Des "zones tampons" pour protéger les habitants des pesticides ?

Le député France insoumise de la Gironde Loïc Prud'homme a présenté vendredi dernier sa proposition de loi visant à protéger les populations des pesticides par l'instauration de zones tampons. D'une largeur de 200 mètres, il serait interdit d'y pulvériser des produits contenant des molécules cancérogènes, mutagènes et reprotoxiques ou des perturbateurs endocriniens. Les enquêtes et les scandales se multiplient, tendant à démontrer des liens entre pesticides et maladies graves. Une telle mesure permettrait, selon le député, d'encourager les professionnels à changer leurs habitudes, sans que cela ne leur coûte plus cher.
En Europe, le coût estimé des conséquences de santé entraînés par les pesticides, via les mécanismes de perturbations endocriniennes, s'élèverait à 120 Md€ par an

Loïc Prud'homme, député de Gironde (France insoumise) et membre de la commission développement durable et aménagement du territoire à l'Assemblée nationale, présentait le 22 juin à Bordeaux sa proposition de loi visant à instaurer des zones exemptes de traitement par pesticides. Dans ces "zones tampon" autour d'habitations et de lieux accueillant les personnes vulnérables (écoles, crèches, ehpad...), il serait interdit de pulvériser des pesticides contenant des molécules cancérogènes, mutagènes et reprotoxiques (CMR) ou des perturbateurs endocriniens (PE) à moins de 200 mètres. La proposition de loi a été rédigée en collaboration avec les associations Générations Futures, Collectifs infos Médoc pesticides, Eva pour la vie et Alerte des médecins sur les pesticides. Elle est co-signée par des députés France Insoumise, Gauche démocrate et républicaine, la République en marche et par et un non-inscrit, 21 en tout.

Pesticides et maladies graves

En 2016, 2.128 produits différents étaient autorisés en France, parmi eux des pesticides CMR et PE. Une étude de l'Inserm de 2013 établit des liens "de présomptions fortes et moyennes" entre une exposition à des pesticides et un certain nombre de maladies graves ou mortelles (lymphomes non hodgkiniens, leucémies, maladie d'Alzheimer, troubles cognitifs, troubles de la fertilité ; risques de déficience intellectuelle ou de troubles du spectre autistique en cas d'exposition in utero... ). Cette étude fait également état de liens entre exposition aux pesticides pendant l'enfance et cancers pédiatriques.

La protection des personnes vulnérables vis-à-vis des pesticides relève en France du Code rural et de la pêche maritime. Le cadre de la loi reste assez flou. L'usage de pesticides à proximité des lieux sensibles est subordonné à la mise en place de mesures de protection (haies ou filets anti-dérives) ou à des contraintes (de dates et d'horaires) permettant d'éviter la présence des personnes vulnérables. Lorsque de telles mesures ne peuvent être mises en place, c'est la voie réglementaire préfectorale qui régit la limite en deçà de laquelle il est interdit d'utiliser les produits.

Les vignobles : 3 % de la surface agricole française, 20 % du tonnage de pesticides

Un rapport de l'Igas daté de décembre 2017 fait état des disparités territoriales : une dizaine de départements n'auraient pas encore fait l'objet d'arrêts préfectoraux. Les associations présentes lors de la présentation du projet de loi ont rappelé que c'est en Gironde que l'intoxication des élèves et de l'enseignante de l'école de Villeneuve-de-Blaye en mai 2014, suite à l'épandage de pesticides, qui a poussé le préfet à prendre des mesures supplémentaires. L'arrêté (du 24 juin 2014, puis du 22 avril 2016) stipule que sans filet ni haie, la zone de non-traitement fait entre 50 et 5 mètres, selon le type de culture et de matériel de pulvérisation, ce qui en fait un des plus protecteurs de France.

