Apparu dans les années 1980 au Japon avant de se développer dans les années 2000 en Europe, l'agrivoltaïsme consiste à combiner sur une même surface une production agricole - élevage, maraîchage, arboriculture ou grandes cultures - avec une production d'électricité photovoltaïque. Cela peut se traduire par l'installation d'ombrières photovoltaïques, fixes ou pivotantes, au-dessus d'un champ ou par la pose de panneaux solaires plus classiques sur le toit d'un bâtiment de production ou de stockage. Cette pratique, encore balbutiante en France, était au cœur du colloque "Solaire, transition agricole et énergétique : les conditions de la réussite", organisé par l'Institut national de l'énergie solaire (Ines), au siège du Crédit agricole d'Aquitaine, ce mardi 5 novembre à Bordeaux.
Prioriser les terres non agricoles
Un lieu qui ne devait rien au hasard puisque la Nouvelle-Aquitaine dispose à la fois du plus grand parc installé de panneaux solaires de France et du plus grand nombre d'emplois dans les domaines agricole, agroalimentaire et viticole. De quoi en faire une terre promise pour l'agrivoltaïsme ? Pas nécessairement répond Françoise Coutant, vice-présidente (EELV) du Conseil régional en charge du climat et de la transition énergétique, qui n'entend pas céder à un quelconque emballement : "Soyons très vigilants à l'impact du photovoltaïque sur les sols, la faune, la flore, la biodiversité. L'agrivoltaïsme est intéressant, expérimentons, étudions et voyons ce que ça donne ! Je suis favorable aux énergies renouvelables mais pas à n'importe quel prix, privilégions d'abord les friches, les délaissés autoroutiers, les parkings, etc.. qui offrent déjà des surfaces suffisantes !"
Une prudence partagée par Guy Estrade, le président de la Chambre d'agriculture des Pyrénées-Atlantiques. "Oui, nous voulons participer à la transition énergétique mais regardons de près la valorisation territoriale réelle de celle-ci. La vocation première de l'agriculture est de produire des biens, ne l'oublions pas !", a-t-il rappelé avant d'appeler à l'élaboration d'une feuille de route conjointe avec les pouvoirs publics et les acteurs de la filière de l'énergie.
Pour autant, a voulu rassuré Stanislas Reizine, représentant le ministère de la Transition écologique et solidaire, il ne s'agit pas de généraliser l'agrivoltaïsme : "Il reste 30 GW à produire en France pour atteindre l'objectif de 40 GW fixé par la programmation pluriannuelle de l'énergie. Cela représente peu ou prou 30.000 hectares mais l'idée est de privilégier au maximum le foncier autre que les terres agricoles et 40 % du total doit être installé sur du bâti." Et plusieurs garde-fous existent en matière d'autorisation avec une procédure très stricte à respecter quand il s'agit de terres agricoles : "Il faut pouvoir démontrer une synergie de fonctionnement réelle entre l'activité agricole, qui doit rester principale et significative, et l'activité solaire, qui doit rester secondaire. Et la réversibilité du dispositif est obligatoire", précise ainsi Céline Mehl, de l'Ademe (Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie).
Un secteur en plein effervescence
Car en réalité, l'agrivoltaïsme n'est qu'au début de son histoire et c'est d'ailleurs pour cela que l'Ademe vient d'initier une vaste étude au plan national pour établir un état des lieux exhaustif de cette pratique et des multiples modèles économiques possibles. Les résultats n'en seront connus qu'au printemps 2021. "Entre les panneaux solaires classiques, les serres à panneaux photovoltaïques ou encore les ombrières et en fonction de la nature de l'activité agricole, les coûts d'investissements varient et les modèles économiques sont en pleine effervescence avec beaucoup d'expérimentations en cours", observe Céline Mehl.
