
Transformer le plomb en or, c'est un peu l'opération qu'est en train de mener la société JP Energie Environnement (JPEE) en transformant la décharge de Labarde en plus grande centrale solaire urbaine d'Europe, pour le compte de Bordeaux Métropole. Pendant des dizaines d'années la décharge de Labarde, au Nord de Bordeaux le long de la Garonne, a été l'endroit où tous les déchets de la Métropole étaient enfouis, qu'ils soient ménagers ou industriels. Résultat : la nouvelle centrale solaire prend corps sur une décharge de près de 70 hectares où sont enfouis 2 à 3 millions de mètres cubes de déchets...
Une opération qui a été lancée à l'initiative de JPEE. Les structures métalliques porteuses des panneaux solaires photovoltaïques, qui ont été fabriqués aux Etats-Unis et non en Chine, sont ancrées au sol par le biais de plots en béton cylindriques, qui ont été installés en faisant attention de ne pas crever la membrane qui rend étanche, comme un couvercle, cette gigantesque décharge. Car la moindre déchirure entrainerait des infiltrations d'eau avec à la clé une pollution des sols.
Les premiers panneaux solaires à Labarde (crédits : Agence APPA)
"Tous les travaux sont menés pour éviter ce type d'accident. Nous assurons la mise en place des centrales solaires de A à Z : en commençant par le financement des projets, le développement, la construction des sites, leur exploitation et la maintenance" décrit en substance Jean-Louis Nass, fondateur et président de l'entreprise normande JP Energie Environnement (JPEE), à Caen.
18 mois pour l'instruction du permis de construire
Si Jean-Louis Nass est bien le président de l'entreprise familiale, ce n'est pas lui qui a pris les commandes de cette opération.
"L'entreprise est dirigée par mon fils Xavier, qui est à l'origine de ce projet de Labarde. Il est heureux d'être à Bordeaux, où il a fait ses études supérieures et vient d'être papa... Ce projet, a poursuivi Jean-Louis Nass, nous avons commencé à le lancer en 2015, quand nous avons contacté Bordeaux Métropole. Le permis de construire a été déposé en 2017, et il a été autorisé en décembre 2018. A la suite d'un an et demi d'instruction", a rembobiné le dirigeant.
Un investissement record de 60 millions d'euros
Ce projet a été lauréat des appels d'offres lancés par la Commission de régulation de l'énergie et le ministère de l'Environnement, en 2017. Lancés en 2019, les travaux devraient être achevés fin 2021, suite à l'arrêt pendant plusieurs mois des travaux. La central doit permettre d'empêcher l'émission de 3.000 tonnes de dioxyde de carbone par an et couvrir la consommation électrique de 70.000 personnes. Comme l'a expliqué Jean-Louis Nass, JPEE propose des opérations clé en main. C'est ainsi que l'entreprise va porter l'investissement de 60 millions d'euros nécessaire au financement des travaux.
Jean-Louis Nass a précisé à La Tribune qu'il a créé son entreprise à Caen au début des années 2000 et que son activité a commencé à décoller en 2004 avec l'adoption par les pouvoirs publics de tarifs préférentiels.
Pose du panneau photovoltaïque, avec Jean-Louis Nass (à gauche), Pierre Hurmic, Alain Anziani et Eric Lombard (Agence Appa).
"Le siège social est resté à Caen, en Normandie, et nous avons ouvert des agences à Paris, Nantes et Montpellier. La construction de cette nouvelle centrale solaire va de paire avec la création d'une agence de JPEE à Bordeaux", a précisé le dirigeant.
Avant de rajouter que cette entreprise familiale emploie un peu plus d'une centaine de salariés pour un chiffre d'affaires annuel de 60 millions d'euros.
