La grande incompréhension des rachats d’actions

OPINION. Alors que presque tout le monde s'accorde pour dénoncer leur caractère néfaste, le gouvernement envisage d'introduire une taxe sur les rachats d'actions, suivant en cela le gouvernement Biden aux États-Unis. Nicolas Hérault, professeur d'économie à Bordeaux School of Economics, met en lumière l'incompréhension du phénomène largement répandue dans le débat public.
Le gouvernement envisage d'introduire une taxe sur les rachats d'actions.
Le gouvernement envisage d'introduire une taxe sur les rachats d'actions. (Crédits : Brendan McDermid)

Non, les rachats d'action ne sont pas un moyen artificiel d'augmenter le cours des actions et leur taxation ne stimulera ni les salaires ni l'investissement. Un résultat établi il y a longtemps en finance mais qui semble avoir été largement oublié.

Le principe des rachats d'actions est simple. En utilisant sa trésorerie, une entreprise rachète ses propres actions sur le marché pour ensuite les détruire. Il paraît logique d'en déduire que cela ne peut que faire augmenter le cours de l'action. Intuitivement, la demande augmente ce qui doit faire augmenter les prix. Plus scientifiquement, on nous explique qu'en rachetant ses actions, l'entreprise fait mécaniquement augmenter son bénéfice par action, logique puisque les perspectives de bénéfices sont inchangées alors que le nombre d'actions en circulation a diminué.

Lire aussiRachats d'actions : le gouvernement prévoit de taxer les entreprises qui y ont eu recours, dès 2025

Mais c'est oublier d'où viennent les fonds utilisés pour le rachat d'action. Même les banquiers semblent oublier ce point crucial !

Explications avec deux exemples. Le premier exemple, simplement pour comprendre l'intuition, est de penser à un ménage avec un emprunt immobilier mais aussi des liquidités sur un compte bancaire. Si ce ménage utilise ses liquidités pour racheter son emprunt, il ne sera au final ni plus riche ni plus pauvre.

Mais prenons l'exemple, plus pertinent, d'une entreprise qui vaut 100 euros. Supposons que cette entreprise ait aussi 100 euros de trésorerie. Sa capitalisation boursière sera de 200 euros, les investisseurs valorisant la valeur intrinsèque de l'entreprise de 100 euros plus sa trésorerie de 100 euros. Supposons qu'il y 200 actions à 1 euro chacune.

Si l'entreprise ne voit pas d'opportunité d'investissement intéressante, elle va envisager de rendre ce cash aux actionnaires. Typiquement elle aura le choix entre verser un dividende exceptionnel ou procéder à un rachat d'action.

Que se passe-t-il si cette entreprise décide d'utiliser toute sa trésorerie pour racheter la moitié de ses actions, c'est-à-dire 100 actions à 1 euro ?

Il n'y a alors plus que 100 actions en circulation mais l'entreprise ne vaut plus que 100 euros puisqu'il n'y a plus de trésorerie. La valeur des actions reste inchangée à 1 euro chacune. Bien sûr, les actionnaires n'ont rien perdu dans l'affaire puisque 100 euros sont simplement passés des caisses de l'entreprise aux poches des actionnaires, ou en tout cas celles de ceux qui ont vendu leurs actions.

Ce petit exemple, certes simplificateur, permet de comprendre que, comme les dividendes, les rachats d'action sont simplement un moyen de transférer une part des profits, présents ou passés, aux actionnaires. D'ailleurs les études empiriques montrent généralement que l'effet sur le cours des actions a tendance à être marginal et éphémère. Et l'augmentation du cours des actions ne figure typiquement pas dans les théories avancées par les articles scientifiques en finance pour expliquer les rachats d'actions. On comprend aussi à l'aune de cet exemple pourquoi les études ne trouvent pas d'effet sur l'investissement des entreprises.

Mais alors on pourrait se demander ce qui peut bien inciter les entreprises à procéder à des rachats d'actions. Plusieurs raisons sont avancées, comme le fait de vouloir signaler au marché que les actions de l'entreprise sont sous-évaluées. Mais la principale raison tient sûrement à la fiscalité. Dans la mesure où les plus-values sont moins imposées que les dividendes, les actionnaires préfèreront les premières. Et ce d'autant plus que les actionnaires sont libres de réaliser leurs plus-values quand bon leur semble, et donc contrôlent le moment où elles seront imposées, ce qui n'est pas le cas avec les dividendes.

Par ailleurs, comme l'arbitrage entre dividendes et rachats d'action se fait après le partage entre salaires et profits, il est sans effet direct sur les salaires ou sur l'investissement.

Les rachats d'actions ne sont donc ni pires ni meilleurs que les dividendes. Il est illusoire de s'attendre à ce qu'une taxe sur les rachats d'actions conduise à une augmentation des salaires ou de l'investissement des entreprises. Le seul effet à attendre sera une augmentation des dividendes en compensation directe de la diminution des rachats d'actions.

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Commentaires 20
à écrit le 07/05/2024 à 19:27
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Voilà cher professeur, vous irez à présent expliquer ceci à vos étudiants[https://i0.wp.com/michelsanti.fr/wp-content/uploads/2024/05/Apple.jpg?resize=768%2C478&ssl=1]"En 10 ans, Apple aura dépensé 625 milliards $ pour racheter en bourse ses propres ...