Au sein de l'Inra (Institut national de la recherche agronomique) à Nice, Christine Poncet suit de près ces expérimentations et leur impact sur la biodiversité, en particulier les serres de culture couvertes de panneaux solaires. "Il n'y a pas d'impact négatif spécifique mesuré à part les baisses de rendement liées à l'ombrage supplémentaire quand les panneaux solaires sont fixes. On constate même dans plusieurs cas des effets bénéfiques en termes d'augmentation de la diversité des espèces cultivées", explique-t-elle. De son côté, Damien Ricordeau, dirigeant de Finergreen, cabinet de conseil en financement des énergies renouvelables, se montre même plus affirmatif : "L'efficacité de la production agricole et solaire augmente d'environ 60 % si on combine les deux activités sur un même terrain plutôt que les envisager séparément chacune sur un terrain distinct. Une expérience menée en Allemagne aboutit même à un gain de 86 % en production d'énergie et de 12 % en production de céleri et de blé." Il assure également qu'une installation photovoltaïque sur un vignoble des Pyrénées-Orientales permet une économie d'eau de 20 à 30 % et un gain pour le viticulteur de l'ordre de 5.000 € à l'hectare.
Des externalités positives à quantifier
Pour autant, Damien Ricordeau en convient lui aussi, il reste encore beaucoup d'inconnues dans cette équation nouvelle :
"Pour l'agrivoltaïsme sur des serres ou des toitures, on a des certitudes et ce sont des installations rentables par elles-mêmes. Mais pour l'étape suivante avec des panneaux intelligents pivotants en fonction de l'ensoleillement à l'aide de trackers, ce n'est pas encore le cas. Ce sont des dispositifs qui sont pour l'instant subventionnés et le surcoût du pilotage des panneaux n'est pas encore couvert par les bénéfices économiques agricoles. Ces projets présentent des externalités positives importantes pour l'agriculteur et pour l'environnement, dont la préservation des terres arables et des cours d'eau et l'augmentation du revenu des agriculteurs, mais tout l'enjeu désormais est de les appréhender et de les quantifier précisément pour justifier une différence de coûts dans la production d'énergie."
En Gironde, l'entreprise Valorem a mis en service depuis 2014 à Saint-Hélène un parc photovoltaïque d'une trentaine d'hectares sur des surfaces boisées ravagées par les tempêtes de 1999 et 2009. Ce n'est pas de l'agrivoltaïsme à proprement parler mais il est possible d'en tirer des éclairages en matière de biodiversité. A l'issue d'un processus de deux ans d'évitement-réduction-compensation de son impact sur l'environnement, le projet a pu aboutir sans nuire à un papillon protégé, le Fadet des Laiches. "On constate aujourd'hui que les espèces de faune et flore typiques de ces zones boisées sont revenues sur les parcelles et qu'il y en a même plus qu'avant. Le résultat c'est que ces parcs solaires constituent désormais des réservoirs de biodiversité", assure ainsi Vincent Vignon, le responsable du développement solaire de Valorem en France.
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L'énergie solaire en chiffres (*) :
- La capacité des panneaux solaires installés devrait atteindre 1 TW dans le monde en 2022, contre 600 GW aujourd'hui. Cela représentera une multiplication par 1000 depuis 2005... mais seulement 3 % de la consommation électrique mondiale ;
- Les centrales photovoltaïques représentent plus de 50 % de la puissance installée. Viennent ensuite les panneaux posés en toitures (environ 35 %), les dispositifs flottants (moins de 10 %) et les panneaux intégrés à des bâtiments.
- En France, la puissance installée est de 8,7 GW et la programmation pluriannuelle de l'énergie prévoit d'atteindre 18 GW en 2023 puis de 35 à 45 GW en 2028.
- 98 % de ces panneaux solaires, dont la durée de vie est estimée à une trentaine d'années, contiennent du silicium cristallin. La production est majoritairement réalisée en Chine où dix entreprises pèsent plus de la moitié du marché mondial.
- Le coût de fabrication est tombé de 600 €/m2 en 2008 à environ 45 €/m2 en 2019. La production d'électricité solaire revient en France à un coût compris entre 20 et 55 €/MWh en fonction de l'exposition solaire.
- Ces panneaux solaires sont aujourd'hui recyclables à 95 %.
(*) Ces données ont été présentées par Franck Barruel, directeur de la formation et de l'évaluation à l'Ines.
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