Les viticulteurs et agriculteurs durement frappés par le gel à Bordeaux et dans toute la France

Par latribune.fr avec AFP (Myriam Lemetayer et Pascale Mollard-Chenebenoit et bureaux régionaux)  |   |  1517  mots
Des milliers de braseros allumés dans le vignoble bordelais pour lutter contre le gel dans la nuit du 7 au 8 avril 2021. (Crédits : Thibaud Moritz / Agence Appa)
Braseros, hélicoptères, arrosages préventifs : les importants efforts nocturnes des viticulteurs et agriculteurs pour lutter contre le gel n'ont pas suffi. Les cultures ont été sévèrement touchées dans plusieurs régions de France, notamment dans le vignoble bordelais. Le ministre de l'Agriculture a annoncé que le régime de calamité agricole allait être activé et des aides mobilisées. Sachant qu'un nouvel épisode de gel est à craindre en début de semaine.

L'hiver (re)vient. Des milliers de braseros ont illuminé la nuit du 7 au 8 avril dans tout le vignoble bordelais pour lutter contre les morsures dévastatrices du gel, jusqu'à -7°C dans le Blayais, diffusant au petit matin une odeur de brûlé dans de nombreuses villes de Gironde. Des hélicoptères ont survolé les vignobles pour rabattre la chaleur au sol tandis que des arrosages préventifs ont également été effectués dans plusieurs territoires. Parce qu'il s'agit de l'un des plus importants épisodes de gel tardif depuis de nombreuses années au regard de son intensité et de son ampleur géographique. Dans plusieurs régions de France, les efforts nocturnes des agriculteurs pour limiter les dégâts du gel n'ont en effet pas suffi, comme le constate la FNSEA, syndicat agricole majoritaire :

"Les dernières nuits marquées par une chute historique des températures et des gelées destructrices viennent de mettre un coup d'arrêt à la floraison et menacent fortement plusieurs filières de production agricole."

Vignes, arbres fruitiers mais aussi colza ou légumes de plein champ... un grand nombre de cultures sont potentiellement atteintes sur un large secteur allant du nord de la France à la vallée du Rhône, en passant par le bordelais.

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"Le gel a touché 80 % du vignoble français"

"Dans de nombreuses régions, du nord au sud et de l'est à l'ouest, les dégâts sont impressionnants chez les viticulteurs et chez les arboriculteurs. La détresse est grande aussi dans le monde des grandes cultures ! Les impacts sur le colza, en pleine floraison, sont dramatiques, comme sur les semis de betteraves: de très nombreux planteurs vont devoir ressemer plus de la moitié de leur surface", ajoute la FNSEA.

"On sait déjà qu'on va avoir une très faible récolte en 2021", a déclaré à l'AFP Jean-Marie Barillère, président du Cniv (Comité national des interprofessions des vins) qui réunit les interprofessions des vins AOP et IGP. Le gel, qui a commencé à sévir il y a quatre jours, a "touché 80% du vignoble français". "Les arboriculteurs et les viticulteurs viennent de vivre une semaine noire", résume-t-il.

Selon le Conseil interprofessionnel des vins de Bordeaux (CIVB), qui espère établir un bilan précis dans les prochains jours, il est "déjà certain que ce gel du printemps impactera sévèrement le volume de la récolte 2021" puisque le gel a "durement frappé de vastes zones du vignoble du Bordelais, les températures sont parfois descendues en dessous de -5°C touchant l'ensemble des 65 appellations et des 111.000 hectares du vignoble bordelais." Dans la vallée du Rhône, les premières remontées de terrain laissent craindre le pire. Plus encore pour les arboriculteurs, dont les productions étaient plus avancées, que pour les vignerons.

Le vignoble bordelaise mobilisé contre le gel (crédits : Thibaud Moritz, Agence APPA)

"Pêches, nectarines, abricots vont être rares sur les étals cette année", estime Daniel Sauvaitre, président de l'Association nationale des pommes et des poires (ANPP). "Tout l'enjeu, c'est de savoir s'il reste suffisamment de fleurs qui soient encore vertes pour faire une récolte", a-t-il ajouté auprès de l'AFP.

Quelle évaluation des dégâts ?

"On est aujourd'hui face à une situation qui est tout à fait exceptionnelle, qui est particulièrement difficile, qui touche un grand nombre de cultures, la viticulture bien sûr, l'arboriculture, mais aussi les grandes cultures comme celles de la betterave, du colza", a détaillé jeudi soir sur France Info le ministre de l'Agriculture Julien Denormandie, évoquant une "violence assez inédite". "On est en train de faire l'évaluation chiffrée, ce qu'on constate c'est que énormément de régions sont aujourd'hui impactées, que ce soit au nord de l'Ile de France jusqu'au sud-est et une partie du centre du pays", a-t-il dit.

