Déserts médicaux : « On accueille des gens qui n'avaient pas vu de médecin depuis trois ans »

REPORTAGE. « Une famille de médecins plutôt qu'un médecin de famille. » Dans la Creuse, Médecins Solidaires fait venir chaque semaine des généralistes de toute la France là où personne ne s'installe. L'association bouscule les normes de la profession pour répondre aux calamités des déserts médicaux et pourrait faire bouger la loi.
Début avril, la docteure Solveig Traube a accompli une mission d'une semaine en Creuse.
Début avril, la docteure Solveig Traube a accompli une mission d'une semaine en Creuse. (Crédits : MG / La Tribune)

Village cherche médecin, désespérément. La même annonce, exposée sur banderole, revient sur les routes des bourgs de la Creuse. Celui de Bellegarde-en-Marche, à l'est du département a quelque chose en plus. Une vue sur les contreforts du Massif Central oui, mais surtout des professionnels de santé. Une flopée même. En même pas un an, le village de 400 âmes a vu défiler presque 100 généralistes, là où personne ne veut s'installer.

A proximité du cœur de village, en bordure de pré, l'association Médecins Solidaires a investi les murs d'un centre de santé flambant neuf qui, depuis deux ans, cherche en vain à installer un médecin généraliste. La municipalité est finalement servie, lui en voilà deux par semaine. Sur la deuxième rotation d'avril, un couple de praticiens originaire de Strasbourg assure les soins. La docteure Solveig Traube, 32 ans, ne connaissait les environs que par un adage : « Pendant mes études déjà, on me disait en rigolant que je finirai généraliste en Creuse. » L'envie de « rendre service aux patients d'un territoire délaissé » l'aura amenée ici pour quelques jours.

Coordinatrices vitales

Dans son cabinet de la semaine, elle recevra une centaine de personnes, du lundi au samedi. En plein désert médical, les demandes affluent : traitements à renouveler, examens à ordonner, courriers aux spécialistes, bilans. « Habituellement pour un rendez-vous, on essaye de ne pas dépasser deux motifs de consultation. Mais là, toutes leurs problématiques de soin sont aussi importantes les unes que les autres donc on doit y répondre », prescrit la médecin.

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C'est le cas de Michel, la soixantaine passée, qui traverse le département pour la sixième fois. Le patient est bien connu à l'accueil du centre. « Avec ma femme, on n'a plus de médecin traitant car il est parti à la retraite à Noël. A La Souterraine, je ne trouve personne : il y a sept médecins mais aucun ne prend de nouveaux patients. Je dois faire 200 kilomètres aller/retour juste pour faire renouveler un médicament », rappelle-t-il. Le même témoignage qui revient. Et qui sidère toujours autant. « On accueille des gens qui n'avaient pas vu de médecin depuis trois ans », abonde Emmanuelle Albert.

médecins solidaires

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Michel montre la distance qu'il doit parcourir sur la carte entourée des portraits de médecins passés par le centre. (crédit photos : MG / La Tribune)

A l'accueil, la coordinatrice voit défiler les dossiers et connaît les habitués par cœur. Avec ses deux collègues, elles assurent les fonctions vitales du centre. « C'est plus qu'une secrétaire médicale : ici, on est les maîtresses de maison. Les médecins ne savent rien quand ils arrivent, ils ne connaissent pas le lieu ni les environs. On connaît les patients, on est là pour faire le lien avec eux. Il faut qu'ils exercent la médecine clinique dans les meilleures conditions », s'applique-t-elle. Les praticiens défilent, elles restent. Le remède secret mais pas miracle de Médecins Solidaires produit ses premiers effets.

Le blues du médecin de famille

L'association mise sur la rotation collective des praticiens plutôt que l'implantation individuelle dans trois villages du centre de la France (deux en Creuse, un dans le Cher). « Une famille de médecins plutôt qu'un médecin de famille » comme on aime présenter chez les élus locaux. Des centres ouverts successivement depuis février 2023 et qui ont déjà accueilli plusieurs milliers de patients pour 200 médecins passés par ces déserts médicaux. Le double patiente en file d'attente. A l'origine de cette effervescence, un docteur fraîchement diplômé tout juste trentenaire et parti pour un tour de France des déserts médicaux en 2021. « J'ai été percuté par la réalité, revit Martial Jardel. Les médecins ne peuvent pas rester sur le bord de la route en se disant seulement que les politiques ont fait n'importe quoi, pense-t-il alors. Au lieu de demander beaucoup à peu de médecins, on va demander peu à beaucoup. »

