aquitaine doivent boycotter le caviar chinois. pour cela, l' origine géographique doit être déclarée tant en grande surfaces, que dans les restau et magasins spécialisés.en cas de fraude,...

le 21/12/2020 à 15:04
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Habituellement, quand l'origine n'est pas marquée on n'achète pas ? Quand c'est flou y a un loup. Le miel UE et hors UE voire UE, l'huile d'olive UE et hors UE (Tunisie) on les laisse sur les rayons, ça manque de précision. Enfin c'est ce que je fai...

à écrit le 21/12/2020 à 11:06
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Élever des esturgeons pour Démocratiser le caviar ! La Chine Communiste/Staliniste, premier producteur de ce produit symbole du luxe. Du caviar pour le prolo? Non, pour toutes les Nomenklatura (corrompues) à travers le Monde et quelques consommateur...

à écrit le 21/12/2020 à 10:26
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Pourtant la nouvelle politique économique américaine est orientée massivement vers le protectionisme économique qui ici semblerait parfaitement naturelle, c'est le cas de le dire, à apliquer. Mais une dictature financière a ses raisons que la ra...

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