Motion Twin : la coopérative vers l'infini et au-delà (6/10)

Par Pierre Cheminade  |   |  932  mots
L'équipe de Motion Twin en novembre 2018. (Crédits : Agence APPA)
Fort du succès de son jeu vidéo Dead Cells, désormais vendu à plus de 2,6 millions d'exemplaires dans le monde, le studio bordelais Motion Twin s'attache à conserver un fonctionnement fondamentalement coopératif. Cette logique, poussée très loin jusque dans le processus créatif, impose de ne pas trop grandir et donc d'externaliser le suivi de Dead Cells à une autre entreprise : Evil Empire.

"The bad seed / la mauvaise graine". C'est le titre du premier contenu additionnel payant au jeu vidéo Dead Cells qui sera publié début 2020. Ecoulé à plus de 2,6 millions de copies toutes plateformes confondues, ce jeu vidéo sorti officiellement en 2018 a été récompensé par un Game award l'an dernier. Au fil des mois, il avait bénéficié d'une quinzaine de mises à jour gratuites lui permettant d'entretenir un vif intérêt auprès des joueurs du monde entier.

"Cette politique de suivi du jeu dans le temps vise à bâtir une réputation à long terme dans le jeu vidéo autour des valeurs de gratuité et de fidélité vis-à-vis du public tout en faisant revenir d'anciens joueurs et en en attirant de nouveaux. On souhaite désormais avoir un équilibre entre des contenus gratuits et d'autres parfois payants", explique Pascal Péridont, l'un des huits salariés-associés de cette société coopérative et participative (Scop) créée en 2004. A chaque mise à jour, gratuite ou payante, des armes et options inédites et un rééquilibrage global sont proposés aux joueurs : "L'idée est de stimuler le joueur, de casser ses habitudes pour augmenter la rejouabilité du titre et relancer son envie de jouer. Mais tout cela est très chronophage", poursuit Sébastien Bénard.

La mise à jour payante "The Bad Seed" est prévue pour le 1er trimestre 2020 (crédits : Motion Twin / Evil Empire).

A tel point qu'à partir du printemps dernier, Motion Twin a décidé de déléguer à une autre entreprise la tâche de prendre soin de son best-seller sur le plan du marketing et du contenu. Evil Empire a donc été créée sous la forme d'une entreprise classique avec une équipe de dix salariés pour faire vivre Dead Cells. "Les équipes ont encore des idées et des projets pour animer Dead Cells pendant au moins deux ans en gratuit ou en payant", précise Sébastien Bénard.

Who's the Boss ?

Et si les huit associés de Motion Twin prennent du recul vis-à-vis de Dead Cells, c'est pour pouvoir se projeter vers l'avenir tout en conservant un fonctionnement atypique. En s'appuyant sur les possibilités offertes par le statut de Scop, le studio a poussé la logique coopérative un cran plus loin et applique des règles claires : pas de hiérarchie, égalité de salaire et de temps de travail et prise de décision systématiquement collégiale selon le principe une personne = une voix. "On tient à ce fonctionnement mais on est aussi bien conscient, pour l'avoir déjà expérimenté, qu'il ne fonctionne pas au-delà de dix voire douze personnes. Il y a quelques années, on est monté à vingt salariés et la cohésion s'est cassée. Donc l'idée est désormais de conserver une taille modeste", explique Sébastien Bénard.

La mise à jour "Who's The Boss" est sortie mi-2019 (crédits : Motion Twin / Evil Empire)

Et les huit salariés-associés, qui ont engrangé autour de 15 M€ de recettes l'an dernier, ne se tournent pas pour autant les pouces. Ils posent déjà les premiers jalons de leur prochain titre avec une seule certitude pour l'instant : ce ne sera ni la suite de Dead Cells, ni un jeu du même type. Mais le processus créatif n'en est qu'à ses prémices et s'annonce long puisque là encore c'est la logique coopérative qui prime comme témoigne Pascal Péridont :

"On a beaucoup d'idées mais rien n'est arrêté à ce stade si ce n'est que ce jeu ne sera pas le fruit de la vision forte d'un auteur unique puisque notre fonctionnement égalitaire nous pousse à tout discuter, en profondeur. C'est la première fois que nous nous lançons simultanément sur un nouveau projet. C'est un processus de cadavre exquis avec des idées, des morceaux de prototypes jouables, des discussions longues pour confronter la vision de chacun sur des éléments parfois très basiques. Et c'est ce chaos créatif qui permet à des points de convergence de se dessiner."

Et si le studio ne manque pas de trésorerie, il souhaite voir aboutir le projet d'ici trois ans. Quant au statut de Scop, il permet aussi de sécuriser l'avenir du studio en interdisant tout rachat par un tiers - bien que les propositions ne manquent pas - ou possibilité de plus-value pour les associés : en cas de départ, les parts sont revendues à leur valeur nominale et les salariés doivent obligatoirement détenir au moins 51 % du capital. Le revers de la médaille de cette gestion parfaitement horizontale c'est la charge mentale liée à la fonction de dirigeant : "En tant qu'associé et salarié on a tendance à tous ramener du boulot à la maison parce qu'on a les préoccupations de l'entreprise qui viennent s'ajouter à celles de nos métiers respectifs", concède Sébastien Bénard.

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Cet article s'intègre dans le dossier intitulé "Les PME de Nouvelle-Aquitaine misent sur le modèle coopératif", paru dans l'hebdomadaire de La Tribune du 29 novembre.

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