Une ambition qui heurte la sainte figure du médecin de famille, emblème de référence pour la profession. « C'est un modèle vraiment magnifique le médecin de famille, tant qu'il y aura des médecins qui veulent s'installer il faut qu'il perdure. Mais quand il n'y en a pas, on fait quoi ? », demande Martial Jardel. Sa proposition associative a fait réfléchir dans les rangs. « Avant, le médecin c'était le seul maitre à bord, on est sur un métier individualiste. Ce qui a changé, c'est que les jeunes ont envie de travailler en collectif sans négliger leur vie personnelle, observe Claude Landos, médecin en Creuse et président départemental du syndicat MG France. Les centres de santé, c'est pas le top pour le suivi d'un patient mais c'est largement mieux que rien. » Le syndicat organisera cet été pour la troisième année un critérium médical en Creuse pour attirer les étudiants. Le thème : « L'installation a-t-elle encore un avenir ? ».

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L'appel au ministère

Deux étés avant ça, Martial Jardel cofondait Médecins Solidaires avec l'association Bouge ton coq, qui œuvre pour des initiatives d'intérêt public en milieu rural. Portés par ces nouvelles aspirations, il veut alors s'appuyer sur les villages dépourvus de professionnel de santé pour se déployer. Dans le modèle, c'est la collectivité (municipalité ou communauté de communes) qui assume le montage et les charges immobilières. La valse des médecins a un coût, il faut compter entre 200.000 et 250.000 euros pour lancer un site, à raison d'un financement public à hauteur de 80 %. Les médecins quant à eux acceptent d'abaisser leur rémunération à 1.000 euros la semaine afin de financer les salaires des coordinatrices. Sur place, ils sont logés et disposent d'une voiture de fonction.

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Le docteur Martial Jardel est installé dans le département voisin de la Haute-Vienne.

Les centres tournent à plein régime grâce au travail des sept coordinatrices. En coulisses, six salariés - rémunérés grâce aux subventions de l'Assurance maladie - s'évertuent depuis Paris à répéter des tâches administratives chronophages. Car chaque médecin en mission doit disposer d'un CDD ou d'un CDI temporaire pour être employé par l'association. Convaincus par une « position avant-gardiste », la coalition des maires ruraux voudrait leur faciliter la vie.

« On défend l'idée auprès du ministre de la Santé de faciliter les choses, pour éviter la paperasse imbécile, annonce à La Tribune Gilles Noël, vice-président de l'Association des maires ruraux de France, en charge de la santé. On pousse pour que les médecins aient une autorisation dérogatoire afin d'exercer temporairement sur un territoire. »

« Ils ne peuvent pas tout résoudre »

Médecins Solidaires a déjà honoré un rendez-vous au ministère et attend maintenant des évolutions. « On espère que ça va influencer une politique publique future à venir », histoire de « mettre notre énergie vitale dans autre chose que la contrainte stérile », illustre Martial Jardel. Mais même en le débridant, le modèle aura ses limites. L'association ne peut pas assurer la permanence des soins sur un territoire, elle doit pouvoir compter sur la stabilité des coordinatrices et composer avec la déprise des pharmacies, le tout avec des ressources financières limitées.

« On a bien conscience qu'ils ne peuvent pas tout résoudre mais ils redonnent de l'espoir », relaie Gilles Noël, quand les curatifs aux déserts médiaux se limitent à la téléconsultation et la livraison de médicaments par drone. Les Médecins Solidaires veulent continuer à battre la campagne en ouvrant dix centres d'ici trois ans. Soit autant de demandes que l'association reçoit chaque semaine de la part de maires ruraux.

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Commentaires 5
à écrit le 27/04/2024 à 16:08
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Il suffit que la gauche distribue des diplômes de médecin à son électorat ça réduira le inégalités dans les diplômes !! Pour le reste plus personne ne va se sacrifier pour pas un rond, ça réduit les inégalités dans le sacrifice. C'est maintenant q...

à écrit le 26/04/2024 à 18:11
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"Pendant mes études déjà, on me disait en rigolant que je finirai généraliste en Creuse." Il suffit de regarder la carte sur le net de l'implantation des médecins en France ,c'est sur que la plage, le soleil ,les boomers friqués sont la priorité d...

à écrit le 26/04/2024 à 9:23
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Oui parce que derrière le terme "désert médical" se cache l'incompétence de notre classe dirigeante d'abord et avant tout. Il y a une telle différence de soins entre les français que nos politiciens devraient tous démissionner ! Mais bon un bon répli...

le 26/04/2024 à 18:10
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L'ordre des médecins estimait il y a encore quelques années qu'il y avait suffisamment de médecins en France , rajoutez à cela que les syndicats de médecins s'opposent à tout sans jamais rien proposer et vous aurez ainsi un aperçu de la réalité de la...

le 27/04/2024 à 8:44
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Je suis content que tu sois d'accord avec moi ldx, nos dirigeants sont bel et bien nuls donc.

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