En Gironde, Herakles condamné à disparaître

Par Jean-Philippe Déjean  |   |  1141  mots
Le super lanceur Ariane 5, devenu trop coûteux, doit être remplacé par Ariane 6, pour faire face à la concurrence de Space X.
La création de la coentreprise entre les équipes spécialisées dans les lancements spatiaux de Safran et Airbus Défense et Espace (Defence and Space), au 1er janvier 2016, entraîne la disparition du groupe Herakles, dont le siège est au Haillan, en Gironde, et le départ de son PDG, Philippe Schleicher.

Avec ses 3.300 salariés dont 2.200 en Gironde, le groupe Herakles (filiale de Safran) est notamment le numéro deux mondial du propergol solide. Sa disparition programmée a été confirmé en exclusivité hier à La Tribune - Objectif Aquitaine, lors d'un déjeuner au siège de la société, au Haillan, où participaient Philippe Schleicher, PDG d'Herakles, Philippe Boulan, son directeur des ressources humaines, et Marc Montaudon, directeur de la division aéronautique et composites thermostructuraux.

"La nouvelle coentreprise va absorber toutes les équipes des groupes Safran et Airbus dédiées aux lancements de satellites des deux groupes, ce qui inclut Herakles. Restera une entreprise portant ce nom centrée sur la recherche dans les matériaux, employant une centaine de salariés dans la recherche au Haillan, dont la marque sera Safran Céramique", résume Philippe Schleicher.

Une parenthèse dans l'histoire

Acteur central de la fabrication des moteurs des lanceurs Ariane et des missiles balistiques de la force de dissuasion, Herakles est également une référence dans la conception et la fabrication des matériaux composites utilisés dans l'espace, dont est par exemple constitué le bouclier thermique du démonstrateur de véhicule spatial européen IXV. La fusion en cours entre les deux groupes va priver la Gironde d'un siège social et d'un centre de décision, mais pas d'un savoir-faire. Et pour Marc Montaudon, ça ne fait pas beaucoup de différence.

"Herakles est une parenthèse dans l'histoire. Avant la création de cette société, le site du Haillan était occupé par Snecma Propulsion Solide (SPS) et n'a jamais accueilli, depuis qu'il existe, de siège social", analyse-t-il.

Philippe Schleicher (photo Jean-Philippe Dejean)

Le staff rend l'information publique presque trois ans jour pour jour après la création officielle, le 1er mai 2012, d'Herakles, né de la fusion de SPS et de la branche matériaux énergétiques de la Société nationale des poudres et explosifs (SNPE), à Saint-Médard-en-Jalles, à quelques kilomètres de là.

Trois mois de négociations

"Sans cette première fusion girondine, nous n'aurions pas pu enclencher le rapprochement de Safran et Airbus", relève Philippe Schleicher.

Herakles, qui possède sept filiales (à 100 % ou en coentreprise), s'appuie sur 19 sites, dont en France le centre de recherche du Bouchet, à Vert-le-Petit (91), Les Mureaux (78), Toulouse, Toulon ou Kourou. Herakles est également présent en Chine, avec Suzhou SME Changquing, et au Japon, par le biais de NGS Advanced Fibers, détenu notamment avec Nippon Carbon. La création de la coentreprise entre maintenant dans sa deuxième phase, avec à la clé d'intenses négociations entre direction et partenaires sociaux qui devraient durer deux ou trois mois, puisqu'il s'agit en particulier d'apporter les actifs de la future entité. Plusieurs syndicats, dont la CGT, qui craint notamment la perte de l'activité aéronautique (15 % du CA), s'inquiètent à Herakles de ce mouvement de fusion. L'arrêt de la fabrication de la tuyère à flux mélangés (MFN) destinée au moteur SaM146, qui équipe l'avion régional Sukhoï Superjet 100, a ainsi mobilisé la CGT et provoqué une réaction de Pierre Giacomini, secrétaire (CGT ) du comité central d'entreprise d'Herakles et du comité de groupe Safran.

Pas de danger pour le M51

"Ce programme, c'est une idée de Poutine pour relancer l'aéronautique civile russe. Mais ils n'arrivent pas à le vendre, même si ce Sukhoï est un bon avion. Au départ nous devions faire 140 tuyères par an pour 70 avions, mais là on est passé à 30 tuyères avec des prévisions à 20 l'an prochain. On ne pouvait pas continuer", détaille Philippe Schleicher.

Arrière corps du moteur M88 du Rafale, fabriqué par Herakles (photo Herakles)

Il en ira tout différemment pour la fabrication de l'arrière corps du moteur M88 du Rafale, qui inspirait également des craintes.

"Les nouveaux contrats signés pour le Rafale vont profiter à Herakles et notre production d'arrière corps du monteur M88 au Haillan va augmenter. L'activité aéronautique ne risque pas de disparaître", souligne Marc Montaudon.

La fusion inquiète aussi pour le futur du missile M51, vecteur des charges nucléaires de la force de dissuasion, qui pourrait échapper au contrôle de l'Etat en passant aux mains du privé.

"Il ne faut pas confondre l'Etat actionnaire avec l'Etat défendant un intérêt stratégique : c'est très différent et il va de soi que la puissance publique ne va pas abandonner le contrôle des missiles balistiques", tranche Philippe Schleicher.

Satelliser : une opération banale

Le PDG tient à remettre la fusion en perspective pour bien faire comprendre la nature des enjeux qui poussent à la création d'un champion de l'espace européen dans le secteur privé.

 Le super lanceur Ariane 5 étant devenu trop coûteux, il s'agit pour les promoteurs de cette fusion de casser les prix, grâce au futur lanceur Ariane 6, pour faire face à la concurrence montante de la firme américaine Space X et celle, à venir, des puissances émergentes que sont la Chine et l'Inde.

"Lancer des satellites, ça devient une opération banale qui entre dans une phase de maturité, sur un marché concurrentiel à l'échelle mondiale. On ne peut plus faire payer le contribuable européen pour mettre en orbite des satellites de communication saoudiens. C'est pour ça que l'Europe va produire Ariane 6, c'est une nécessité absolue. L'Europe spatiale est portée par la France, qui est la seule dans l'Union à considérer qu'avoir un accès privilégié à l'espace est une option stratégique, contrairement aux Allemands. On ne pouvait plus continuer comme ça, d'où la création de cette coentreprise", analyse Philippe Schleicher.

Philippe Schleicher sur le départ

La nouvelle entité, qui n'a pas encore officiellement de nom, devrait s'appeler AirbuSafran Launcher, elle emploiera 8.000 salariés et son périmètre est selon Philippe Schleicher parfaitement clair. Si le siège social de la coentreprise est actuellement situé (par défaut) à Issy-les-Moulineaux (92), pour les syndicats la messe est dite. "En interne tout le monde sait que le futur siège sera fixé à Evry (91)", nous assurait ainsi il y a quelques semaines Pierre Giacomini, secrétaire (CGT ) du comité central d'entreprise d'Herakles et du comité de groupe Safran. Pas question pour Philippe Schleicher de faire des pronostics. "C'est un sujet délicat qui sera tranché au dernier moment", observe-t-il.

Dans l'immédiat aucune transformation de fond pour la structure : les sites et les effectifs seront conservés. Pour le staff d'Herakles c'est bien normal : Safran fonctionne à partir d'une organisation très décentralisée et la question des sièges sociaux des filiales est de ce point de vue plutôt secondaire. Quant à Philippe Schleicher, recruté en 2011 pour mener à bien la fusion de SPS et SME matériaux énergétiques, il s'apprête à partir sous d'autres cieux...