Terrorisme : économiquement, la sécurité privée n’a pas gagné

Au lendemain des attentats de novembre 2015 à Paris, les agents des entreprises de la sécurité étaient demandés partout où l’armée et la police ne pouvaient être. La demande croissait en même temps que la menace terroriste se renforçait. Pour autant, économiquement, le secteur a-t-il connu un avant et un après-attentats ? Pas évident.
Le business de la sécurité est encore soumis à de fortes pressions sur les prix. Résultat une croissance modeste, mais rien de mieux concernant les faibles marges.

On pouvait penser que le secteur de la sécurité allait connaître un avant et un après actes et menaces terroristes, et tout particulièrement après les attentats de 2015 (janvier : Charlie Hebdo, Hyper Casher. Novembre : attaques des terrasses parisiennes du Canal Saint-Martin et de la salle du Bataclan). Au lendemain des attaques et au moment de la mise en place de l'état d'urgence, la demande de prestations explosait. Ultra sollicitées à l'époque, les entreprises de sécurité qui ne pouvaient recruter dans l'urgence sans former, se devaient de faire des choix. Privilégier les sites accueillant du public, les sites sensibles également, aux dépens de certaines usines ou sociétés. Privilégier aussi leurs clients habituels susceptibles de vouloir renforcer la sécurité de leurs personnels avant de répondre à de nouvelles demandes...

"Pendant les semaines et mois qui ont suivi, et c'est encore le cas actuellement, les salariés en CDI ont été l'objet de beaucoup de concurrence entre les entreprises. Ils ont été et restent encore très convoités. Ils peuvent choisir de changer d'employeur quand ils jugent que les missions ou les salaires proposés sont plus attractifs ailleurs. C'était encore plus vrai après novembre dernier, pendant des mois les besoins humains de personnels compétents et expérimentés étaient tels qu'une véritable bataille en matière de ressources humaines a eu lieu. Nous passions deux à trois fois plus de temps qu'en temps normal pour trouver du personnel, constituer les équipes pouvant répondre à la demande de nos clients", explique Harold Heredia, dirigeant de Lynx Securité Europe, entreprise familiale créée en 1988, rayonnant sur 38 départements et employant 650 personnes via 10 implantations régionales (siège social à Tresses, près de Bordeaux).

Pas plus de 5 % de croissance cette année

"Aujourd'hui les choses se sont un peu calmées, surtout en dehors de Paris. On constate que la pression est retombée", note le dirigeant bordelais.

Ce dernier relève même un relâchement de la vigilance dans de nombreux centres commerciaux. L'absence de contrôle notée aux entrées des centres commerciaux comme Promenade Saint-Catherine ou encore Rives d'Arcin et Mériadeck au sein de la métropole bordelaise semblent lui donner raison...

La demande de missions a baissé par rapport à la fin 2015 et au début 2016, mais le secteur de la sécurité est quand même un peu plus sollicité qu'avant les grands attentats récents.

"Pour autant, le secteur ne connaîtra pas une croissance à deux chiffres cette année... même pas 5 % sans doute", pronostique le dirigeant de Lynx Sécurité Europe.

Une progression qui ne s'accompagne d'ailleurs pas forcément d'une croissance fulgurante du nombre de salariés dans un secteur qui emploie plus de 152.000 personnes en France pour un chiffre d'affaires (2015) d'environ 6 Md€.

"La formation obligatoire du personnel permet d'éviter de faire n'importe quoi en termes de recrutement et c'est tant mieux, explique Harold Heredia. Mais pour répondre plus rapidement aux besoins qui ont fait suite aux attentats et qui étaient prévisibles à l'approche de l'Euro de foot, la profession, via le syndicat SNES, avait proposé la mise en place d'un CQP, certificat de qualification, allégé, avec 35 heures de formation. Mais les institutions ont souhaité imposer un CQP plutôt alourdi qui n'a pas attiré les candidats susceptibles de réaliser des missions ponctuelles..."

Des missions ponctuelles comme celle de la surveillance des sites sensibles pendant l'Euro de Football, "qui, il faut le noter, ont été bien rémunérées par l'UEFA", précise Harold Heredia... comme pour mieux souligner la faiblesse financière des contrats habituellement proposés aux entreprises de sécurité.

Des marges sauvées par le CICE ?

"Les menaces terroristes n'ont rien changé à la valorisation de nos missions. Les marges sont toujours au plus bas chez nous, aux alentours de 1 %, ce qui ne permet pas d'investir en dehors de l'indispensable formation de nos personnels", souligne le dirigeant bordelais.

Celui-ci ajoute :

"Il ne faut pas rêver, c'est le CICE (crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi) qui sauve nos marges actuellement et il faut être clair : si les entreprises privées ont généralement compris que la sécurité de qualité a un coût et mégotent moins lors des appels d'offre, elles veulent prendre de moins en moins de risques et cherchent plus la compétence que le prix. Le secteur public, lui, s'attache plus au prix. C'est le cas de l'armée, notamment, qui cherche des gardes-barrières plus que des agents de sécurité et va généralement au moins disant... et qui a la réputation de payer ses factures avec beaucoup de retard !"

Le secteur s'est réorganisé autour de quatre ou cinq gros acteurs mais aussi d'une pléiade d'entreprises de taille PME ou intermédiaire comme Lynx par exemple. Sur 3.437 entreprises recensées en 2015, 200 de plus de 100 à 499 salariés réalisaient 25,3 % du CA total. 2.457 entreprises de 1 à 19 salariés réalisaient 9,2 % du CA de la profession.... Tout indique que le secteur de la surveillance humaine n'est pas, comme on aurait pu cyniquement le penser en pleine tension sécuritaire, le gagnant économique de l'état d'urgence.

Sujets les + lus

|

Sujets les + commentés

Commentaire 0

Votre email ne sera pas affiché publiquement.
Tous les champs sont obligatoires.

Il n'y a actuellement aucun commentaire concernant cet article.
Soyez le premier à donner votre avis !

-

Merci pour votre commentaire. Il sera visible prochainement sous réserve de validation.