À la Fabrique Pola, on hybride l'associatif et l'entreprise culturelle

Alors que l'Europe vient de réaffirmer son soutien à l'association bordelaise, la Fabrique Pola entame l'agrandissement de ses locaux sur la rive droite de Bordeaux. L'occasion d'élargir encore les activités d'une structure déjà très hybride, où les logiques d'entreprises sont convoquées dans le projet culturel d'intérêt public.
Maxime Giraudeau
La Fabrique Pola, port d'attache culturel, est située sur la rive droite de Bordeaux, à proximité du pont Chaban-Delmas.
La Fabrique Pola, "port d'attache" culturel, est située sur la rive droite de Bordeaux, à proximité du pont Chaban-Delmas. (Crédits : Agence Appa)

La "supérette artistique" peut-on lire sur le site internet de la Fabrique Pola en guise de présentation de la structure. Dans la bouche de son directeur, c'est la "fabrique culturelle" qu'on entend. "L'objet hybride" dans celle de ses admirateurs, représentants des collectivités régionales et européennes venus visiter le lieu ce 16 février. A travers le plan de relance français, l'Union européenne a accordé, fin 2021, un million d'euros à l'opérateur culturel pour ses travaux d'agrandissement. On ne se risquera pas à donner une définition trébuchante du lieu, tant ses activités sont diversifiées. Mais un fil rouge demeure : sa mission d'accompagner les projets artistiques en lien avec les acteurs du territoire. Jusque-là, on ne se mouille pas trop.

Juridiquement parlant, la Fabrique Pola est bien une association à but non-lucratif de la sphère culturelle bordelaise. Mais dans ses occupations, elle s'apparente à une vraie entreprise aux ressources multiples. Créée au début des années 2000, la Fabrique est pendant longtemps nomade à travers les quartiers de la ville, avant d'atterrir sur la rive droite en 2019, entre le pont Jacques Chaban-Delmas et l'écosystème Darwin, ce voisin de même culture alternative. Des locaux de 4.000 m2 d'où la structure de dix salariés met à exécution son projet professionnel. "Avec la sédentarité, on allait pouvoir établir un dialogue avec la puissance publique en rendant lisibles nos propositions de modèle économique, d'insertion et d'accès à l'emploi", rejoue Blaise Mercier, directeur de la Fabrique Pola.

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Ecosystème en colocation

Le Parisien d'origine possède un fort attachement "à l'ancrage des projets sur un territoire", avec une attention particulière à aller chercher des publics éloignés de la culture. Autant de bonnes raisons qui ont conduit la Fabrique à aller le chercher dans la Creuse en 2015, d'où il a conduit un projet similaire pendant cinq ans. La structure bordelaise crée un poste de directeur et formalise alors sa nouvelle stratégie de déploiement culturel. Point de bascule : grâce à l'arrivée de son premier directeur puis avec son nouveau lieu, la Fabrique Pola devient hébergeur de collectifs et affirme son rôle de conseiller en projets artistiques. Deux activités qui fondent son économie.

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Blaise Mercier est le premier et, à ce jour, le seul directeur qu'ait connu la Fabrique Pola. (Crédits : Agence APPA)

De maisons d'édition à un cabinet d'avocats, en comptant les collectifs de création artistique, un festival et un collectif de médiation culturelle, vingt-et-une organisations vivent dans les locaux de la Fabrique. "Notre manière de défendre la profession s'inscrit à travers la notion d'écosystème", image le directeur. C'est en agrégeant ces forces que la Fabrique Pola constitue une équipe capable de conseiller les projets culturels, tant sur les plans artistiques qu'administratifs et économiques. Les acteurs territoriaux porteurs de projets y viennent donc pour trouver une expertise complète de réalisation.

La vingtaine de structures, avec une centaine de professionnels, s'inscrit dans le projet associatif et collectif porté par la maison mère, à laquelle elle règle un loyer. Blaise Mercier, lui, préfère parler "d'abonnement". "Il est utilisé pour rembourser l'emprunt que nous avons contracté et pour assurer le fonctionnement du lieu avec ses ressources humaines", explique-t-il. Le prix est affiché à 11,5 euros du m2 chaque mois, ce qui rapporte entre 120.000 et 150.000 euros par an à la Fabrique Pola.

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La maison d'édition Cornelius, créée en 1990, fait partie du pôle d'éditeurs accueilli dans la Fabrique Pola. (Crédits : Agence APPA)

"On a pensé à devenir une Scic ou une Scop"

Une entrée d'argent bien nécessaire pour pouvoir justifier d'un budget total d'un million d'euros, abondé pour moitié de subventions nationales et locales. Le centre des professionnels de la culture a d'ailleurs souffert de la crise Covid en enregistrant une faible perte de quelques dizaines de milliers d'euros en 2020, avant de retrouver l'équilibre l'an passé. Avant cela, Pola dégageait des bénéfices qu'elle réinvestissait dans l'économie locale, en faisant intervenir des artistes sur des projets d'insertion notamment. Une santé qui l'a elle-même questionnée. "Nous sommes restés un projet associatif mais on a pensé à devenir une Scic ou une Scop" [Société coopérative d'intérêt collectif, et Société coopérative et participative, ndlr] évoque Blaise Mercier. Et qui fait dire à la puissance publique que tout ça pourrait fonctionner sans subvention.

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Inconcevable de devoir s'en passer pour la Fabrique Pola, d'abord parce qu'elle dit agir pour des missions d'intérêt général. Elle qui se revendique comme ayant des missions en adéquation avec les valeurs de l'économie sociale et solidaire et est par exemple financée par un fonds social européen sur son volet dédié à l'insertion en faveur des jeunes. Entre l'attachement aux causes publiques et le développement économique territorial, l'établissement culturel n'a pas voulu choisir.

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Des représentants des institutions européenne et régionale ont visité la Fabrique le 16 février, et notamment les ateliers de fabrication. (Crédits : Agence APPA)

En complément, deux nouvelles activités ont été lancées avec une buvette saisonnière ouverte de mai à octobre et une offre de privatisation des espaces intérieurs. La structure doit maintenant s'agrandir de 1.500 m2  et pourquoi pas accueillir de nouveaux habitants en plus de l'ouverture prochaine d'une épicerie. Elle fonctionnera, d'ici là, toujours en association, tout en se finançant par des activités annexes lucratives qui lui permettent de mettre le paquet sur ses missions d'intérêt public. "Ce que nous défendons, c'est de s'appuyer sur toutes les forces endémiques du territoire, dans une logique de circuit-court", convoque le directeur. Une hybridation des ressources pour pouvoir proposer, et c'est une originalité unique pour ce type de structure, la gratuité de l'ensemble de ses manifestations. Culture business ? A Pola, on s'en défend, en justifiant un modèle singulier en train de faire ses preuves.

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Maxime Giraudeau

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