Mais une chose est déjà sûre à ce stade, "les pertes sont importantes", a prévenu le ministre, estimant que c'est un "nouveau coup dur" dans un contexte "déjà difficile pour nos agriculteurs", notamment les viticulteurs qui ont vu "beaucoup de débouchés se fermer du fait du confinement".

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"La quantité de grappes est incertaine et elle sera clairement inférieure au rendement prévu initialement. Il est difficile de donner des chiffres précis, les remontées sont en cours mais cela va de 30 % à 60 % et jusqu'à 100 % sur certaines appellations. Le diagnostic final des préjudices sera établi d'ici deux semaines mais nous craignons vraiment le pire", indique Sophie Mette, la députée Modem de Gironde, dans une tribune d'une trentaine de députés du groupe d'études "Vigne, vin et oenologie". "Deux fois en cinq ans et pour certains trois fois en cinq ans... Ces accidents climatiques ne sont plus ponctuels mais deviennent récurrents", font-ils remarquer.

"Au moment où cet épisode de froid sera passé (...) nous allons nous réunir avec l'ensemble des filières pour évaluer précisément les dégâts, voir comment on peut apporter des soutiens", a déclaré M. Denormandie tandis que la FNSEA "appelle à une réaction rapide des pouvoirs publics" qui doivent "envisager dès à présent les mesures d'indemnisation permettant à chacun de passer l'année difficile qui s'annonce".

Des hélicoptères survolent les vignes bordelaises pour rabattre au sol la chaleur des braseros (crédits : Thibaud Moritz / Agence APPA).

Le dispositif de calamité agricole

Emmenés par la sénatrice de la Gironde Nathalie Delattre (Mouvement radical), les élus de la vigne et du vin ont également appelé à "un véritable plan de sauvetage" de la filière viticole. "L'heure est grave et même désespérée pour la filière viticole. Le gel tant redouté a, ces deux dernières nuits, frappé très durement notre pays. Des parcelles qui avaient été épargnées par les épisodes virulents de 2017 ou de 1991 ont parfois gelé en totalité. En plus de la crise Covid, des crises à l'export et des tensions diplomatiques autour du vin, cet épisode de gel met à genou toute une filière", alerte Nathalie Delattre.

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En outre, les députés du groupe "Vigne, vin et oenologie" demandent au gouvernement d'activer "tous les outils collectifs qui existent pour diminuer l'impact d'une perte de production, mais aussi de réfléchir à des aides supplémentaires, afin d'éviter que des domaines disparaissent".

"Dans les cultures qu'on dit "assurables", je pense par exemple aux vignes, à la grande culture, il va nous falloir mobiliser très fortement les assureurs", avait souligné jeudi matin Julien Denormandie. Pour les cas où les cultures ne sont pas assurées, "on va lancer notamment la mise en œuvre du régime de calamité agricole", a promis jeudi soir le ministre sur France Info, tout en ajoutant vouloir "étudier également les dispositifs fiscaux habituels".

 Dans un communiqué, le syndicat agricole Modef demande que "les préfets réunissent en urgence le Comité national de gestion des risques en agriculture (CNGRA) afin que les départements concernés puissent être reconnus au titre des calamités agricoles". Il souhaite "que l'État abonde le fonds des calamités agricoles à hauteur des besoins".

Les agriculteurs redoutent la survenue d'un nouvel épisode de gel, possiblement en début de semaine prochaine. "Et nous ne sommes que mi-avril, on peut geler jusque début mai", souffle Daniel Sauvaitre. "Cet épisode de gel vient d'anéantir une partie significative du travail des vignerons et de la récolte dans une période déjà très éprouvante à la fois moralement et économiquement [...] La meilleure réponse à donner pour soutenir la viticulture, c'est d'acheter du vin...", conclut de son côté le CIVB à Bordeaux.

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A noter également, la réaction du groupe Générations et EELV du conseil départemental de Gironde qui alerte sur les conséquences sur la pollution de l'air de ces dispositifs de lutte contre le gel : "Si une telle mesure peut aider la viticulture, elle se révèle très nocive pour les habitants des zones voisines. Ces lampes à la paraffine qui brûlent toute la nuit émettent une fumée toxique, qui, multipliée des milliers de fois un même soir, finissent par créer une épaisse brume qui se dirige vers les villes et villages de la région. C'est ainsi que ce matin du 8 avril la Gironde a enregistré la pire qualité de l'air de toute la France métropolitaine, avec notamment à Bassens, un indice particules fines PM10 de 420, bien au-delà du 18 enregistré hier !" Ils préconisent le développement des tours anti-gel de dernière génération et une meilleure anticipation et concertation.