« Le vote numérique permet de toucher un public jeune et peu habitué à s'exprimer »

INTERVIEW. À moins de trois mois de l'élection présidentielle, l'association Civic Power et la startup bordelaise Votelab militent activement pour le recours au vote numérique. Marion Le Blanc, secrétaire générale de Civic Power, et Jean-Sébastien Suze, directeur général, de Votelab, répondent aux questions de La Tribune sur ce débat de société. Sans illusion sur le calendrier ni sur la capacité du vote en ligne à faire disparaître l'abstention, ils plaident cependant pour créer une habitude, notamment auprès des 18-35 ans, dont 82 % n'ont pas voté aux élections régionales de juin 2021. Mais les obstacles restent nombreux.
Marion Le Blanc, secrétaire générale de Civic Power, et Jean-Sébastien Suze, directeur général de la startup Votelab.
Marion Le Blanc, secrétaire générale de Civic Power, et Jean-Sébastien Suze, directeur général de la startup Votelab. (Crédits : Votelab)

LA TRIBUNE - Le vote numérique a plutôt bien fonctionné lors des différentes élections primaires de l'automne 2021 mais n'a pas empêché une abstention historiquement élevée aux scrutins professionnels organisés fin 2021 par les chambres de commerce et d'industrie (vote en ligne obligatoire, 95 % d'abstention) et des chambres d'agriculture (vote en ligne possible, 90 % d'abstention). Est-ce une solution face à l'abstention ?

Jean-Sébastien SUZE, directeur général de Votelab - À mon sens, ces deux scrutins souffrent d'abord d'un déficit d'efficacité dans leur procédure. Par exemple, pour les CCI, les convocations et le matériel de vote ont été envoyés sur format papier avec de nombreuses difficultés d'adressage, quand bien même le vote était exclusivement en ligne. A tel point que des milliers de courriers n'ont même pas été reçu par les électeurs potentiels ! Le vote en ligne n'est pas donc directement en cause.

Marion LE BLANC, secrétaire générale de Civic Power - D'autant que nous ne voulons en aucun cas remplacer le vote physique, nous voulons seulement proposer une possibilité supplémentaire ! On n'est pas naïf et tout à fait conscient que toute une partie des gens qui s'abstiennent continueront à le faire avec le vote numérique. En revanche, il y a aussi tout un tas de gens que l'on pourrait convaincre : ceux qui ont peur du contexte sanitaire actuel, ceux qui préfèrent aller à la plage ou ceux qui ont oublié d'établir une procuration !

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Votelab et Civic Power recourent à la blockchain. Est-ce de nature à rassurer des indécis sur le vote électronique ?

MLB - C'est un sujet qui divise et on essuie beaucoup de reproches et d'insultes par des gens qui nous expliquent que la blockchain n'est pas sûre, qu'on va se faire attaquer par les Russes, les Chinois ou les Américains. Ces gens-là, on a beau leur démontrer le contraire par A+B, on sait qu'on ne les convaincra pas non plus. Mais il y a tous les autres ! Et on travaille activement ce sujet de la certification de la sécurité du vote et de la sécurisation des données personnelles pour rassurer tout le monde.

Sans être un militant anti-blockchain, est-ce que cet outil et le recours à des cryptomonnaies ne restent pas encore un épouvantail auprès d'un électeur lambda ?

MLB - Peut-être et nous axons plutôt notre communication sur le fait que notre plateforme de vote en ligne est un outil sécurisé et incorruptible. C'est ça qui est important plus que le mot blockchain ! Quant aux cryptomonnaies, c'est un outil de financement pour Votelab, ce n'est pas lié à la plateforme de vote en tant que telle.

JSS - Par ailleurs, quand des entreprises concurrentes vous assurent qu'elles utilisent un procédé inviolable, vous ne connaissez pas ce procédé. Vous vous contentez de faire confiance. Avec la blockchain, c'est plus transparent. A la différence du vote papier, vous pourrez vérifier à tout moment si votre vote a bien été pris en considération et n'a pas été modifié et l'organisateur peut vérifier que l'ensemble des votes ont bien été pris en compte. C'est justement l'avantage de cette technologie par rapport au papier.

