L’Afrique nouvelle locomotive de l’économie mondiale ?

Experts, hommes politiques et chefs d’entreprises se sont interrogés sur la situation de l’économie africaine lors du colloque de la 5e édition "Bonnes Nouvelles d’Afrique" organisé par la FPI (Fondation Prospective Innovation) et en partenariat avec la ville de Bordeaux la semaine dernière.

Entre 1995 et 2014, le continent a enregistré une croissance annuelle moyenne de 5,3 %. C'est la deuxième partie du monde la plus dynamique en termes de croissance après l'Asie. La déclaration de Nelson Mandela en 2015 sur la BBC - "Nous arrivons au siècle de l'Afrique, un siècle où l'Afrique aura sa place parmi les nations du monde" - raisonne tout particulièrement aujourd'hui, alors qu'on perçoit tout le potentiel de ce continent en devenir. Mais après l'euphorie généralisée, la croissance a baissé de 1,3 % en 2015 et l'Afrique subsaharienne est descendue sous la barre des 2 % : son niveau le plus bas depuis vingt ans. Est-ce un simple ralentissement ? Comment l'économie africaine s'impose-t-elle au cœur du monde ?

"L'Afrique est un territoire ambigu, elle connaît à la fois une croissance positive et une aggravation des crises. Crise pétrolière, crise alimentaire, crise de la mondialisation... Mais de ces crises devrait naître une forme d'émergence. Des transformations structurelles vont subvenir et sont sources d'optimisme", a démarré Patrick Guillaumont, président de la Ferdi, Fondation pour les études et recherches sur le développement international, lors du 5e colloque "Bonnes Nouvelles d'Afrique" qui se tenait à Bordeaux.

Le ton est donné : "l'afroptimisme" sera le dénominateur commun des différents intervenants. L'Afrique, longtemps cantonnée à l'image de continent de tous les maux, est aujourd'hui remise en haut de l'affiche. Cette mauvaise performance de croissance survenue dès 2015 n'est qu'une légère secousse et tient surtout à la baisse des prix des matières premières, dont le pétrole, qui a touché de plein fouet les pays exportateurs de produits de base. Selon les prévisions, la situation devrait s'améliorer d'ici à 2018. Balayés les doutes des investisseurs étrangers ! Le potentiel de croissance du continent semble mettre tout le monde d'accord. Grâce à une perspective de croissance favorable figurant parmi les meilleures du monde et une explosion démographique sans précédent, les compteurs sont au vert. Ou presque...
 
Son retard abyssal en termes d'infrastructures (énergie, voies de communications et transports, télécommunication, développement technologique..) freine considérablement la machine économique et le rythme d'industrialisation du continent. Plus de 600 millions de personnes, soit presque 2 personnes sur 3, n'ont pas accès à l'électricité. 36 % de la population n'a toujours pas accès à un point d'eau potable de qualité. Mais alors que "l'afropessimiste" verrait le verre à moitié vide, "l'afroptimiste" lui, décèle au cœur de ce sous-équipement une opportunité infinie de marchés. La gestion des infrastructures sera l'un des plus grands défis mais aussi l'une des plus grandes opportunités de développement pour l'Afrique dans les décennies à venir.

"Un vent d'optimisme commence à souffler sur le continent africain", a affirmé M. Nhay Phan, directeur général de Bank Of China à Paris.

L'Afrique est un marché en hausse dans le développement mondial de la Banque de Chine. Le volume des échanges commerciaux entre la Chine et l'Afrique a été multiplié par 20 depuis les années 2000. Pékin dispose de 3.700 milliards de dollars de réserve en devises étrangères, autant de ressources pouvant servir à financer des projets d'infrastructures et accélérer le processus d'industrialisation en Afrique. Parmi les projets phares de la Banque de Chine : le développement de l'autoroute de l'information figure en tête de liste. D'ici quelques années, 150.000 km de câbles de fibre optique traverseront 48 pays africains et 82 villes, pour un investissement de 15 milliards de dollars. La construction des réseaux autoroutiers, ferroviaires, aériens et d'infrastructures représente un autre de ses projets stratégiques et devrait arriver à termes d'ici à 2020.

