SONDAGE - À Bordeaux, le maire écologiste Pierre Hurmic réussit à convaincre largement, mais...

Par Pierre Cheminade  |   |  1940  mots
Trois ans après son élection, 59 % des Bordelais interrogés par l'IFOP se disent satisfaits du maire écologiste Pierre Hurmic. (Crédits : Agence APPA)
SONDAGE EXCLUSIF. Il n'avait lui-même pas anticipé sa victoire historique en 2020 mais Pierre Hurmic a réussi à endosser le costume de maire de Bordeaux, selon le sondage exclusif IFOP La Tribune en partenariat avec Public Sénat. La satisfaction des Bordelais positionne l'écologiste loin devant ses collègues de Paris, Lyon ou Marseille. Soutenu par les jeunes et les classes populaires, il reste en difficulté sur les questions de circulation, les impôts locaux et la sécurité. Il peine aussi à s'affirmer sur la lutte contre le dérèglement climatique qu'il porte pourtant en étendard. Dans l'opposition, l'ancien maire de droite Nicolas Florian sort du lot. Décryptage.

La perception à mi-mandat de l'action d'une nouvelle majorité municipale est toujours attendue. C'est encore plus vrai à Bordeaux qui a connu en 2020 une alternance politique historique : la liste de gauche (EELV, PS, PCF) menée par l'écologiste Pierre Hurmic est parvenue à tourner la page des années Juppé, mettant fin du même coup à 75 ans de domination sans partage de la droite. Autant dire que chaque pas du nouveau maire a été scruté de toutes parts, tant par ses alliés que ses adversaires. « Dès le début de mon mandat, j'ai rencontré des torrents ! Empruntant des voies difficilement navigables, j'ai appris à éviter les récifs, ceux des troncs d'arbres résineux morts et d'autres résidus végétaux qu'on appelle communément des peaux de bananes ! », expliquait Pierre Hurmic en janvier dernier, avec une pointe d'ironie.

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59 % de satisfaction

Trois ans après son élection, l'écologiste revendique une action de proximité sans tambour ni trompette, ni grand projet architectural pour incarner « le maire du quotidien et le maire du lendemain ». Cette recette lui a-t-elle permis de convaincre dans son rôle de maire ? Première réponse encourageante : 59 % des Bordelais interrogés dans le sondage IFOP La Tribune en partenariat avec Public Sénat (*) se disent satisfaits de Pierre Hurmic. Un score qui le positionne un cran au-dessus de son homologue marseillais, le divers gauche Benoît Payan (53 %) et loin devant le maire écologiste de Lyon Grégory Doucet (48 %) et la maire socialiste de Paris Anne Hidalgo (32 %).

« Quand on se regarde on se désole, quand on se compare on se rassure », aimait à répéter Alain Juppé quand on l'interrogeait sur la détérioration de la qualité de vie à Bordeaux avec la métropolisation, les bouchons et la flambée des prix de l'immobilier. Mais, là-encore, Bordeaux l'emporte haut la main : la satisfaction de vivre à Bordeaux en 2023 grimpe à 89 % d'opinions favorables, contre seulement 78 % à Marseille et 77 % à Paris. « Le bien vivre bordelais reste extrêmement fort et n'a que peu évolué depuis les années Juppé où on était à 93 % », précise Frédéric Dabi, le directeur général opinions de l'IFOP.

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Un écologiste soutenu par les jeunes et les classes populaires

Le maire de Bordeaux est particulièrement apprécié chez les jeunes avec 67 % d'opinions positives chez les moins de 35 ans. Ce sont les 18-24 ans qui lui sont le plus favorable (70 %) et les 50-64 ans les seuls à être majoritairement critiques avec 53 % de mécontents. Qualité aussi rare que recherchée à gauche, Pierre Hurmic est aussi très apprécié par les catégories populaires (74 %), avec même un pic à 76 % chez les ouvriers, mais aussi par les professions intermédiaires (57 %). Il fait le plein à Bordeaux Sud (68 %) et Chartrons, Grand Parc, Jardin Public (67 %) tandis que c'est à Saint-Augustin (50 %) et Bordeaux centre (56 %) qu'il est le moins apprécié. Il réunit 68 % d'opinions positives parmi les électeurs de Jean-Luc Mélenchon à la dernière présidentielle. Un score qui résiste bien à 55 % chez les votants pour Emmanuel Macron et qui tombe à 32 % chez les électeurs d'extrême droite. Les qualités les plus associées au maire de Bordeaux sont l'honnêteté (74 %), la compétence (66 %), la défense des intérêts de Bordeaux (65 %) et la confiance (64 %).