à écrit le 05/05/2024 à 12:58
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@Paul. Ce cher professeur a encore omis, il est vrai, de rajouter deux paramètres dans son équation. Le premier, l'histoire économique et le deuxième, le court-termisme boulonné dans la logique-même de nos économies "réelles" totalement financiarisée...

à écrit le 05/05/2024 à 10:06
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Croire que la valeur en bourse d´une entreprise correspond au bilan + la trésorerie : économie niveau troisième. Si cette personne avait la moindre notion de ce qui se passe en bourse, il apprendrait que la finance actuelle ne cherche que la plus-val...

à écrit le 05/05/2024 à 5:09
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"dans les théories avancées par les articles scientifiques en finance " bel oxymore ;-) En science on fait des expériences dans un environnement contrôlé dont on maîtrise les paramètres, est-ce vraiment le cas en finance??

à écrit le 04/05/2024 à 13:21
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Bonjour feldhuner. Je conçois que notre hôte peut se prêter à un exercice à dessein. Tout d'abord, il faut bien comprendre que la domiciliation fiscale de l'actionnaire récipiendaire (un sujet fiscal qui habituellement est un fond d'investissement ou...

à écrit le 04/05/2024 à 9:53
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Cet "économiste" (?) sait il que depuis la flat tax l'argument fiscal n'explique plus (s'il ne l'a jamais expliqué!) la politique de dividendes de l'entreprise (les plus value étant taxée au même taux que les dividendes)? Les rachats d'actions complè...

à écrit le 04/05/2024 à 9:00
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Cet article ignore le cas fréquent de sociétés sous-évaluées par la Bourse. Par exemple, les Foncières ! Dans ce cas de sociétés sous-évaluées jusqu'à 50 %, les rachats d’actions sont tout à fait pertinents.

le 05/05/2024 à 21:03
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La supposée sous évaluation des sociétés foncières vient peut être que le résultat de celles-ci est impacté par des phénomènes de réévaluation du patrimoine foncier de l'entreprise, mais qui n'ont rien à voir avec la gestion courante desdites entre...

à écrit le 04/05/2024 à 9:00
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Cet article ignore le cas fréquent de sociétés sous-évaluées par la Bourse. Par exemple, les Foncières ! Dans ce cas de sociétés sous-évaluées jusqu'à 50 %, les rachats d’actions sont tout à fait pertinents.

à écrit le 04/05/2024 à 8:58
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Pas possible : un truc qui avait échappé à la taxation !

à écrit le 03/05/2024 à 22:45
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Lumineux!

à écrit le 03/05/2024 à 20:46
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Cet article ne m'apparaît pas vraiment convaincant. L'auteur argumente comme si le cours de bourse représentait la valeur intrinsèque de l'entreprise à un moment T, majoré de la trésorerie disponible. Mais dans la réalité, le cours de bourse peut ...

à écrit le 03/05/2024 à 15:36
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Après avoir lu cette prose je vous déconseille d'aller faire des études financières à Bordeaux. Ce Professeur prétend que les plus values sont moins taxées que les dividendes. je lui conseille de se constituer un porte feuille d'actions pour vérifier...

à écrit le 03/05/2024 à 15:14
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Un peu plus de recul dans le temps et l'espace avec une juste et plus honnête perception des rachats d'actions par l'économiste américain et professeur à la "Harvard Business School", William Lazonick [https://www.newyorker.com/business/currency/the-...

à écrit le 03/05/2024 à 14:59
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le gars se contredit lui même : à la fin il dit que les rachats d actions sont identiques aux dividendes en termes de redistribution des bénéfices aux actionnaires, mais il dit avant que cela n a pas d impact sur les cours de l action!!! Si cela n a ...

à écrit le 03/05/2024 à 13:31
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Le problème c'est que ce genre d'opération (à laquelle la majorité de la population ne comprend rien) apparaît dès lors comme une "magouille". Ce qui est quand même un peu le cas🤑

à écrit le 03/05/2024 à 12:46
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On a hâte que soit promulguée et appliquée une telle loi, en espérant qu'il n'y aura pas une forme de "verrou-de-Bercy-bis". Le rachat d'action, en très raccourci, priorise la concentration du capital sur toute autre dépense : investissements, foncti...

à écrit le 03/05/2024 à 12:44
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Le pb ne se pose pas uniquement en terme de bourse il se pose en terme d'investissement financement donc de cycle. En outre si on interdit le rachat faut aussi interdire les émissions, ce sui risque de poser de gros soucis aux boîtes en difficul...

à écrit le 03/05/2024 à 12:34
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Très clair. Et très éclairant: si, donc les plus values sont moins imposées que les dividendes, alors les pouvoirs publics ont raison de vouloir les taxer; voire jusqu'à égalité de pression fiscale.

à écrit le 03/05/2024 à 10:51
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Super article merci beaucoup de nosu expliquer mieux ce phénomène, c'est d'explications dont nous avons besoin et non de messes, de sermon et autres inquisitions, encore merci donc puisque la plupart du temps quand on li des économistes on a l'impres...

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