"L'enjeu c'est de maîtriser la croissance démographique"

Un choc démographique extrêmement puissant aura lieu à horizon 2030, l'Afrique représentera 30 % de la population mondiale et 1 naissance sur 2 sera africaine. Ce choc peut aussi être un choc social voire culturel", annonce Mihoub Mezouaghi, directeur adjoint direction Etudes, recherches et savoirs de l'AFD.

Un rapport du Groupe de la Banque mondiale indique qu'en 2060, le continent africain comptera environ 2,8 milliards d'habitants sur une population mondiale totale de 10 milliards d'individus. Cette croissance démographique, la plus rapide de toutes les régions du monde (2,6 % par an durant la période 2010-2015), est à la fois porteuse d'espoir et redoutée. 30 millions de jeunes par an s'apprêtent à entrer sur le marché du travail et avec eux, une nouvelle classe de jeunes entrepreneurs africains qui réinventent le monde de l'entreprise. Certains voient ce tsunami humain comme les prémices de catastrophes humanitaires massives et de migrations en cascade, d'autres comme la poussée du continent vers une nouvelle ère de progrès collectifs. Une certitude : il faudra nourrir les aspirations et les besoins en termes de services, de santé, d'éducation et d'infrastructures, pour éviter que cette éruption démographique ne se retourne contre le continent, réduisant à néant toute perspective de croissance.

Le boom de la classe moyenne en Afrique

Ce boom devrait générer une classe moyenne solvable de 1,4 milliard d'individus d'ici à 2050, selon les estimations de la Banque africaine de développement. Véritable réservoir de fondateurs de PME, le bassin de clientèle "middle class" propulse de nouveaux secteurs d'activités comme les télécommunications, l'industrie automobile, la distribution ou encore le secteur bancaire. CFAO, Compagnie française de l'Afrique Occidentale, a décidé de tout miser sur ces nouveaux consommateurs en développant un réseau de galeries marchandes destiné aux classes moyennes émergentes dans des métropoles. Avec 15.000 collaborateurs sur le continent africain et une présence dans 38 pays d'Afrique, le groupe accompagne les besoins d'équipements et de services de santé et de consommation du continent et a réalisé un chiffre d'affaires de 4,2 milliards d'euros en 2016. Alors que les grands centres de distribution poussent comme des champignons sur le continent, la compagnie souhaite construire 80 sites commerciaux au sud du Sahara d'ici une dizaine d'années.

"La politique de développement agricole et rural n'est pas le concurrent de l'industrialisation, il en est la condition. La spécificité du continent africain, c'est qu'en adoptant un regard complètement nouveau, les difficultés font émerger de véritables opportunités !", affirme Françoise Remarck-Le Guennou, directrice des relations institutionnelles et de la communication de CFAO.

Surnommée la mine d'or inexploitée de l'Afrique, l'industrie agroalimentaire est estimée à 1 milliard de dollars en 2030 selon un rapport de la Banque mondiale. En 2015, la compagnie a saisi la balle au bond. En partenariat avec Heineken, elle a réalisé à Abidjan l'une des brasseries les plus modernes d'Afrique de l'Ouest. Construite en un temps record de 13 mois, elle représente un investissement total de 150 millions d'euros. Elle produira 1,6 million d'hectolitres de bière "Ivoire", distribuée sur le territoire Ivoirien. Déjà 200 emplois directs ont été créés localement. L'utilisation du riz dans la fabrication de la bière booste la filière rizicole dans le pays.

