Après avoir découvert ce projet d'atelier d'engraissement géant à Peyrilhac, un collectif de riverains s'est créé fin février. Comme il dépasse, et de loin, les 800 unités de gros bétail, une procédure ICPE (installation classée pour la protection de l'environnement) a été lancée. À la suite de l'enquête publique, close depuis le 12 avril, le commissaire enquêteur a demandé un mois de plus pour rendre un avis face au grand nombre de contributions reçues. « C'est un désaveu cinglant : 11.000 contributions, là où ce type de projet table en général sur à peine quelques centaines ! Et plus de 95 % expriment une opposition résolue à cette aberration économique, écologique et sociale », indique Jacques Caplat de l'association Agir pour l'environnement. Il demande au commissaire-enquêteur « de rejeter un projet à contresens de l'histoire».
« 5.000 animaux produits par an »
Pourquoi une telle levée de bouclier ? Le projet « Terres de Cavaignac » concerne l'exploitation d'Emmanuel Thomas, un éleveur de 61 ans qui veut partir à la retraite et ne souhaite pas s'exprimer sur le sujet. Elle se situe au lieu-dit Chavaignac, à Peyrilhac, à une vingtaine de kilomètres au nord-ouest de Limoges. Ses terres réparties sur les communes de Peyrilhac, Nieul et Veyrac s'étendent sur 600 hectares de surface agricole utile, dont 80 hectares en propriété et le reste en fermage. En 2008, six bâtiments pour l'engraissement équipés de panneaux photovoltaïques sont sortis de terre et quatre de plus en 2021 pour stocker matériel et fourrage. Une petite ferme se situe au hameau des Borderies, à la sortie du village, et une stabulation destinée à l'engraissement à Puymaud sur Nieul. L'éleveur en système naisseur-engraisseur détient un cheptel de vaches Limousines et prépare 700 bovins laitiers et de boucherie par an vendus à l'export. Il emploie cinq salariés à plein temps et quatre stagiaires de l'enseignement agricole.
Mais de 700 têtes actuellement, le site pourrait bientôt accueillir 3.000 animaux en permanence. En effet, le projet « Terres de Chavaignac » affole les compteurs dans un département réputé pour l'élevage extensif avec une production prévue de « 5.000 animaux par an soit 400 vaches de réforme, 2.800 jeunes bovins de moins de 22 mois et le reste en génisses de boucherie principalement de race Limousine et du Charolais », annonce Pascal Nowak, chargé de mission développement des territoires chez T'Rhéa. Ce groupe de 700 salariés commercialise plus de 100.000 tonnes de viande par an pour 480 millions d'euros de chiffre d'affaires. « Les six bâtiments aménagés serviront pour la finition des femelles et accueilleront 115 femelles chacun et seront pleins à 90 %. Les quatre autres de 400 places chacun seront aménagés pour l'engraissement des jeunes bovins. Le taux de remplissage est estimé à 85 % donc ils ne seront pas forcément pleins en permanence. L'autre bâtiment de 110 places, à Nieul, sera pour l'engraissement des vaches de réforme », poursuit le responsable de T'Rhéa.
Les jeunes bovins seront exportés principalement vers l'Italie et la Grèce, même si le groupe compte trouver un débouché en France sur ce produit boudé des consommateurs. Pour l'abreuvement, un bassin sera construit pour récupérer les eaux de toiture et drainage de certaines parcelles.
