Gilets jaunes : « Les retraites sont la contribution majeure des cahiers de doléances »

Presque cinq ans après le soulèvement des Gilets jaunes en France, un jeune chercheur bordelais exhume les centaines de cahiers de doléances de Gironde dans le cadre d'une thèse financée par le Département. Plus de 50.000 contributions racontent les fractures géographiques et sociales d'un département et rencontrent un écho cinglant à l'heure du mouvement contre la réforme des retraites.
Maxime Giraudeau
(Crédits : Eric Gaillard)

Dégradations, centres-ville défigurés, violences policières. À Bordeaux, le souvenir du mouvement des Gilets jaunes, qui a débuté en novembre 2018, convoque encore une image péjorative. Pourtant, sur la métropole et dans toute la Gironde, ce soulèvement populaire, indépendant des apparats politiques, s'est majoritairement manifesté par des formes d'expression pacifiques et citoyennes, exprimant un profond malaise démocratique.

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Quatre ans et demi après le début du mouvement, Samuel Noguera, un jeune chercheur en science politique, reprend le flambeau dormant d'un vaste fonds national archivé : les cahiers de doléances. « L'idée c'est de s'en saisir et de relégitimer la parole exprimée dans ces cahiers, de redonner la parole aux citoyens », présente-t-il. Ce doctorant âgé de 25 ans a débuté sa thèse en novembre 2022 grâce à un financement du conseil département de Gironde. Depuis les archives départementales - un cadre de travail plutôt austère - il passe des journées entières à éplucher les 55.000 contributions des 364 cahiers de doléances collectés à l'époque sur le territoire.

Que racontent ces cahiers ? Qui les a remplis ? À quoi ont-ils abouti ? Ces questions, qui habitent le doctorant du centre Emile Durkheim de Sciences Po Bordeaux, demeurent encore prématurées à ce stade. Mais un point se dégage de façon certaine : « La contribution majeure, sur les cahiers de doléances de la Gironde mais aussi dans toute la France, porte sur la question des retraites », certifie Samuel Noguera, pas franchement étonné, alors même que l'année 2018 a été marquée par la présentation de la première mouture de la réforme des retraites portée par Emmanuel Macron. « On n'avait déjà pas tiré les leçons des cahiers de doléances en 2019 sur le premier projet de réforme des retraites. Et on en tire encore moins de leçons aujourd'hui », juge-t-il. L'échange avec le chercheur laisse parfois apparaître un fond de discours militant.

Les cahiers qui racontent la fragmentation du territoire

En novembre 2018, ce Perpignanais d'origine était étudiant en troisième année de licence de sciences politiques à Montpellier. C'est dans ce parcours personnel qu'il vit l'apparition des Gilets jaunes. S'il confie ne pas s'être senti légitime à rejoindre pleinement le mouvement, il en a partagé les revendications et participé aux manifestations. Le sentiment de fracture alors entendu dans les cortèges, il le retrouve aujourd'hui à l'heure de la relecture fine des cahiers de doléances. La thèse débute, alors les conjectures sont prononcées prudemment.

« En Gironde, on pense qu'il y a des spécificités locales quant aux revendications sur l'agriculture biologique et les aménagements urbains. D'une façon plus générale, les contributions interpellent sur la mobilité, les transports, notamment parce qu'on a des territoires assez enclavés, très ruraux », relaye-t-il. Plus surprenant, les communes touchées par les incendies en Gironde du côté de Landiras l'été dernier « des territoires très Gilets jaunes » à l'époque. « Ça pose une question au regard de l'inégalité dans la sécurité du territoire, de la sécheresse, de l'accès à l'eau, du transport... ».

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Une fragmentation du territoire girondin déjà connue et qui s'est largement exprimée lors des dernières élections législatives. Des députés du Rassemblement national ont pour la première fois été élus dans les deux circonscriptions du Nord du département. Les cahiers de doléances qui ont émergé à la fin de l'année 2018 racontent la fracture mais semblent être restés lettre morte, aussi bien pour les politiques locales que nationales. « On se doit de réagir ! », veut mobiliser Céline Goeury, conseillère départementale (PS) en charge de la citoyenneté. « Il y aura probablement des éléments à comprendre dans les doléances pour les traduire dans l'action départementale. Pour nous, l'intérêt est de relire nos politiques publiques au regard des doléances », ajoute-t-elle, alors que le Département finance la thèse.

Recontacter les contributeurs

Les travaux de Samuel Noguera, sous la direction de Magali Della Sudda et Nicolas Patin, se poursuivront jusqu'en 2025 voire 2026, année des élections municipales. Le chercheur doit encore parcourir des milliers de contributions de façon rigoureuse, loin de la méthodologie des cabinets privés qui avaient dressé des synthèses rapides des cahiers lors du « Grand débat national ». Elles sont classées dans trois grandes catégories qui pourront être amenées à évoluer : citoyenneté sociale, vie politique et transition écologique. On y parle pouvoir d'achat et « pouvoir vivre », redistribution, climat, agriculture, rapport aux institutions. Mais aussi de participation en-dehors des seules élections, de « démocratie sociale ». Presque cinq après, ces thèmes sont prégnants dans la mobilisation contre la réforme des retraites.

Fort heureusement pour le chercheur, de nombreux contributeurs des cahiers y ont glissé leur contact. Comme l'espoir que leur parole pouvait un jour intéresser quelqu'un. Samuel Noguera va donc s'atteler à les recontacter et voir dans quelle mesure leurs doléances de l'époque ont évolué après une crise sanitaire inattendue et une réforme des retraites promulguée. En attendant, il continue à « dépouiller les cahiers », comme il l'exprime, habité par un enthousiasme fastidieux. Il aura l'occasion de présenter la poursuite de ses travaux du 14 au 17 novembre au Musée d'Aquitaine à Bordeaux, pour un colloque spécial Gilets jaunes et cahiers de doléances. Pile cinq ans après.

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Maxime Giraudeau

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Commentaires 3
à écrit le 16/05/2023 à 7:55
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Chercheur en Sciences Politiques? Encore des bras perdus pour notre industrie! J’espère que la sphère publique ne finance pas ce type de distractions..

à écrit le 15/05/2023 à 11:07
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non, le premier probleme, c'est la planete, sauver les ours blancs et le rechauffement, puis vivre ensemble dans le cadre de la reduction des inegalites.......le tout avec bcp d'argent en poche, une reduction du temps de travail et la retraite a 30 a...

à écrit le 15/05/2023 à 8:28
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Cela marque une véritable rupture, les marchés financiers ont encore gagné mais c'est facile quand on possède tout, après nous avoir imposé leur marionnette ils vont pouvoir se faire plaisir, se rassurer d'abord et avant tout, en nous imposant les fa...

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