Immobilier : Bordeaux affiche complet

Le buzz autour de l'autocollant "Parisien rentre chez toi" qui apparait sur quelques abribus bordelais éclaire la problématique immobilière de la ville, confrontée à une pression démographique forte conjuguée à une pénurie de biens. Les offres se font rares dans le centre historique de Bordeaux. Conséquence : les prix ont bondi de 44 % en 10 ans et de 15 % entre 2016 et 2017, repoussant les Bordelais au-delà des boulevards, voire de la rocade. Même les non-Girondins, aux budgets souvent plus confortables, peinent à décrocher le sésame.
Cet autocollant qui fleurit sur les poteaux bordelais accuse les Parisiens d'arriver en masse grâce à la nouvelle ligne à grande vitesse et d'entrainer une flambée des prix de l'immobilier

"Entre 2014 et 2017, un T3 dans un immeuble des années 80 du quartier Saint-Genès est passé de 110.000 € à 270.000 €. » Catherine Coutellier, directrice de l'agence Immo de France dans le centre-ville de Bordeaux, dresse le même bilan que ses confrères : "Ça devient difficile pour les locaux d'acheter." Il n'est pas évident de déterminer un prix au m2 ; si le prix médian donné par l'Union des syndicats de l'immobilier (Unis) s'élève à 3.550 €, il atteint 6.000 € dans le triangle d'or, 4.000 € à Saint-Michel, 5.000 € à Caudéran et peut faire des pointes à 10.000 € pour un appartement à Saint-Christoly. Du côté de la Fnaim, on fixe le curseur entre 5.000 € et 7.000 €.

"L'inflation concerne tous les quartiers, constate Daniel Seignat, président de l'Unis, même ceux de Belcier et Bacalan sont tirés vers le haut par le neuf car ils se retrouvent dans de nouveaux centres urbains, ce ne sont plus des marchés de report."

Thibault Sudre, notaire à Bordeaux, le confirme : "Avant on avait 12 quartiers, aujourd'hui il y a l'hyper-centre et le reste."

Les grands appartements, inexistants ou hors de portée

"On me demande beaucoup d'appartements 3 chambres de 110 m2 dans le centre... Et bien je n'en ai pas", reconnaît Thomas Labau. C'est bien simple, selon la Fnaim Gironde, en-dessous de 500.000 €, il n'y a rien pour une famille, quand un couple de Bordelais classique avec enfant arrive avec 300.000 €, en moyenne. Même ceux qui disposent d'un budget confortable font face à une autre difficulté : l'absence d'appartements de grande taille.

"Un couple avec une maison bourgeoise de 150 m2 à Caudéran veut vendre pour acheter un appartement de 120 m2 dans le centre. Avec cette vente, ils peuvent toucher 800.000 €, mais ils ont réalisé que pour un appartement plus petit que leur maison, il faudrait compter 1 million d'€. Ils ont abandonné le projet...", évoque Jean-Marie Duffoire, à la tête de l'agence Argus Immobilier à Gambetta.

C'est typiquement la situation qui engendrerait la pénurie actuelle. "Il y a moins de valeurs refuges, reconnaît Catherine Coutellier, le patrimoine reste une valeur sûre. Je connais quelques vieilles familles bordelaises qui ont des immeubles vides, mais qui ne veulent pas vendre."

"Il n'y a pas la motivation pour rendre liquide le patrimoine, déplore Thibault Sudre. Nos seuls dossiers sont les divorces ou les décès. Quand il y a une vente, c'est rarement pour un rachat."

La dégringolade des ventes et du nombre de mandats contamine le secteur. Et quand une vente survient, elle dure entre 15 jours et un mois. "Un bien au prix sort direct", avance Catherine Coutellier. En moins d'une semaine, Thomas Labau a notamment vendu un studio rénové à Saint-Paul à 147.000 € et un 36 m2 à Pey-Berland, proche de la mairie, à 240.000 €. Des biens au prix du marché. "Les vendeurs ont face à eux des acquéreurs qui ont un pouvoir d'achat plus important, et  ils le savent", explique l'agent immobilier. "C'est la clientèle avec du budget qui fait augmenter les prix", confirme le président de l'Unis.

(photo Agence Appa)

Les Bordelais boutés hors de la ville

"Bordeaux n'est plus aux Bordelais", n'hésite pas à asséner le notaire. Cette situation qui a fait de Bordeaux une ville inaccessible serait-elle liée à l'arrivée par LGV entière de Parisiens qui n'ont aucunement l'intention de prendre un billet retour ? Car la nouvelle ligne à grande vitesse, inaugurée en juillet, a mis la capitale parisienne à 2h04 de la gare Saint-Jean. Si les non-Girondins ont croisé la route d'agents immobiliers bordelais plus régulièrement, tous s'accordent à dire qu'il n'y pas d'afflux massif, mais plutôt des arrivées progressives. Pour l'Unis, le phénomène s'est accentué depuis un an. Et le problème n'est pas tant le nombre d'acquéreurs, mais bien les moyens avec lesquels ils arrivent. "On ne joue pas dans la même cour", reconnaît Catherine Coutellier. "Même s'ils ne font pas des chèques d'1 million d'euros tous les jours", nuance Jean-Marie Duffoire.

