Émeutes et pauvreté : « La société est éruptive sous différentes formes »

INTERVIEW. Alors que les émeutes que connaît la France révèlent un peu plus une fracture socio-spatiale latente, le Ceser Nouvelle-Aquitaine présente un vaste rapport sur les mécanismes de la pauvreté. Un hasard du calendrier qui met en lumière des mécaniques protéiformes de précarité, avec un rapport appelant à en finir avec les politiques descendantes. Trois questions à Emmanuelle Fourneyron, présidente du Comité économique, social et environnemental régional.
« L'approche ne doit pas partir des champs de compétences des institutions mais des problèmes qui nous sont exprimés », considère Emmanuelle Fourneyron, la présidente du Ceser de Nouvelle-Aquitaine
« L'approche ne doit pas partir des champs de compétences des institutions mais des problèmes qui nous sont exprimés », considère Emmanuelle Fourneyron, la présidente du Ceser de Nouvelle-Aquitaine (Crédits : Ceser NA)

LA TRIBUNE - Vous venez de publier un rapport pour enrayer la fabrique de la pauvreté en Nouvelle-Aquitaine. Quelle est la nature de la fracture socio-spatiale exprimée à travers les émeutes qui surviennent dans les quartiers depuis la mort de Nahel ?

Emmanuelle FOURNEYRON - Dans le rapport, on essaye de montrer le caractère beaucoup plus diffus, massif, protéiforme de la pauvreté et de la grande pauvreté. On travaille à l'échelle de notre région mais la plupart des constats s'appliquent au pays. Si on alerte là-dessus, en disant que la pauvreté touche plus du tiers de la population néo-aquitaine, soit 2,2 à 2,3 millions de personnes qui ont du mal à se projeter, à trouver leur place dans la société, à vivre dignement de leur travail ou à en trouver, et tout ça malgré les actions déjà menées, c'est bien parce que l'on sent que la société est en ébullition. On atteint un point où il faut trouver les voies de sortie et d'apaisement : ce n'est qu'en répondant à ces questions fondamentales que l'on pourra trouver une voie de sortie par le haut. On voit que la société est éruptive sous différentes formes. On a connu des mobilisations exceptionnelles sur les retraites, ce n'était pas du tout le même public, ni la même forme de mobilisation. Les Gilets jaunes c'était encore une autre forme. Mais je crois que le trait commun c'est quand même des messages sur la difficulté à vivre au quotidien.

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Les quartiers où surviennent les émeutes sont-ils ceux qui cristallisent le plus les cinq formes de pauvreté dont vous parlez dans le rapport ?

Les cinq domaines sont le logement, la mobilité, le travail, le recours au droit et la santé. Oui, ces territoires ont des statistiques exacerbées sur un certain nombre de données, sur les taux de pauvreté, les difficultés de logement, sur leur état qualitatif. La pauvreté n'est pas que monétaire, il y a un halo de pauvreté. C'est aussi tout que ça véhicule en terme de ressentiment et comme potentiel de fracture démocratique, autour du sentiment de relégation, d'être inaudible, invisible voire d'autocensure. Ne pas se considérer comme étant partie prenante de la société, ne pas sentir citoyen au même titre que les autres, c'est ce qui fait aussi le terreau des révoltes et des soulèvements.

Vous dites qu'une violence institutionnelle est ressentie dans ces quartiers, mais vous encouragez aussi à un dialogue venant d'en bas pour construire les politiques publiques. Comment est-ce possible ?

Je dis qu'il y a une grande perception de violence institutionnelle. Et c'est pour cela que notre rapport dit que la clé est probablement de renouer avec l'écoute des personnes et le dialogue. Je sais aussi les efforts qui sont faits par les institutions au quotidien pour accompagner ces publics. Mais la réalité de ce qui nous a été remonté au travers des entretiens, ce sont des relations assez dégradées avec les institutions. Je pense à certains verbatims qui témoignent qu'on leur demande sans cesse de justifier qui ils sont, de fournir des papiers, des justificatifs. Tout ça ce sont des petites gouttes d'eau qui construisent un sentiment d'humiliation quotidienne.

De plus en plus, le souci d'efficacité de la politique publique fait qu'on mène des expérimentations, on met des dispositifs en place, on teste... Tout ça fait que le travail social s'est beaucoup orienté sur de la gestion de dispositifs, là où le rôle historique et le besoin est de créer du lien humain. Comment on redonne sa place à ce travail social ? Certainement en remisant sur une nouvelle forme de travail social qui renoue avec le lien humain. Non pas que rien n'est fait ou que tout va mal, mais l'approche politique transversale n'est pas encore là. L'approche ne doit pas partir des champs de compétences des institutions mais des problèmes qui nous sont exprimés. C'est une démarche inversée que l'on propose.

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Commentaire 1
à écrit le 07/07/2023 à 9:01
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La classe dirigeante a besoin de l'extrême droite pour gagner les élections et l'extrême droite a besoin de point de stigmatisation tels les cités pour brandir le thème de l'insécurité. Tant que cette situation arrangera la affaires de notre oligarch...

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