« Les biosolutions dépasseront les produits de synthèse dans les vingt prochaines années »

INTERVIEW. Elle est une pointure mondiale dans le domaine des biosolutions et l'une des premières femmes à avoir fondé puis introduit une société en bourse aux États-Unis. Pam Marrone explique à La Tribune son choix de présider depuis début 2023 la startup charentaise Elicit Plant, pionnière de la réduction des besoins en eau des cultures. L'entrepreneure américaine présente les défis qui l'attendent sur ce marché euphorique.
Maxime Giraudeau
La startup Elicit Plant teste ses biosolutions sur des parcelles expérimentales en Charente pour réduire les besoins en eau des plantes.
La startup Elicit Plant teste ses biosolutions sur des parcelles expérimentales en Charente pour réduire les besoins en eau des plantes. (Crédits : DR)

LA TRIBUNE - Vous êtes hautement courtisée par les entreprises des biosolutions. Pourquoi la startup charentaise Elicit Plant vous a-t-elle convaincue de les rejoindre ?

Oui, chaque semaine, un certain nombre de startups me demandent d'être conseillère ou de siéger au conseil d'administration, mais je suis très pointilleuse. Ainsi, lorsque Elicit m'a contactée, c'était par l'intermédiaire d'un recruteur. Je n'avais jamais entendu parler de cette entreprise, alors je leur demandais : « Dites-m'en plus ! » J'ai donc posé des questions pendant plusieurs mois sur la propriété intellectuelle, la technologie et les performances de rendement. J'ai rencontré l'équipe et les investisseurs. Jean-François [Déchant, cofondateur, ndlr] m'a convaincue et je me suis retrouvée présidente après cela. Comme il s'agissait d'un stade précoce, ils produisaient encore des données sur le terrain et travaillaient sur leur propriété intellectuelle. Mais mon intuition était la bonne, l'entreprise a quelque chose de spécial.

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pam marrone

Pam Marrone est devenue présidente du conseil d'administration d'Elicit Plant début 2023 mais collabore au développement de la startup depuis deux ans. (crédits : DR)

Pourquoi est-elle spéciale ?

Il y a littéralement des milliers d'entreprises dans le domaine des biosolutions et de plus en plus de startups parce qu'il y a des milliards de dollars investis dans les technologies vertes. Il faut donc se différencier des autres. Très peu d'entreprises travaillent sur la gestion du stress hydrique dans les cultures. Pourtant, ce domaine devient de plus en plus important, notamment en raison du changement climatique. Nous assistons à des changements météorologiques spectaculaires, à des sécheresses. Il est donc très important de disposer d'une technologie capable de rendre les cultures plus résistantes au stress hydrique. Le produit d'Elicit montre une augmentation du rendement très importante et mesurée dans plus de 90 % des cas. C'est une caractéristique très importante qui la distingue.

Ce qui rend Elicit très spéciale, c'est aussi le fait qu'elle ait été cofondée par un agriculteur agronome, Aymeric Molin. Il a rapidement obtenu une très bonne version de son premier produit. Aymeric a appris dessus, puis il a conçu la version suivante avant de retourner voir son scientifique d'origine. Ce va-et-vient constant entre les essais sur le terrain et la R&D est absolument précieux, car très peu d'entreprises disposent d'une boucle de rétroaction aussi rapide, ce qui explique pourquoi elle peut fabriquer un produit qui fonctionne si bien pour les agriculteurs aussi rapidement.

Un nouveau produit pour le tournesol

Après une levée de fonds de 16 millions d'euros en 2022 et le doublement des équipes, Elicit Plant poursuit son développement. À la suite du maïs et le soja, l'agritech vient d'annoncer la commercialisation d'un nouveau produit homologué à destination des cultures de tournesol d'ici décembre. Ce produit, toujours à base de phytostérols, est issu de six ans de recherches. L'entreprise est déployée en Ukraine, au Brésil et veut maintenant s'étendre en Europe.

Vous l'avez dit, des centaines d'entreprises développent des biosolutions. Quelle est la priorité pour Elicit Plant désormais ? Continuer à améliorer l'efficacité de son produit ou capter le marché ?