« Le risque majeur dans dix ans est la raréfaction du produit »
Les vaches de réforme (6 à 10 produites/semaine), les génisses (35 à 40/sem.) et les jeunes bovins (45 à 50/sem.) seront abattus et transformés dans un rayon proche. En effet, le groupe détient les abattoirs de Brive-la-Gaillarde (Corrèze) et Thiviers (Dordogne). Il est actionnaire majoritaire dans celui de Montmorillon et intervient en prestation de services à Limoges. « Le bilan carbone sera meilleur avec peu de déplacements pour les animaux qui aujourd'hui vont en Italie et Espagne pour l'engraissement. Certaines carcasses reviennent en France », avance Pascal Nowak. Le groupe a prévu dix emplois directs et vingt induits. « Le risque majeur dans dix ans est la raréfaction du produit ce qui laisse la porte ouverte aux viandes étrangères. » Le groupe attend l'avis consultatif du commissaire enquêteur mais indique que sur « les 11.000 contributions, il y a 25 questions auxquelles il faut qu'on réponde. »
Avec ce projet d'atelier d'engraissement, le groupe prévoit de produire 5 000 bovins par an avec plus de 3.000 animaux sur place en permanence. (Crédit : Frédéric Aujoux)
« 100 camions et 180 véhicules légers par mois »
Le collectif de riverains « Tous contre l'engraissement intensif à Peyrilhac » a lancé une pétition qui frôle déjà les 12.000 signatures. Frédéric Aujoux, artisan taxi, habite à 350 m des stabulations. « Aujourd'hui, c'est 700 têtes et six stabus remplies. Après, les autres feront partie de l'atelier d'engraissement ce qui va multiplier par 3,4 et va faire beaucoup plus de bruit et d'odeur. » Il pointe du doigt la hausse du trafic. « Les camions vont traverser Peyrilhac tous les jours, toutes les semaines, plus de 100 camions sont annoncés par mois et 180 véhicules légers sur des routes déjà dégradées par l'exploitation actuelle de moindre taille. »
Les interrogations sont nombreuses que ce soit « le non respect du bien-être animal, la gestion de l'eau car ils veulent tout récupérer, même les eaux de ruissellement de surface donc il n'y aura plus d'eau sur les terres autour. » Il se questionne quant à « l'impact sur l'environnement local en raison de la gestion des effluents sur site. » Il ne comprend pas que « le dossier MRAE [Mission régionale d'autorité environnementale, NDLR] n'ait pas été fait, on ne sait pas les retombées. » Il souhaite que « dans l'idéal le projet soit stoppé ou qu'il continue au même stade, mais pas plus. »
« Un projet sans paysans »
Même crainte de la part de Catherine Friconnet, propriétaire avec son époux, d'un étang depuis 2015, leur « projet de vie ». Il est loué à la semaine à des carpistes adeptes du no-kill, en majorité britanniques. Et, là-aussi, l'inquiétude est palpable : « Les quatre plus grandes stabus d'environ 1.000 m2 sont à environ 80 m de notre clôture, précise-t-elle, elles devraient accueillir 450 veaux chacune et on redoute des pollutions par le lisier. Si l'étang est pollué, on perdra notre activité ! » Son cheptel de carpes a « une certaine valeur, on est minimisé dans leur projet, on n'est pas considéré comme une entreprise. Pour eux, c'est une pêcherie. Le risque économique est donc important. » Elle espère l'arrêt du projet et mise sur le refus des propriétaires de poursuivre leurs baux. Dans ce cas, le groupe pourrait « redimensionner le projet différemment », rétorque Pascal Nowak.
La Confédération Paysanne s'est aussi faite entendre. Son porte parole haut-viennois Philippe Babaudou dénonce « un projet sans paysans qui va concentrer beaucoup d'animaux. On a d'un côté des fermes qui s'agrandissent et sont de moins en moins reprenables et de l'autre, des industriels de l'alimentation qui veulent sécuriser leurs approvisionnements et rachètent des fermes », constate-t-il. « Ils captent les capitaux de l'agriculture pour faire fonctionner leurs outils de production. » Selon lui, il serait en rupture avec les attentes des consommateurs. « Ce n'est pas un modèle compatible avec nos exigences alimentaires, assène-t-il. On est contre le projet mais on n'est pas contre l'engraissement sur place mais dans un autre système, avec plus de paysans. » Il va rester vigilant sur la question du traitement des fumiers en attendant « un méthaniseur qui n'est pas construit. »
Mais le décompte de l'impact de la future exploitation reste soumis à interprétations. Mais, selon nos informations, en comptant les activités de naisseur-engraisseur et de préparation sanitaire de broutards de l'exploitant actuel, il y aurait aujourd'hui plus de bêtes qui passeraient sur l'exploitation que dans le projet futur porté par T'Rhéa.
Sujets les + commentés