Malgré cela, de nouvelles enquêtes plus récentes mettent à mal l'efficacité supposée des dispositifs actuels. L'enquête Happi, réalisée par l'association Eva pour la vie et le collectif Infos Médoc pesticides, a relevé la présence de pesticides CMR et PE dans l'intégralité des 9 échantillons de poussières prélevés dans des villages viticoles du Médoc (1 école primaire séparée de la vigne par des habitations et 8 chambres d'enfants). Dans "l'exposé des motifs" du texte de loi, on peut lire qu'en France, les vignes représentent environ 3 % de la surface agricole mais consomment 20 % des pesticides vendus.

"Ce ne sont pas les propos d'un écolo bobo mais du pragmatisme"

"Il n'est en aucun cas question d'interdire l'agriculture sur 200 m ; il s'agit d'exclure les molécules les plus dangereuses", insiste Loïc Prud'homme, "ce ne sont pas les propos d'un écolo bobo ou d'un gauchiste radical, mais du pragmatisme [...] Cela devrait les inciter à mettre en pratique des plans de traitement sans CMR ni PE déjà existants. Ce qui pourrait encourager à passer au bio, encourager les demandes de certifications, et valoriser les productions."

L'association Alerte aux toxiques propose "L'action zéro CMR", deux calendriers de traitements sans pesticides qui selon les expérimentations n'entraînent pas de perte de récolte, pas d'embauche de salariés supplémentaire, et peut même amener à faire des économies de plusieurs milliers d'euros en pesticides.

"L'argent est là. Outre le coût des intrants, chaque année sont dépensés dans le monde 54 Md€ pour enlever le nitrate et les pesticides de l'eau qu'on veut potable. L'expérience a été faite à Munich dans les années 1980 : dès la première année de conversion au bio, l'impact phytosanitaire dans l'eau baisse et les coûts d'assainissement baissent", explique le député avant d'utiliser le chiffre rappelé par le Haut conseil de la santé publique en septembre dernier (>> télécharger le document) : en Europe, le coût estimé des conséquences de santé entraînés par les pesticides, via les mécanismes de perturbations endocriniennes, s'élève à 120 Md€ par an...

"J'ai lu dans la presse de la Chambre d'agriculture de Gironde qu'ils organisaient des stages pour pulvériser et traiter sans CMR ni PE. Les rapporteurs de la loi sur la biodiversité à l'Assemblée avaient une proposition sur des zones de non-traitement. Je pense, j'espère, que c'est un sujet qui va mobiliser", répond Loïc Prud'homme lorsqu'on lui demande s'il pense que sa proposition peut devenir loi. Pour le député, "on ne peut pas déposer une proposition de loi pour interdire les CMR, ce serait un problème d'autorisations de marché, d'homologations européennes... Beaucoup de données ne sont pas publiques, les co-formulants des principes actifs n'apparaissent pas sur les bidons... 200 mètres, c'est une mesure qui peut rassembler. Une mesure réaliste, ce serait 500 mètres !"

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Commentaires 5
à écrit le 26/06/2018 à 22:38
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Les viticulteurs s'en contrefichent des habitants et de la pollution. Ils arrivent à bord de leurs enjambeurs dans une cabine pressurisée et ils balancent leurs produits même les jours de grand vent et puis s'en vont, et nous, les habitants nous resp...

à écrit le 26/06/2018 à 17:59
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On marche sur la tête , si l'on est convaincu de la nocivité des pesticides et autres herbicides il faut les interdire , comment une haie ou un enherbage de quelques mètres pourrait protéger nos enfants , nos oiseaux , nos insectes , comment protéger...

à écrit le 26/06/2018 à 14:38
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Pourquoi faire simple quand on peut faire compliquer pour noyer le poisson et ainsi, rester complice de l'UE de Bruxelles en enfumant sa population!?

à écrit le 26/06/2018 à 13:49
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une mesure totalement inutile. Il faut prendre le taureau par les cornes et interdire tous les pesticides. Qui aura le courage ? En contrepartie, les agriculteurs devraient être exonérés entierement d'impôt. Ils nous nourrissent, que je sache !

le 26/06/2018 à 14:26
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Pour les exonérations, il faudrait distinguer les petits exploitants et l'industrie intensive qui elle doit payer des impôts (vu les dégats environnementaux à grande échelle qu'il va falloir réparer après leur passage).

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