En l'absence d'isoloir, comment garantir l'authentification de l'électeur et s'assurer qu'il ne vote pas sous contrainte ?

JSS - Il est possible de mettre en place des garanties d'authentification en allant jusqu'à la demande d'une pièce d'identité, d'une photo et d'un justificatif de domicile. Plus largement, cela pose la question de l'identité numérique du citoyen et des coordonnées des électeurs et c'est un sujet qui progresse. Quant au risque de la contrainte, il existe c'est vrai et l'on peut prévoir des précautions comme la possibilité de modifier son vote à tout moment jusqu'à la fin du scrutin. Je ne nie pas cette difficulté mais je pense qu'elle relève plus d'un risque individuel que statistique et qu'elle existe aussi avec le vote traditionnel. Je suis donc convaincu que c'est un mauvais prétexte pour combattre le vote numérique. On observe notamment que ce sont surtout les mouvements extrêmes qui y sont opposés parce qu'ils ne souhaitent en général pas ouvrir le vote le plus possible qui risquerait de diluer les votes de leurs militants.

Quels profils d'électeurs ciblez-vous dans une France où le numérique et ses codes ne sont pas une évidence pour tout le monde ?

JSS - En quelques années, on a réussi à faire en sorte que 37 millions de Français paient leurs impôts sur Internet et ça fonctionne très bien. Il y a parallèlement, douze millions de Français qui utilisent une banque en ligne. Pourquoi ce serait différent pour le vote ?

MLB - Maintenant, il faut bien reconnaître qu'on cible plutôt des électeurs jeunes, c'est-à-dire les 18-35 ans, ceux qui sont 82 % à ne pas avoir voté aux dernières élections régionales ! Mais s'il y a des gens de plus de 35 ans qui souhaitent s'y mettre, nous serons ravis ! Nous allons aussi demander aux différents candidats à l'élection présidentielle de se positionner sur cette question du vote en ligne, qui faisait partie des points envisagés du candidat Emmanuel Macron.. sans résultat cinq ans plus tard.

Comment expliquez-vous les réticences de beaucoup d'élus par rapport au vote numérique malgré ce contexte d'abstention généralisée ?

JSS - De mon point de vue, il y a une certaine facilité à ne pas mettre en place le vote en ligne pour éviter de consulter une certaine population qu'ils connaissent moins bien. Les candidats à l'élection présidentielle sont plutôt réticents parce que ces abstentionnistes ils ne les connaissent pas vraiment et, quelque part, ils s'inquiètent de ce qu'ils pourraient exprimer.

MLB - Sans faire un procès d'intention, dans les collectivités qui ont organisé ce type de consultations en ligne, on constate effectivement la participation d'un public plus renouvelé, beaucoup plus jeune et peu habitué à s'exprimer jusque-là. Donc oui, il faut assumer le fait qu'avec le vote en ligne les résultats ne seront pas les mêmes ou ne seront pas forcément ceux attendus !

Quels sont les outils les plus efficaces pour convaincre les électeurs de s'y mettre ?

JSS - L'une des clefs c'est d'éviter de demander à quelqu'un de se connecter seulement une fois tous les cinq ans pour la présidentielle. Si on se contente de faire ça, ça ne fonctionnera pas ! Nous pensons qu'il faut donc créer préalablement une récurrence, une habitude du vote en ligne avec une application mobile permettant de participer à différents scrutins locaux, nationaux, d'entreprises, etc. On prône par exemple que des villes comme Bordeaux consultent régulièrement leurs administrés sur les sujets débattus en conseil municipal parce que cela permet de remettre le citoyen dans un processus consultatif sur des sujets concrets qui le touchent directement.

MLB - L'idée n'est pas d'aller vers une démocratie directe mais de familiariser les citoyens au fait d'être consultés, d'une part, et de voter en ligne, d'autre part. C'est cette notion de régularité qui est importante.

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