Le groupe Caisse des dépôts à 49 %
La production électrique des centrales solaires est rachetée par EDF mais, avec ses prestations, JPEE a une activité très nettement financière. C'est ainsi que l'entreprise familiale s'est rapprochée du groupe Caisse des dépôts. Eric Lombard, le directeur général du groupe public, qui détient depuis l'an dernier 49 % de JPEE, a d'ailleurs fait le voyage à Bordeaux pour assister, ce mercredi 23 septembre, à la pose symbolique du premier panneau solaire de la centrale.
"Le groupe Caisse des dépôts est devenu l'actionnaire de référence de JPEE, via la Banque des Territoires. Avant que la Banque des Territoires devienne actionnaire de JPEE nous avons mené de concert une première opération dans la Beauce. Et je suis très heureux de la présence sur ce chantier d'Eric Lombard, que je ressens comme une marque de confiance", a tenu à souligner Jean-Louis Nass, qui s'est rappelé qu'au départ la construction de cette centrale solaire paraissait impossible aux autorités métropolitaines.
"En combinant la concrétisation de la transition énergétique en milieu urbain avec la réutilisation d'une ancienne décharge, ce projet coche beaucoup de cases très intéressantes et est mené de manière intelligente", corrobore Eric Lombard.
En 10 ans le prix du mégawatt solaire divisé par 10
Une fois installés, les 170.000 panneaux solaires de la centrale vont produire 75,4 gigawatts/heure (soit 75 460 mégawatts/heure) d'électricité par an, qui sera revendue à EDF au tarif de 65 euros le mégawatt. Ce qui est le prix réglementaire du mégawatt solaire.
Les participants à cette manifestation ont bien respecté les gestes barrières.
"Il y a 10 ans le mégawatt solaire coûtait 600 euros l'unité ! On peut tout de même comparer le prix du mégawatt solaire d'aujourd'hui à celui du mégawatt produit par la centrale atomique EPR anglaise, qui est à 110 euros...", s'est amusé Jean-Louis Nass.
Le financement de l'opération est porté par quatre caisses d'épargne, dont la Caisse d'épargne Aquitaine Poitou-Charentes (CEAPC), et le groupe Caisse d'épargne assure également la syndication et l'arrangement ce cet investissement, dont le temps de retour devrait être compris entre 10 et 15 ans selon le patron de JPEE.
"Nous avons tenu à associer des épargnants au financement de ce projet par le biais d'un prêt obligataire de 500.000 euros qui sera rémunéré à hauteur de 5 % par an. Je tiens à préciser que cette centrale solaire va générer sur sa durée de vie un revenu fiscal de 3,7 millions d'euros au bénéfice de Bordeaux Métropole", a rajouté le dirigeant.
Alain Anziani emballé, Pierre Hurmic content mais mesuré
Le président de Bordeaux Métropole, Alain Anziani, a estimé que l'opération menée par JPEE à Labarde lui faisait penser "à l'art de l'alchimiste" et s'est félicité de cette retombée fiscale de 3,7 millions d'euros. Il a rappelé l'ambition de Bordeaux Métropole de devenir un territoire décarboné. Pierre Hurmic, le nouveau maire EELV de Bordeaux, a lui aussi fait le déplacement à Labarde. Il a notamment expliqué que la production de 75 GWh par an équivalait à tout l'éclairage public métropolitain, avec à la clé l'économie de la production de 22.000 tonnes de dioxyde de carbone.
Le maire de Bordeaux n'a toutefois pas oublié de rappeler que les meilleures économies sont générées par un comportement sobre, sans cacher son plaisir de voir une décharge reconvertie en centrale électrique solaire. Et sans oublier de rappeler qu'il y en a quatre autres d'importance dans l'ex-Aquitaine, en Gironde (Cestas), dans les Landes (Losse), en Lot-et-Garonne (Casteljaloux), et en Dordogne (Saint-Pardon).
La plus puissante, comme l'a rappelé Pierre Hurmic, étant celle de Cestas, avec une production annuelle estimée à 350 gigawatts/heures, avec un parc déployé sur 260 hectares.
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