La santé : un enjeu majeur sur le continent

Il y a 25 ans, Robert Dulury et une dizaine de collaborateurs, dont 8 pharmaciens originaires de pays africains, n'ont pas hésité à se tourner vers le marché africain. En tablant sur un marché de niche, celui des produits génériques, Médicaments Export, petite PME située à Mérignac en Gironde, a capitalisé sur un pari risqué.

"Nous avions un rêve, commercialiser des médicaments à moindre coût en Afrique. Il y a 25 ans les produits génériques étaient quasiment inexistants des officines africaines. On ne trouvait que des produits occidentaux. Aujourd'hui, on trouve 50 % de produits génériques", affirme Robert Dulury, président du groupe.

Pari réussi ! Aujourd'hui Médicaments Export est le 3e exportateur en volume de médicaments après Sanofi et GSK et ses produits sont commercialisés dans 25 pays. "La problématique africaine, c'est le marché par terre, il y a des pays ou il y a plus de faux médicaments que de vrais. Cela tue littéralement la population. Le gros problème c'est que la législation fait que ce marché n'est pas criminalisé." Un fléau responsable de près de 100.000 décès par an selon l'Organisation mondiale de la santé (OMS). En créant des produits à faibles coûts adaptés à la demande spécifique du marché, la PME bordelaise contribue à limiter le recours à ces médicaments contrefaits.

"L'Afrique ce sont 54 élèves dans une classe mais il faut que ces 54 élèves apprennent la même chose et marchent dans le même sens. Cette synergie reste à créer en Afrique", explique Kako Nubukpo, à la tête de la Francophonie économique et numérique au sein de l'OIF et homme politique et macro économiste togolais.

L'Afrique a hérité de "poussières d'Etats". Continent de contrastes, les pays oscillent entre trajectoires bloquées et effervescentes, politique traditionnelle ou post-moderne, richesse ou pauvreté. Cette hétérogénéité rend le continent vulnérable et sujet aux influences extérieures. Aujourd'hui, aucune interconnexion durable entre les pays n'a encore été créée et les relations commerciales et financières intra africaines comptent pour 12 % seulement du total des échanges du continent. La faiblesse des Etats et le manque de clairvoyance de certains dirigeants sont de réelles menaces pour l'emploi et la formation.

"Le problème de l'Afrique n'est pas un problème de renforcement de capacité, c'est un problème de mise en évidence des capacités", rappelle Kako Nubukpo.

Et Mihoub Mezouaghi, directeur adjoint, direction Etudes, recherches et savoirs de l'AFD de renchérir :

"L'Afrique homogène est une idée reçue, c'est le symbole même de la diversité. Il faut prendre en compte ses spécificités nationales et régionales. Les trajectoires seront différentes selon les pays."

L'avenir du continent appartient avant tout au peuple africain, il doit créer sa propre voie pour impulser son développement économique.

Selon l'économiste Kako Nubukpo, quatre facteurs d'incertitude impacteront les futurs flux d'investissements étrangers en Afrique : la question du changement climatique et son impact sur les mouvements migratoires ; la place des énergies renouvelables : seront-elles les partenaires de la croissance africaine ou des chevaux de Troie ? ; la question des inégalités : au sein du continent le plus inégalitaire du monde, la croissance demeure limitée à une certaine catégorie de la population ; enfin, la donne sécuritaire.

Si les signes prometteurs sont nombreux, la croissance africaine est une équation à plusieurs inconnues et nul ne peut anticiper la conjoncture à venir. Les différents interlocuteurs présents lors du colloque "Bonnes nouvelles d'Afrique" ont démontré que l'Afrique est bien partie. Sera-t-elle pour autant la nouvelle locomotive de l'économie mondiale ? Même si beaucoup veulent y croire, de nombreux défis restent à relever pour ce continent en devenir.

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Commentaire 1
à écrit le 19/08/2017 à 14:14
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Félicitation pour le colloque! ...L'Afrique est bien partie, certes, moi je le crois sauf que de nombreux défis sont nécessaire à relever avec le concours bien sûr de nos dirigeants , Experts et leader en économie!

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