La situation s'est dégradée pour 43 % des sondés

En revanche, les électeurs bordelais sont beaucoup moins cléments quand il s'agit d'évaluer l'évolution de Bordeaux depuis la dernière élection municipale de juin 2020 : 43 % des sondés jugent ainsi que la situation s'est dégradée, 35 % disent l'inverse et 21 % estiment que Bordeaux n'a pas changé.

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« C'est à mon sens le principal point faible de Pierre Hurmic : il y a plus d'habitants qui estiment que Bordeaux évolue mal alors que l'opinion était majoritairement positive pendant les années Juppé. Il y avait un cap clair quand aujourd'hui les Bordelais ont du mal à dire vers où évolue la ville », souligne Frédéric Dabi. Mais, paradoxalement, ces avis très mitigés se dissipent quand il s'agit d'évaluer l'action de la municipalité écologiste. 68 % des sondés se déclarent ainsi satisfaits, ce qui place à nouveau l'équipe du maire de Bordeaux nettement devant Lyon et Marseille ! Même tendance à l'échelle du quartier : 63 % des Bordelais se disent satisfaits contre seulement 54 % des Marseillais.

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Circulation, sécurité, impôts

Cependant, l'action de Pierre Hurmic au Palais Rohan a du mal à convaincre quand il s'agit de juger le travail accompli en matière de circulation (64 % de mécontents), le niveau des impôts locaux (46 %) et la sécurité (51 %). Sur le premier sujet, le déploiement du réseau cyclable et l'expérimentation surprise d'une piste sur les quais au début de l'été n'a pas fait que des heureux tandis que des faits divers font régulièrement les gros titres tout comme les problématiques de drogue dans le centre-ville. L'état de propreté de la ville divise avec 51 % de satisfaits et 48 % de mécontents.

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Son programme en matière d'urbanisme, de logement et d'aménagement - symbolisé par le label du Bâtiment frugal bordelais, le permis de louer ou encore l'encadrement des loyers - tarde à montrer ses effets peinant à convaincre les répondants qui sont 49 % à en être satisfait et 49 % à en être mécontents. En revanche, le maire de gauche fait le plein sur la culture (82 % d'opinions positives), sur les espaces verts et la végétalisation (82 %), le sport (79 %) mais aussi sur l'attractivité économique (72 %). Un sujet sur lequel il était attendu après le remaniement opéré à Invest in Bordeaux et sa volonté de rompre avec la stratégie Magnetic Bordeaux.

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Au défi d'incarner l'urgence climatique ?

C'est finalement sur la question, pourtant centrale à ses yeux, de la lutte contre le dérèglement climatique que Pierre Hurmic semble avoir du mal à s'affirmer. Trois ans après avoir solennellement déclaré l'état d'urgence climatique à Bordeaux le jour de son élection, l'ancien avocat peine à convaincre sur ce sujet avec seulement 54 % de sondés satisfaits contre 42 % de mécontents. La végétalisation volontariste de la ville de pierre, les ambitions en matière de sobriété énergétique et de déploiement des renouvelables, notamment par les réseaux de chaleur, n'ont visiblement pas encore concrétisé son action, en tous les cas à la hauteur de l'urgence climatique.

« C'est un domaine où, par définition, les résultats concrets sont plus difficiles à identifier après seulement trois ans même si sur la végétalisation de la ville, Pierre Hurmic ressort 9 points devant Lyon et 24 points devant Marseille. Cela rejoint la question de savoir si Pierre Hurmic mène un projet emblématique pour Bordeaux, pour un sondé sur deux, ce n'est pas le cas », ajoute Frédéric Dabi.

