Ford Aquitaine Industries : le jour d’après

Par Jean-Philippe Déjean  |   |  1292  mots
Si les salariés de Ford Aquitaine Industries (notre photo) sont abattus, ils n'ont pas encore renoncé à passer à l'action. (Crédits : Agence Appa)
Le groupe Ford Motor Company (FMC) l’a déclaré hier jeudi avec force : pour son usine girondine de Blanquefort tout est fini. Mais comme il reste encore quelques minuscules gouttes d’espoir d'assurer la reprise de Ford Aquitaine Industries (FAI) par le groupe belge Punch, avec quelques 400 emplois industriels à la clé, l’intersyndicale et le ministère de l’Economie vont passer cette journée de vendredi à manoeuvrer pour tenter d'arracher une solution à la firme de Détroit.

L'annonce, hier jeudi 13 décembre de la fermeture, dès le mois d'août 2019, de l'usine Ford Aquitaine Industries (FAI), à Blanquefort (Bordeaux Métropole), a fait l'effet d'une bombe qui a littéralement assommé les salariés de la seule usine française filiale du constructeur automobile américain. Il reste encore quelques heures avant le lundi 17 décembre, date à laquelle s'achèvera officiellement la procédure d'information-consultation des salariés de FAI dans le cadre du plan de sauvegarde de l'emploi (PSE). PSE dont la mise en route exclura de fait toute option de reprise de l'usine.

Dans ce jour d'après, la vie reprend ses droits et l'intersyndicale va plancher toute cette matinée et sûrement une bonne partie de l'après-midi avec les experts économiques proches des syndicats mais aussi de hauts fonctionnaires du cabinet du ministre de l'Economie et des finances, Bruno Le Maire, comme nous l'a précisé Philippe Poutou, délégué CGT de FAI. A cela s'ajoute la poursuite d'un semblant de vie courante, aussi fascinant qu'un canard décapité en train de courir.

"Quand vous m'avez appelé je participais avec les autres représentants syndicaux à une réunion sur l'organisation des prochaines élections professionnelles de 2019.... On a fini par dire au représentant de la direction que tout le monde trouvait ça dérisoire", commente d'une voix blanche Jean-Michel Caille, secrétaire général de la CFE-CGC, le syndicat des cadres, techniciens et agents de maîtrise de Ford Aquitaine Industries.

Le camouflet de Ford au gouvernement français

Mercredi 12 décembre après l'accord conclu entre l'intersyndicale de FAI, le groupe belge Punch - candidat à la reprise -, le ministère de l'Economie et des finances et les syndicalistes voulaient encore croire que Bruno Le Maire pourrait utiliser cette bonne nouvelle en fin de journée pour la resservir à Jim Hackett, le patron de Ford Motor Company (FMC), et peser ainsi sur la décision du constructeur automobile. La perspective de ce contact a continué à flotter pendant de longues heures, comme une perspective crédible, jusqu'à ce que le groupe Ford déchire violemment ce voile de rêverie en annonçant son refus de toute poursuite d'activité dans son usine girondine.

Une annonce dont le ministre de l'Economie et des finances n'était pas au courant. Autrement-dit Jim Hackett a refusé de répondre à Bruno Le Maire au téléphone. Cette déclaration du groupe Ford a ainsi été faite avec un maximum de brutalité et l'intention patente de faire perdre la face à Bruno Le Maire. L'état-major de Ford a semble-t-il voulu humilier le ministre de l'Economie et des finances. Certains verront dans cette provocation un nouveau camouflet indirectement adressé par Donald Trump à Emmanuel Macron.

Jim Hackett va-t-il parler à Bruno Le Maire ?

"Je viens d'apprendre par un simple communiqué de presse que Ford refusait l'offre de reprise de Punch sur l'usine Blanquefort à Bordeaux. Je suis révolté et je suis écœuré par cette décision qui ne se justifie que par la volonté de Ford de faire monter son cours de bourse. Je veux dénoncer la lâcheté de Ford à qui je demande de parler depuis trois jours et qui n'a même pas eu le courage d'appeler le ministre de l'Economie et des finances", a tonné hier Bruno Le Maire au Sénat, parlant de trahison.

