Forum agriculture innovation : arbres, sols et biocontrôle pour sortir des pesticides ?

"La biodiversité ça se protège mais, surtout, ça se produit", a martelé l'agroforestier gersois Alain Canet, lors du Forum Agriculture Innovation organisé par La Tribune et la Région Nouvelle-Aquitaine. Cette 4e édition, consacrée aux transitions des pratiques culturales, est revenue sur plusieurs leviers pour sortir des pesticides : couvert végétal, sols, outils de biocontrôles mais aussi concertation publique.
La 4e édition du Forum Agriculture Innovation, organisée par La Tribune et la Région Nouvelle-Aquitaine, a fait salle comble ce 26 novembre 2019.
La 4e édition du Forum Agriculture Innovation, organisée par La Tribune et la Région Nouvelle-Aquitaine, a fait salle comble ce 26 novembre 2019. (Crédits : Agence APPA)

"Le constat des baisses de rendements agricoles est déplorable et désastreux. Face à cela, l'agroforesterie et l'agronomie sont utiles et nécessaires. [... ] L'arbre prend de la place mais il apporte beaucoup de choses à l'agriculteur et à son sol. Et le sol, en agriculture, c'est le socle de tout", considère Alain Canet, agronome et agroforestier, cofondateur de l'Association française d'agroforesterie et directeur d'Arbre et Paysage 32. De quoi lancer les débats de la 4e édition du Forum Agriculture Innovation, ce mardi 26 novembre, dans l'hémicycle du Conseil régional de Nouvelle-Aquitaine. Une région qui sera, comme l'a rappelé son président Alain Rousset, l'un des territoires français les plus touchés par les différentes conséquences du réchauffement climatique, à commencer par le stress hydrique et l'impact sur les cultures : "Il faut embarquer tous les acteurs dans cette traversée compliquée de la transition climatique et agricole qui sera de très grande ampleur !"

Cultiver et protéger autrement

S'agissant de la sortie des pesticides, Florence Jacquet, directrice de recherche à l'Inra, est venue présenter le programme "Cultiver et protéger autrement". Doté de 30 M€ issus du programme Investissements d'avenir, ce programme piloté par l'Inra financera une dizaine de projets de recherche de grande ampleur pendant six ans à partir de septembre 2020. "Les plans Ecophyto 1 et 2 ne vont pas assez vite et n'ont pas assez de résultats. Cela questionne à la fois les politiques publiques et les acteurs de la recherche. On veut donc réfléchir à ce qu'on peut faire de mieux pour construire des connaissances pour l'agriculture de 2030-2040 avec un cap zéro pesticides qui nous force à penser différemment et en profondeur", détaille Florence Jacquet qui entend s'intéresser plus avant à l'agro-écologie, à la prophylaxie et à la chaîne de valeur.

Florence Jacquet Inra Forum Agri

Florence Jacquet, directrice de recherche à l'Inra (crédits : Agence APPA)

Des aspects déjà abordés en pratique depuis une quinzaine d'années par la coopérative lot-et-garonnaise des Vignerons de Buzet qui réunit 184 viticulteurs et 95 salariés. "La grande difficulté a été de convaincre les agriculteurs et vignerons de changer de pratiques alors qu'on leur a répété pendant 40 ans à quel point la chimie était bénéfique et pas chère. Mais il se rendent comptent aussi de l'état de leurs sols et aujourd'hui ils partagent une réelle satisfaction quand les bilans faunistiques et floristiques de nos parcelles, que nous réalisons tous les deux ans, attestent de la présence d'espèces qui avaient disparu un temps", témoigne Pierre Philippe, le directeur général. "Le couvert végétal a été expérimenté puis évalué avant d'être déployé sur nos vignobles parce qu'il présente beaucoup d'avantages, en particulier pour nos amis les abeilles et les vers de terre", poursuit-il. "La biodiversité ça se protège mais, surtout, ça se produit", abonde Alain Canet.

Ces notions de sols, de diversité végétale et d'expérimentations sont revenues au cœur des enseignements dispensés aux 400 lycéens et 100 élèves de formation continue du lycée agricole de Montmorillon, dans la Vienne : "Nous sommes passés d'une logique de prescription, avec des certitudes à appliquer, à une logique plus créative et plus adaptée à chaque territoire, culture et exploitation. C'est un vrai virage pédagogique", reconnaît Guillaume Dupuits, le directeur du lycée.