Les deux. Vous avez besoin des deux. Vous ne pouvez pas décevoir les agriculteurs. Les priorités de l'entreprise sont d'augmenter ses revenus et d'accroître ses ventes. Et cela signifie se développer à l'international. Sur le marché français, les agriculteurs et les coopératives ont joué un rôle majeur dans la compréhension et le développement du produit. Maintenant, il faut qu'elle s'internationalise. Le Brésil est rapidement devenu le premier marché au monde pour les biosolutions, dépassant même les États-Unis. Elicit s'est rapidement installée au Brésil, a obtenu des données et vend maintenant. Il faut s'y diffuser et percer dans d'autres pays européens.

Vous avez dirigé trois entreprises de biosolutions (Entotech, AgraQuest et Marrone Bio Innovations), que vous avez même introduites en bourse. Quel est le secret pour réussir dans ce monde face aux puissants lobbies de l'agro-business ?

La croissance des produits biologiques se situe entre 10 et 20 % par an dans l'ensemble du secteur agronomique. Comparez cela aux produits chimiques de synthèse : la croissance est à un chiffre, donc très faible. Si l'on considère la taille du marché, les biosolutions dépasseront les produits de synthèse dans les vingt prochaines années. Dans le même temps, l'Europe est à l'avant-garde en matière de restriction des produits chimiques, qu'il s'agisse d'engrais ou de pesticides. Il est donc très important d'avoir des produits qui peuvent les remplacer. Les agriculteurs et le lobby de l'agro-industrie reconnaissent donc que les consommateurs veulent une agriculture plus durable, des solutions plus durables sur la façon dont leurs aliments sont produits. Il s'agissait auparavant d'une lutte acharnée. Et lorsque j'ai commencé à travailler il y a plus de 30 ans, on me disait : « La durabilité ? Mais de quoi parlez-vous ? » Aujourd'hui, c'est une nécessité. Le monde a donc changé.

J'ai créé ma première entreprise il y a 33 ans et c'était très difficile de faire adopter des produits biologiques. Aujourd'hui encore, nous avons du pain sur la planche. Environ 40 à 50 % des agriculteurs interrogés, toutes cultures confondues, déclarent ne pas être au clair ou ne pas savoir comment utiliser les produits biologiques. C'est donc une excellente occasion d'éduquer les agriculteurs sur la façon dont les produits sont utilisés.

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En France, l'agriculture est pointée du doigt pour son impact sur l'environnement. Mais beaucoup d'agriculteurs ne voient pas comment la transition écologique peut améliorer leurs conditions de revenus...

Oui, l'agriculture est attaquée par les groupes de défense de l'environnement et par les consommateurs qui ne la considèrent pas comme respectueuse de l'environnement, parce que l'agriculture émet 15 %, environ, des émissions de gaz à effet de serre dans le monde. La réduction de ces émissions fait donc l'objet d'une attention toute particulière. Oui, même aux États-Unis, sans subventions, de nombreux agriculteurs n'existeraient pas, comme les producteurs de maïs et de soja. En passant à l'agroécologie et en réduisant les émissions de gaz à effet de serre, on donne à l'agriculture une meilleure image auprès des consommateurs et de ceux qui critiquent l'agriculture. Les produits naturels peuvent les aider à augmenter leur productivité, la qualité et la densité des nutriments. Ils contribuent non seulement à réduire les émissions, mais aussi à améliorer la qualité du produit, ce qui, espérons-le, permettra à l'agriculteur de gagner plus d'argent. En même temps, les agriculteurs devraient pouvoir utiliser moins d'eau, moins de pesticides, moins de produits chimiques, ce qui constitue pour eux un meilleur retour sur investissement.

Mais ces outils semblent en même temps insuffisants face aux événements climatiques qui vont s'intensifier...

L'intérêt des produits biologiques, en fonction de leurs différentes fonctions, peuvent aider les agriculteurs en particulier dans le cadre du changement climatique où le temps est toujours changeant et imprévisible. Cela fonctionnera si ces solutions sont combinées !

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Maxime Giraudeau

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