Nul ne peut prédire comment vont se dérouler les prochaines semaines à Ford Aquitaine Industries (Agence Appa).

Le ministre ne restera pas les bras ballants et entend le faire savoir :

"Je veux profiter de la représentation nationale pour appeler solennellement Ford à réviser sa décision et à accepter la reprise de Punch, qui garantit l'avenir du site industriel de Ford Blanquefort à Bordeaux" a indiqué hier de façon elliptique Bruno Le Maire.

Selon une dépêche AFP ce vendredi matin, la secrétaire d'Etat auprès du ministre de l'Economie et des finances, Agnès Pannier-Runnacher, a annoncé que Bruno Le Maire aurait un rendez-vous téléphonique avec Jim Hackett dans la journée.

Tous les salariés ne sont pas tentés par Punch

Quelques 400 emplois sur les 850 de l'usine sont en jeu mais la situation de FAI sort probablement de la moyenne ordinaire pour les PSE en milieu industriel. Les prévisions tablent ainsi sur près de 40 % de départs volontaires en pré-retraites (autour de 300) et 150 transferts supplémentaires à l'usine voisine de GFT (groupe Magna), à quelques centaines de mètres de là. Des salariés "pré-retraitables" pour lesquels la garantie Ford sera toujours supérieure à celle du groupe belge Punch.

Au point que le syndicat CFTC, qui a quitté l'intersyndicale et le front du refus, parce qu'il a de sérieux doutes sur l'offre de reprise portée par Punch, a rappelé ce mercredi 12 décembre le fait qu'il avait déjà annoncé qu'il était favorable à la tenue d'un référendum "dans le cadre légal, sur la base de la transparence des informations sur le projet du repreneur, qui ne doit pas être caché aux salariés, et les concessions écrites demandées". Le rejet en assemblée générale de cette option référendaire n'a pas plu à cette confédération, qui estime que les votes en assemblée sur des éléments du dossier transmis oralement "ne répondent pas à la réglementation et ne peuvent pas refléter l'avis des 850 salariés de FAI".

La conviction que Ford n'a jamais voulu d'une reprise

Après la déclaration du groupe automobile américain de refuser toute poursuite d'activité dans son usine de Blanquefort, la CFTC a pris acte de la décision américaine et continue de s'interroger.

"Nous attendons d'avoir les précisions permettant de juger des éléments factuels a priori absents qui auraient dû permettre de prouver la solidité du business plan du repreneur potentiel et que nous réclamions depuis des mois. La confidentialité qui nous était opposée nous avait conduit à avoir les plus grandes réserves sur les plans produits proposés !", déroule ainsi la CFTC de FAI.

Pour Jean-Michel Caille un référendum ne pouvait être lancé qu'à l'initiative de Ford qui, selon lui, n'en avait aucune envie parce que le groupe avait déjà décidé de se débarrasser de l'usine. Le refus de laisser les volumes de production nécessaires pour alimenter l'usine lors de la phase initiale de changement de propriétaire et le fait que le groupe Punch, seul candidat à la reprise de l'usine, ne figurait pas dans la liste des repreneurs potentiels recherchés par le cabinet travaillant dans ce sens pour Ford ne laissent selon Jean-Michel Caille aucune place au doute.

"En tant que propriétaires ils ne veulent rien savoir et n'autoriseront aucune reprise de l'usine. Je me dis qu'il y a encore une petite chance pour que la situation se retourne dans le bon sens, si Punch a le temps de présenter les garanties nécessaires. Vous savez moi je m'en fous, j'ai 40 ans d'ancienneté, j'aurais 60 ans l'an prochain, mais je pense qu'il y avait une solution possible entre ceux qui veulent partir et les autres qui veulent continuer. On a des apprentis, des jeunes salariés et l'offre de Punch pourrait permettre de sauver 400 emplois, ce qui n'est pas négligeable", argumente Jean-Michel Caille.

Comme mercredi 12 décembre, une bonne partie des acteurs du dossier va rester pendu au téléphone pour savoir si oui ou non Jim Hackett répond à Bruno Le Maire. Ce que veut notamment l'intersyndicale c'est un peu plus de temps, pour que Punch puisse présenter un plan de reprise complet dans les domaines financier et productif.