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Florian devant Poutou et Cazenave

Du côté de l'opposition, tout le monde a les yeux rivés sur l'échéance de 2026. La droite et le centre rêvent en effet de reprendre la ville pour refermer la parenthèse écologiste. Mais ils avancent en ordre dispersé, chacun cherchant à jauger les intentions et le potentiel des autres. Pour y voir plus clair, l'IFOP a testé la capacité à un être un bon maire de Bordeaux de huit personnalités locales : Nicolas Florian (LR), Philippe Poutou (NPA), Thomas Cazenave (Renaissance), Fabien Robert (Modem), Nathalie Delattre (Parti radical), Loïc Prud'homme (LFI), Nicolas Thierry (EELV) et Edwige Diaz (RN).

Et c'est l'ancien maire de Bordeaux (2019-2020) Nicolas Florian qui sort assez nettement du lot en étant le seul à approcher des 50 % d'opinions positives (47 %). Le candidat de la droite aux dernières municipales devance donc le désormais ministre du Budget Thomas Cazenave (33 %) avec qui il s'était allié au second tour pour tenter en vain de l'emporter face à Pierre Hurmic. Fabien Robert, le leader local du Modem, plafonne à 28 % juste devant la sénatrice radicale Nathalie Delattre (27 %). Parmi ces quatre personnalités de la droite et du centre, Nicolas Florian est le seul à réunir davantage d'opinions positives que négatives (47 % Vs 37 %). Il est le plus apprécié chez les artisans et commerçants (56 %), les 50-64 ans (53 %) et les retraités (54 %).

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À gauche, c'est Philippe Poutou, déjà candidat en 2020 et élu au conseil municipal, qui se démarque très nettement avec 34 % d'opinions positives. Mais si l'ancien syndicaliste bénéficie de sa forte notoriété liée à sa candidature à la dernière élection présidentielle, c'est aussi lui qui suscite le plus fort taux d'opinions négatives (59 %). Les députés de Bordeaux - l'insoumis Loïc Prud'homme et l'écologiste Nicolas Thierry - plafonnent respectivement à 26 % et 24 % d'opinions positives. Enfin, la députée d'extrême-droite du nord de la Gironde, Edwige Diaz, ne dépasse pas les 22 % d'opinions positives et recueille 43 % d'opinions négatives, au même niveau que l'ex-député bordelais Thomas Cazenave.

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Vers un match serré en 2026

S'il ne s'agit en aucun cas d'intentions de vote puisque la plupart de ces responsables politiques ne seront pas candidats, cette enquête permet de jauger les rapports de force en vue de 2026. Et malgré les 47 % d'opinions positives de Nicolas Florian, personne à droite ne se risque à l'optimisme tant la menace de la division est grande.

« Il va falloir réussir à être uni, réellement, derrière un candidat fédérateur mais même dans ce cas de figure le match sera très serré. Pierre Hurmic est entré dans son costume, il fait le job et il ne sera plus outsider mais maire sortant ! Il bénéficiera aussi de l'évolution naturelle de l'électorat bordelais vers le centre-gauche, comme dans toutes les grandes villes », résume ainsi un très bon connaisseur de la droite juppéiste.

« Pierre Hurmic qui a un profil moins clivant que Grégory Doucet semble bien installé dans le paysage et dans une position plus confortable que les maires écologistes de Lyon ou Poitiers. Il dispose d'une popularité assez homogène même s'il y a un point de vigilance dans l'électorat âgé qui est celui qui vote le plus », confirme Frédéric Dabi, ajoutant aussitôt : « Mais la question de savoir où va Bordeaux va devoir être tranchée ! »

En effet, rien n'est joué pour Pierre Hurmic : avec 26.500 bulletins, il ne l'avait emporté à la surprise générale que de 1.350 votes en juin 2020 quand, six ans plus tôt, Alain Juppé avait réuni plus de 46.000 électeurs sur son nom ! Les marges de manœuvre restent donc très larges des deux côtés. S'il n'est pas encore officiellement candidat, tout montre aujourd'hui que Pierre Hurmic et son équipe s'y préparent déjà.

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(*) Méthodologie : étude réalisée par l'IFOP pour La Tribune et Public Sénat auprès d'un échantillon de 701 personnes, représentatif de la population de Bordeaux de 18 ans et plus. Représentativité assurée par la méthode des quotas (sexe, âge, profession). Interviews réalisées par téléphone du 11 au 18 septembre 2023. Les résultats pour Marseille, Paris et Lyon sont issus de sondages Ifop similaires avec des questions identiques réalisés respectivement en mai-juin 2023, en mars 2023 et en février 2023.