Forum Agriculture Innovation 2019

Pierre Philippe (Vignerons de Buzet), Aymeric Molin (Elicit Plant), Guillaume Dupuits (lycée agricole de Montmorillon) et Kévin de Cozar (M2i Life Sciences). (crédits : Agence APPA)

Bio-contrôle

Et sur le terrain ou en laboratoires, les solutions émergent pour réduire voire se passer des produits phytosanitaires classiques afin de préserver la qualité des sols et de la biodiversité. A Brive (Corrèze), Axioma France développe des biostimulants naturels pour l'agriculture, l'élevage et les espaces verts et a obtenu cette année l'autorisation de mise sur le marché européen de son fertilisant naturel Activ Nutrition. De son côté, M2i Life Sciences, spécialiste du bio-contrôle animal et végétal, qui compte une équipe à Lacq, dans les Pyrénées-Atlantiques, travaille sur plusieurs procédés fondés sur le biomimétisme : "Grâce à des phéromones ciblés et propres à chaque espèce, nous travaillons sur la capture en masse d'un insecte particulier ou sur la perturbation de son cycle de reproduction pour gérer les populations de certains ravageurs, comme la tordeuse de la grappe, sans utiliser des pesticides conventionnels et sans cibler les autres insectes", explique Kévin de Cozar, responsable du pôle agronomie R&D biocontrôle de M2i Life Sciences.

L'approche terrain est aussi au centre de la logique d'Elicit Plant. Cette entreprise de biocontrôle a ainsi installé son laboratoire de R&D au sein d'une exploitation agricole charentaise. "Il n'y a pas de solution unique pour sortir des pesticides, il faut combiner différentes approches et les bio-stimulants en sont une. Avec notre fongicide d'origine naturelle, nous arrivons dans notre phase de tests à réduire jusqu'à 90 % les doses habituelles de pesticides", précise Aymeric Molin, directeur de la R&D d'Elicit Plant.

Forum Agriculture Innovation 2019

Kévin de Cozar (M2i Life Sciences) et Alain Canet (Arbre & Paysage 32). (crédits : Agence APPA)

"Tout cela confirme que l'innovation ne vient pas que de la recherche mai aussi beaucoup des professionnels sur le terrain à qui il faut donner davantage de visibilité. Le bio-contrôle est un vrai sujet de recherche notamment sur la viabilité de son modèle économique : qu'est-ce qui bloque aujourd'hui ? Est-ce que c'est le coût, est-ce qu'il faut envisager ce type d'opérations à un niveau adéquat qui dépasse souvent celui de l'exploitation ?", conclut Florence Jacquet.

/////////////////////////////////////

La concertation pour avancer collectivement

La sortie des pesticides, soutenue par la Région Nouvelle-Aquitaine dans le cadre de la vaste démarche collective Vitirev, passe aussi par le dialogue, comme le souligne Lydia Héraud, conseillère régionale en charge de la viticulture et des spiritueux. "Les arrêtés municipaux anti-pesticides causent des tensions et apportent souvent plus de problèmes que de solutions. Il ne faut pas opposer les gens, en particulier dans des territoires où la viticulture représente 95 % de l'activité économique", considère-t-elle.

Forum Agriculture Innovation 2019 Lydia Héraud

Lydia Héraud, conseillère régionale (crédits : Agence APPA)

Le dialogue, c'est précisément le chemin choisi par Patrick Goineau, le maire de la commune viticole de Saint-Christophe-des-Bardes, en Gironde, près de Saint-Emilion. "Nous travaillons depuis huit ans pour que l'utilisation des pesticides autour de l'école ne soit pas effectuée les jours de classe ou alors très tôt le matin. Ensuite nous avons initié une démarche collective pour avancer sur cette question avec d'abord un groupe de travail puis une réunion publique qui a réuni 150 des 332 électeurs de la commune alors même que 80 % de nos actifs travaillent directement ou indirectement dans la viticulture !", raconte l'édile. Et cette petite commune, soutenue par le Conseil régional, est depuis allé plus loin pour réduire les usages de produits phytosanitaires tout en développant des alternatives proposées par la population : jardin partagé, chemins de randonnées dans les vignes, oenotourisme, épicerie locale, etc. Saint-Christophe-des-Bardes fait désormais partie des laboratoires d'innovation territoriale créés via Vitirev. Leur rôle : tester, expérimenter, partager leurs pratiques pour démontrer que des solutions co-construites peuvent exister.

Patrick Goineau Forum Agriculture Innovation

Patrick Goineau, maire de Saint-Christophe-des-Bardes (crédits : Agence APPA)

Sujets les + lus

|

Sujets les + commentés

Commentaire 0

Votre email ne sera pas affiché publiquement.
Tous les champs sont obligatoires.

Il n'y a actuellement aucun commentaire concernant cet article.
Soyez le premier à donner votre avis !

-

Merci pour votre commentaire. Il sera visible prochainement sous réserve de validation.