Lire aussi : Bordeaux-Paris : ce que la LGV va changer

Dans tous les cas, ceux que ne voient plus les agents immobiliers, ce sont les primo-accédants : "Deux-trois ventes maximum cette année, contre 15 % en 2010", concède Thomas Labau. Les "petits" budgets choisissent de s'éloigner. Ils pourraient trouver des prix plus bas à la barrière de Pessac, Nansouty, barrière d'Ornano, mais la pénurie a aussi gagné ces secteurs. Caudéran et les communes proches Bègles et Talence laissent quelques perspectives, comme ce T3 avec parking et terrasse à 185.000 €, introuvable à Bordeaux. Pour Catherine Coutellier, c'est sur Floirac, sur la rive droite de la Garonne, qu'il faut miser aujourd'hui : "Après la mise en service du futur pont (prévu pour relier les deux rives en 2020, NDLR), ce sera trop tard." D'ailleurs, elle estime que si la rive droite possède encore un marché intéressant, c'est uniquement en raison des difficultés d'accès.

Depuis juillet dernier, Bordeaux est à 2h04 de Paris en TGV via les trains directs (photo Agence Appa)

Le salut de l'autre côté de la rocade ?

Une fois la rocade enjambée, il y a plus de possibilités. Les prix au m2 sont plus bas et les offres plus nombreuses. A La Brède, à 30 km de Bordeaux, la Bourse de l'immobilier enregistre une hausse de ses ventes de 20 % par an, ces trois dernières années. Et notamment avec l'arrivée de "mutés" aux budgets plus conséquents. "Avant, j'avais peu d'acquéreurs pour des biens à plus de 300.000 €, aujourd'hui, on va jusqu'à 500.000 € plus régulièrement", constate le directeur de l'agence. C'est le budget à prévoir pour une maison contemporaine de 160 m2 avec 1.000-1.500 m2 de jardin. Là aussi, les locaux aux budgets serrés doivent s'éloigner vers Landiras ou Virelade. Le directeur de la Bourse de l'immobilier en est le premier étonné : "J'ai vendu une maison qui était affichée à 475 000 € - prix que je trouvais élevé - et elle est partie à 470 000 € en une seule visite."

Et si l'éloignement ne convainc pas, l'acquéreur n'hésite pas à revoir ses critères. "Le parking : on oublie, la lumière : c'est pas grave, le quartier : on peut bouger", énumère Thomas Labau. Tant que l'on pose ses valises à Bordeaux... Jean-Marie Duffoire a accompagné un couple dans ses recherches. Ils ont revendu au Bouscat pour se rapprocher de Bordeaux centre et ont acheté en avril une maison des années 60 de 120 m2 à Caudéran avec 500 m2 de terrain dans le secteur Stéhélin à 363.000 €, avec environ 30.000 € de travaux. "Ils ont renoncé au charme et au cachet de la pierre, sans quoi il aurait fallu prévoir 600.000 € de budget", précise le vice-président de la Fnaim.

Le neuf intéresse les acquéreurs

Bien que le neuf avoisine les 4.000 €/m2, il semble tenter les acquéreurs avec sa liste d'avantages - TVA (zones Anru) et frais de notaire réduits, prêt à taux zéro, absence de travaux, agencement moderne et optimisé -, constate la Fédération de la promotion immobilière (FPI) qui qualifie 2017 d'année "intéressante". Depuis 2012, les ventes sont en constante augmentation. Et les propriétaires-occupants plus nombreux : fin 2016, ils étaient 30 % (+ 4 points), contre 70 % d'investisseurs (- 4 points). Avec 1.690 logements réservés au 2e trimestre, les tendances restent les mêmes qu'en 2016, mais les mises sur le marché plus nombreuses laissent présager des transactions à venir. Et les prix imposés aux promoteurs sur une partie des opérations ont de quoi séduire : 2.100 € le m2 sur les volumes capables du futur quartier Brazza ou 3.000 € à Euratlantique, le nouveau quartier en développement autour de la gare Saint-Jean. Thibault Sudre, notaire, constate tout de même que ce sont les petites opérations qui séduisent.

"Le problème avec la loi Pinel sur les grands ensembles, c'est qu'au bout de 9 ans, au moment de la vente, il y a une arrivée massive de biens, ce qui déprécie les autres logements."

Personne n'ose faire de pronostics sur les mois à venir, mais l'attractivité de Bordeaux ne laisse pas présager de baisse.
/// Orianne Dupont

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L'autocollant de la discorde

Les plus observateurs l'ont vu fleurir ces dernières semaines sur de rares poteaux métalliques et abribus de la ville (250.000 habitants) et de la métropole bordelaise (760.000 habitants). La Tribune Hebdo l'avait signalé dès son édition du 12 octobre dernier. Pas de ras-de-marée comme on peut le lire ici ou là, mais un autocollant "Parisien rentre chez toi" orné d'un TGV. Manière bien peu avenante de renvoyer chez eux les familles de cadres parisiens aisés qui choisissent de s'installer dans la capitale girondine, régulièrement accusés comme Airbnb d'être les principaux responsables de la flambée des prix de l'immobilier. Depuis, les internautes s'écharpent sur les réseaux sociaux, entre ceux qui dénoncent l'arrivée supposément massive de cette population à fort pouvoir d'achat et dénoncent la gentrification de la ville, et ceux qui fustigent une réaction odieuse. Des graffitis "anti-riche" ont également été vus dans plusieurs quartiers, dont celui de Saint-Michel. Le champ politique s'est emparé du phénomène, comme le montre ces tweets du maire et président de la métropole Alain Juppé et de la conseillère municipale d'opposition Michèle Delaunay :

Les attaques anti-nouveaux arrivants à Bordeaux sont une honte. J'envisage de saisir la justice. Notre ville est accueillante et le restera.

— Alain Juppé (@alainjuppe) 25 octobre 2017

Mais Alain Juppé n'a pas eu de politique foncière permettant de réduire l'augmentation des prix,ce qui réduit bcp l'attractivité de la ville

— Michèle Delaunay (@micheledelaunay) 25 octobre 2017

Le temps où le "parigot bashing" se contentait de moquer les partisans au pain au chocolat au détriment de la chocolatine locale, semble désormais loin...
/// Mikaël Lozano

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Notre enquête complète, "Bordeaux est-elle devenue (trop) chère ?" dédiée à la bulle immobilière et parue dans La Tribune Hebdo datée du 12 octobre, est encore disponible dans les kiosques de Nouvelle-Aquitaine. Il est possible de consulter la version numérique en s'abonnant ici.

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Commentaires 13
à écrit le 11/01/2018 à 11:33
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Que les Bordelais ne s’inquiètent surtout pas....aucune risque que je vienne m'enterrer dans cette ville ! N'ayez aucune inquiétude ! ;)

à écrit le 29/10/2017 à 9:05
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Une raison supplémentaire de refuser que la ligne arrive jusqu'à Toulouse

à écrit le 29/10/2017 à 9:05
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Une raison supplémentaire de refuser que la ligne arrive jusqu'à Toulouse

à écrit le 26/10/2017 à 15:29
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tiens pour une fois qu on ne celebre pas la flambee des prix ... d habitude c est vu comme une bonne chose. Evidement ca depend si vous etes un retraite multiproprietaire ou une jeune qui doit se loger pas tres loin de son travail ... Enfin, c ets...

à écrit le 26/10/2017 à 11:26
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Affaire de mode et d'époque il y a quelques années tout le monde parlait de Toulouse après Aix en Provence ou Montpellier ...aujourd'hui c'est Bordeaux ou Nantes ...et si c'est une histoire de TGV pourquoi pas La Rochelle ou Biarritz ?

à écrit le 26/10/2017 à 9:36
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c'est comme un petit français qui débarquent en Ukraine. Ici il est pauvre, là bas il est riche et peu acheter toutes les terres et déposséder voir expulser les pauvres Ukrainien natif du lieu... C'est monstrueux et cela montre l'égo et le besoin de ...

à écrit le 26/10/2017 à 9:33
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les natifs de bordeaux ont raisons ! y en a marre des Parisiens, des Anglais, Hollandais etc... qui se déversent sur des régions moins cher et tranquille comme la Peste noir et détruisent la vie de milliers de gens. Dans le Limousin c'est idem, les p...

à écrit le 26/10/2017 à 9:08
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"Je connais quelques vieilles familles bordelaises qui ont des immeubles vides, mais qui ne veulent pas vendre." Oui bien sûr, plus on possède et plus on est possédé mais il n'y a pas que les familles bordelaises hein svp, entre le secteur immobi...

à écrit le 26/10/2017 à 9:07
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Un slogan que l'on verrait plutot au FN

à écrit le 26/10/2017 à 8:29
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le parisien est au "vivre-ensemble" ce que la puce est au chien : un parasite !

à écrit le 26/10/2017 à 7:49
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Bordelais(e)s, bienvenue dans un monde ouvert. D'autres villes proches de Paris ont aussi connu l'expulsion forçée de leurs jeunes par afflux de parisiens aux revenus plus conséquents. Ne vous plaignez pas car ces villes ont aussi connu un afflux de...

à écrit le 25/10/2017 à 18:24
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ce phénomène va également se produire sur rennes avec la LGV qui met désormais rennes à environ 1 h 40 de Paris, je l'ai testé s'est top pour ceux qui travaillent sur paris à proximité de Montparnasse reste quand même le cout de l'abonnement sncf. Br...

le 01/11/2017 à 9:48
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la rocade est meme bloqué pendant les vacances cela devient l enfer

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